1. Définition
Cette notion est utilisée par Moholy-Nagy pour expliquer la spécificité de la démarche du design. Elle désigne l’empreinte produite par un processus sur un matériau, empreinte révélant à la fois les propriétés du processus et du matériau en question. La notion de diagramme de forces apparaît dans le texte « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie » :
La mer déferle sur une plage sablonneuse : les vagues dessinent de subtiles ondulations sur le sable.
La peinture d’un mur s’écaille : sa surface est zébrée d’un fin réseau de rides.
Une voiture avance dans la neige : ses pneus y laissent des traces profondes.
Une corde tombe : elle forme des courbes harmonieuses sur le sol.
Quelqu’un a coupé une planche : on voit les traces de la scie.
Tous ces phénomènes, résultats de divers processus, peuvent se résumer en un diagramme de forces où s’opposent celles qui s’exercent sur les divers matériaux et celles qui sont dues à la résistance des mêmes matériaux.
László MOHOLY-NAGY, Peinture, photographie, film et autres écrits sur la photographie, Paris, Gallimard, Folio essais, 2007, p. 275.
2. De l’anglais au français
Si l’on compare cette traduction avec la version originale du texte, paru dans Vision in Motion, on peut constater qu’il ne s’agit pas d’une traduction littérale.
All these phenomena, caused by various processes, can be understood as a diagram in space representing forces acting upon the varied materials plus the resistance of the material to the impact of these forces.
László MOHOLY-NAGY, Vision in Motion, Chicago, Paul Theobald, 1947, p. 361.
Moholy-Nagy ne parle donc pas de « diagramme de forces », mais de « diagramme dans l’espace représentant des forces ». Au premier abord, une telle expression peut paraître redondante. En effet, un diagramme est par définition une représentation, et toute représentation visuelle est nécessairement spatiale. Toutefois, Moholy-Nagy veut certainement dire que les diagrammes auxquels il se réfère sont dans l’espace de l’expérience sensible, plutôt que dans le plan. De sorte que, comme les ondulations du sable sur une plage, ils ne peuvent être perçus comme des représentations que si l’on se met dans une disposition d’esprit particulière. Ce n’est pas le cas d’un diagramme ordinaire, qui est d’emblée compris comme une représentation. La notion elle-même apparaît en fait dans une note qui complète ce passage. Moholy-Nagy y cite un passage du livre du biologiste écossais D'Arcy Wentworth Thompson, On Growth and Form2, où apparaît l’expression « diagram of forces ». Dans la suite du texte, Moholy-Nagy reprend l’expression telle quelle, ce qui justifie le choix des traducteurs de la version française, Jean Kempf et Gérard Dallez.
3. Problématisation
La notion de diagramme de forces permet de penser les relations entre les formes et processus qui les produisent. Et puisque toute forme résulte de l’action d’un grand nombre de forces, penser la nécessité d’une forme implique d’appréhender de manière globale un ensemble complexe de processus. Pour Moholy-Nagy, une telle attitude devant les formes est essentielle pour le design. Le designer doit en effet avoir une approche globale des formes qu’il conçoit : il doit les penser en fonction des matériaux qui sont à sa disposition et des différents processus qu’il peut mettre en œuvre pour les transformer.
Cependant, Moholy-Nagy ne pense pas seulement aux déterminations physiques qui peuvent intervenir dans la conception d’un objet. L’idée de force est en effet comprise de manière très générale, elle désigne tout ce qui peut mettre quelque chose en mouvement. De sorte que la subjectivité ou l’activité humaine peuvent être considérées comme des forces. L’approche globale prônée par Moholy-Nagy doit donc mettre la psychologie, la sociologie et l’histoire sur le même plan que la physique et que la biologie. C’est pourquoi le design est, de son point de vue, une tâche qui excède toute spécialisation et qui relève d’une attitude plus que d’une profession.
Une telle attitude a par la suite été développée par des designers comme par exemple Otl Aicher et Victor Papanek, qui ont chacun proposé des modalités d’articulation entre le design, les sciences sociales et les sciences de la nature.
Jérémie ELALOUF, Maître de conférence en design à l’Université Toulouse Jean Jaurès, Institut Supérieur Couleur, Image, Design (ISCID), Centre universitaire de Tarn-et-Garonne.
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« Tous ces phénomènes, causés par divers processus, peuvent être interprété comme un diagramme dans l’espace représentant les forces agissant sur ces différents matériaux et la résistance de ceux-ci aux effets de ces forces [nous traduisons] ». ↩
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D’ARCY WENTWORTH THOMPSON, On Growth and Form, Cambridge, University Press, New-York, MacMillan Company, 1945, p. 16. ↩