1. Définition

Mythe est un nom masculin provenant du grec muthos, désignant « un récit relatant des faits imaginaires non consignés par lhistoire, transmis par la tradition et mettant en scène des êtres représentant symboliquement des forces physiques, des généralités dordre philosophique, métaphysique ou social. »
Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, consulté le 24/10/2021, URL : https://www.cnrtl.fr/definition/mythe

Cette première définition insiste sur le caractère fictif du mythe et le décrit comme un récit relevant d’une invention sociale. En citant Alexei Lossev, Alexei Grinbaum propose une définition du terme aux antipodes de celle du Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales.

« Alexei Lossev, extraordinaire philosophe russe du XXe siècle […] a consacré un ouvrage entier au problème de la définition du mythe. Voilà quelle est sa réflexion fondamentale : "Du point de vue de la conscience mythologique elle-même, il n’est absolument pas possible de dire que le mythe serait une fiction ou un jeu de fantaisie. […] Le mythe est la réalité la plus élevée dans sa mesure du concret, la plus intense et la plus ardente. […] Ce n’est pas une fiction. C’est la réalité la plus vive et la plus authentique. Bien loin de tout ce qui est arbitraire ou aléatoire, c’est une catégorie absolument nécessaire à la pensée et à la vie.’’»

GRINBAUM, Alexei, Les robots et le mal, Paris, Desclée de Brouwer, coll. Essais-Documents, 2019, p. 46.

Alors que la première définition dépeint le mythe comme une fantaisie de la pensée, Alexei Grinbaum l’aborde, lui, comme une source de vérité pure. Étonnamment, l’auteur y voit une forme de réalité objective et nécessaire ne relevant absolument pas de la fiction. Jules Michelet se situe à la frontière de ces deux approches du mythe lorsqu’il dit que :

« L’humanité, d’abord matérielle et grossière, ne pouvait, dans des langues encore toutes concrètes, exprimer la pensée abstraite qu’en la réalisant, en lui donnant un corps, une personnalité humaine, un nom propre. Le même besoin de simplification, si naturel à la faiblesse, fit aussi désigner une collection d’individus par un nom d’homme. Cet homme mythique, ce fil de la pensée populaire, exprima à la fois le peuple et l’idée du peuple. »

MICHELET, Jules, Histoire romaine. Première partie : République, Paris, Hachette, Hors collection, 1831, p. VII.

Jules Michelet convoque la fiction et la réalité pour définir le mythe comme une forme d’anthropomorphisation de l’idée, qui consiste à mettre en scène sous la forme humaine un discours idéel afin qu’il soit plus accessible. D’après Jules Michelet, La forme du mythe est fictive et elle correspond à la définition donnée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, mais le fond du mythe est réel et correspond à la définition donnée par Alexei Grinbaum.

2. Du français vers d’autres langues

Que ce soit en anglais : myth, en espagnol ou en italien : mito , le sens du nom mythe reste identique à celui utilisé en français.

Ces deux citations permettent de constater que mythe et myth ont bien un sens identique et d’éclairer un autre sens de la notion.

« Greek myths remain true for us because they excavate the very extremes of human experience : sudden, inexplicable catastrophe ; radical reversals of fortune ; seemingly arbitrary events that transform lives. They deal, in short, in the hard basic facts of the human condition1. »

« In and outside Europe, the “western” in its modern sense - that is, the myth of the cowboy - is a late variant of a very early and deep-rooted image : that of the wild west in general2. »

Eric Hobsbawm aborde deux sens courants du mythe pas encore évoqués jusqu’ici. Le premier est employé pour dire d’un évènement, d’une personne ou d’un objet que « c’est un mythe » ; cela signifie que la majorité croit en cette chose, mais que cette chose n’est pas en réalité ce que la majorité croit qu’elle est, c’est de l’ordre du fantasme et de l’imagination. Le second sens du terme est lui actif lorsque que mythe se transforme en adjectif et qu’il qualifie un évènement, une personne ou un objet de « mythique ». Cela signifie que la chose mythique en question est connue par la majorité et que son existence est assez significative pour qu’elle traverse les époques, les cultures, les âges etc., c’est de l’ordre de la popularité.

3. Explication du concept

Le mythe est un récit mettant en scène un discours et des personnages qui varient en fonction des traditions et des cultures. La véracité des faits évoqués par les mythes n’est pas reconnue par l’histoire, c’est un donc un discours auquel nous sommes libres de croire ou non.

De fait, il agit comme une religion car il rassemble un groupe d’individus qui y croient et s’y réfèrent comme une parole provenant d’un ordre supérieur et dont leur destinée dépend. Cependant, les manières dont nous nous référons au mythe peuvent se catégoriser en deux niveaux, l’un où l’individu croit en l’existence charnelle et effective (révolue ou non) des êtres qui composent le mythe, et l’autre où l’individu ne croit qu’en la réalité des effets du discours. C’est de ce dernier rapport dont parle Alexei Grinbaum lorsqu’il cite Alexei Lossev. Les mythes sont pour lui des récits qui permettent daccéder à une forme de vérité pure et éternelle qui provoquerait une clairvoyance sur les phénomènes de notre monde.

Dans le langage courant, le terme mythe à travers le qualificatif « mythique » peut être synonyme d’idéal, d’atemporel et d’universel. Il peut également avoir une valeur de tromperie au sens où c’est une vérité idéale construite à laquelle une majorité prend plaisir à croire, comme une sorte de fourvoiement conscient, mais qui n’est dans les faits qu’une forme de réalité biaisée. C’est ce dont parle Eric Hobsbawm lorsqu’il explique que notre représentation du cowboy est mythique, car elle s’appuie sur une réalité fantasmée.

4. Problématisation

Là où il peut y avoir un mythe du cowboy, il peut également y avoir un mythe de toute classe d’individu. Le design, et plus précisément le design inclusif, se veut être conçu pour le plus de personnes que possibles, il se donne pour contrainte de répondre aux besoins de tous. De fait, le designer constitue un profil type qui réunirait toutes les caractéristiques des consommateurs auxquelles il destine son projet. C’est d’ailleurs le principe du persona: un individu fictif auquel est attribué les caractéristiques d’un groupe social. Ce procédé fait-il de l’usager — ou d’une classe d’usagers — un mythe ? Autrement dit, les objets issus du design inclusif ne s’adressent-ils pas à des usagers idéalisés auxquels les designers prennent plaisir à croire ?

Karim ALLAIN, Master 2 « Design, Arts et Médias » Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1.  « Les mythes grecs demeurent vrais parce qu'ils creusent les extrêmes de l'expérience humaine : des catastrophes soudaines et inexplicables, des renversements radicaux de fortune, des événements apparemment arbitraires qui transforment des vies. En bref, ils traitent des faits fondamentaux de la condition humaine. » (Traduit par Karim Allain)
    HIGGINS, Charlotte, « Fruits of the loom : why Greek myths are relevant for all time », The Guardian, 03/09/2021, consulté le 24/10/2021, URL : https://www.theguardian.com/books/2021/sep/03/fruits-of-the-loom-why-greek-myths-are-relevant-for-all-time 

  2. « En Europe et hors d'Europe, le "western" dans son sens moderne - c'est-à-dire le mythe du cow-boy - est une variante tardive d'une image très ancienne et profondément enracinée : celle de l'Ouest sauvage en général. » (Traduit par Karim Allain)
    HOBSBAWM, Eric, « The myth of the cowboy », The Gardian, 20/03/2012, consulté le 24/10/2021, URL : https://www.theguardian.com/books/2013/mar/20/myth-of-the-cowboy