1. Définition
La notion d’ « hyper-modernité » peut désigner un modèle de société qui subvient après la modernité et le post modernisme1. Hyper est en effet une notion qui désigne le trop, l’excès, l’au-delà d’une norme ou d’un cadre. Elle implique une connotation de dépassement constant, de maximum, de situation limite à la modernité2, qui peut se de définir par une opposition à la tradition et qui s’impose de façon homogène dans le monde à travers de nouvelles formes contemporaines3.
La notion se caractérise par sa modalité temporelle :
« Ce qui accompagne l’avènement de l’hyper modernité, c’est ce rapport au temps toujours plus court, ce passage d’une société où nous étions soumis au temps, où nous nous insérions dans ses contraintes, à une société où nous voulons dominer le temps […]. Et cette domination du temps par l’individu a pris, à notre époque, deux visages, que nous évoquions plus haut : celui de l’instantanéité d’une part, permise par les nouvelles technologies qui donnent à l’individu le sentiment de pouvoir abolir le temps, et par là de le maîtriser ; celui de l’urgence d’autre part, qui constitue une nouvelle forme de contrainte et même de violence [...] »
AUBERT, Nicole, « L’urgence, symptôme de l’hypermodernité : de la quête de sens à la recherche de sensations »,[en ligne], Figures de l’urgence et communication, Actes du colloque de Bordeaux 5 & 6 décembre 2006. https://journals.openedition.org/communicationorganisation/3365, [page consultée le 02/12/2021]
L’hyper-modernité est profondément liée au désir humain d’accélérer, voire de maîtriser le temps grâce à la recherche de diverses technologies, comme dans le cadre de l’hyperloop, un train à sustentation magnétique reliant les principales villes du monde entre elles et qui irait à une allure de plus de 1200 kilomètre-heure, une vitesse juste au-dessous du mur du son… Mais les caractéristiques de l’hyper-modernité ne s’arrêtent pas là, elles renvoient à un monde où tout est devenu « hyper », notamment l’hyper-consommation et « l’hyper-individualisme :
« Mais le processus d'esthétisation hypermoderne déborde de beaucoup les sphères de la production, il a gagné la consommation, les aspirations, les modes de vie, le rapport au corps, le regard sur le monde. Le goût pour la mode, les spectacles, la musique, le tourisme, le patrimoine, les cosmétiques, la décoration de la maison s'est répandu dans toutes les couches de la société. Le capitalisme artiste a impulsé le règne de l'hyperconsommation esthétique au sens de consommation surabondante de styles certes, mais plus largement, au sens étymologique du mot - l'αισθησις des Grecs -, de sensations et d'expériences sensibles. Le régime hyperindividualiste de consommation qui se déploie est moins statutaire qu'expérientiel, hédoniste, émotionnel, autrement dit esthétique : l'important désormais est de ressentir, de vivre des moments de plaisir, de découverte ou d'évasion, non d'être conforme à des codes de représentation sociale. »
LIPOTVESKY, Gilles et SEROY, Jean, L’esthétisation du Monde - vivre à l’âge du capitalisme artiste, Paris, Editions Gallimard, 2013, p. 10.
2. De l’anglais au français
D’après Brent Cooper4, le terme semble utilisé pour la première fois en 1990 dans le titre d’un article écrit par Arthur Kroker, Marilouise Kroker et David Cook :
« Indeed, central to the human situation of the late twentieth century is the profound paradox of ultramodern technologies as simultaneously a prison house and a pleasure palace. We now live with the great secret and equally great anxiety that the technological experience is both Orwellian and hopelessly Utopian5. »
Il se joue très peu de chose quant au sens du terme dans le passage de l’anglais au français. L’hyper-modernité dans cet extrait concerne toujours l’essor des technologies au XXe siècle et leurs effets sur la condition sociale et la vie à cette époque. Ici n’est pas mentionné la relation néfaste avec le temps mais plutôt l’écrasement possible des libertés dû à l’attrait des nouvelles technologies.
3. Explication du concept
L’ « hyper-modernité » tend à être un processus qui s’identifie sur l’extension perpétuelle des technologies et de produits par leurs innovations scientifiques. Mais l’hyper-modernité se caractérise aussi par le fait qu’elle rendrait l’être humain tout-puissant, maître de la nature. Selon l’article d’Arthur Croker et Marilouise Cook intitulé « PANIC USA: Hypermodernism as America's Postmodernism », L’hyper-modernité pousserait le consommateur à vouloir obtenir tout ce qu’il désire au profit des marchés concurrentiels6.
Il en résulte une production massive industrielle conduisant à une standardisation de la forme et de son esthétique.
C’est également ce qu’évoque Pierre-Damien Huyghe, en considérant que la forme est un point de rattachement, un repère face à l’évolution d’une fonction d’un objet par rapport à l’essor de nouvelles technologies qui ne cessent de croître7. Au contraire du fonctionnalisme, où « la forme doit toujours être l'expression d'une fonction, d'un besoin8 », l’hyper-modernité conserve la forme déjà existante. À titre d’exemple, le smartphone depuis la suppression de son clavier, n’a pas connu de changement majeur dans sa forme, mais a gagné en fonctionnalités (parfois inutiles). La forme esthétique est ainsi arrivée à un point de non-retour, n’est pas pensée pour séduire le consommateur ou l’utilisateur mais peut témoigner d’un certain niveau de maîtrise de la technologie en elle-même. Par exemple, la forme du téléphone pliable témoigne avant tout de l’évolution technologique du premier verre écran pliable. À travers l’’hyper-modernité, la technique semble avoir gagné ce rapport de force entre fonction et forme.
Pour le dire avec les mots du Collectif Bam, les designers, en adéquation avec les temps hyper-modernes, ne « cherchent pas à simplifier les objets, au contraire. Ils cherchent à complexifier les objets au-delà de leurs propres maîtrises. Ils n’envisagent pas ce qu’il serait possible de faire avec ces réglages, au contraire ils cherchent à ouvrir au-delà et ailleurs de ce qu’ils peuvent imaginer faire avec. Proposer des réglages, c’est proposer plus de complexité9. » Le résultat ne se fait pas attendre. Annick Lantenois décrit l’essor des évolutions techniques qui, telles les technologies numériques, se complexifient à un rythme soutenu alors même que l’humain semble lui-même être dépassé par le rythme de ces évolutions, qu’il ne peut employer et assimiler sans parfaitement les maîtriser avant qu’elles soient encore complexifiées10.
4. Problématisation
Ainsi, dans le champ du design, ce concept interroge la capacité qu’a le concepteur à maîtriser le processus d’un projet à travers une technique en perpétuelle évolution pour créer et maîtriser un produit parfaitement abouti. De plus l’hyper-modernité questionne la capacité du produit lui-même, la nécessité qu’il aurait à être (ou pas) hyper-moderne pour être apprécié. Si le monde hyper-moderne fonctionne sur l’instant T et rejette le passé, alors seules les nouvelles technologies de pointe seront appréciées avant que d’être à leur tour obsolètes et rejetées. Le design se transforme donc lui aussi en « hyper-design »…
5. Illustration
Figure 1. Rythme d’apprentissage par rapport aux nouveaux seuils de complexité technologiques, Line SOMMIER
Line SOMMIER, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.
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COOK, Peter, « Modernité/Post-Modernité/Hypermodernité ou Surmodernité », [en ligne], arzadesign, 06/03/2017, [https://arzadesign.wordpress.com/2017/03/06/modernitepost modernitehypermodernite-ou-surmodernite/](https://arzadesign.wordpress.com/2017/03/06/modernitepost modernitehypermodernite-ou-surmodernite/), [page consultée le 02/12/2021] ↩
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AUBERT, Nicole, « L’urgence, symptôme de l’hypermodernité : de la quête de sens à la recherche de sensations »,[en ligne], Figures de l’urgence et communication, Actes du colloque de Bordeaux 5 & 6 décembre 2006, https://journals.openedition.org/communicationorganisation/3365, [page consultée le 02/12/2021] ↩
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« Modernité », [en ligne], Encyclopaedia Universalis, https://www.universalis.fr/encyclopedie/modernite/, [page consultée le 02/12/2021] ↩
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COOPER, Brent, « The Hypermodern Highway to Hell », [en ligne], Medium, 14/10/2020, https://medium.com/the-abs-tract-organization/the-hypermodern-highway-to-hell-1d3a6441b540, [page consultée le 29/12/2021] ↩
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Proposition de traduction : « En effet, au centre de la situation humaine de la fin du vingtième siècle se trouve le profond paradoxe des technologies ultramodernes comme étant simultanément une prison et un palais de plaisir. Nous vivons désormais avec le vaste secret et par équivalence avec la plus grande anxiété que l'expérience technologique est à la fois Orwellienne et éperdument utopique. » ↩
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KROKER, Arthur, KROKER, Marilouise, COOK, David, « PANIC USA: Hypermodernism as America's Postmodernism », Social Problems, Oxford University Press, Vol. 37, n°4, 11/1990, pp. 443-459 ↩
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HUYGHE, Pierre-Damien, Travailler pour nous [à quoi tient le design\?], Cherbourg, De l'incidence éditeur, 2018. ↩
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« Fonctionnalisme », [en ligne], Larousse https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/fonctionnalisme/34457, [page consultée le 03/01/2022] ↩
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FERRETTI, Anthony, « (dé)réglable », [en ligne], Collectif Bam, juin 2020, https://www.collectifbam.fr/philosophie/reflexions/de-reglable, [page consultée le 03/01/2022] ↩
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LANTENOIS, Annick, Le Vertige du funambule - le design graphique entre économie et morale, Paris, Editions B42, Collection « Essais », 2010. ↩