1. Définition

La Nouvelle Typographie désigne un mouvement typographique né en Allemagne dans les années 1920. Dans Le Graphisme en textes, Helen Armstrong en donne les caractéristiques suivantes :

« La transformation de la typographie par l'avant-garde — caractère sans empattements, composition asymétrique, utilisation consciente de la nature visuelle des caractères, etc. — eu lieu dans toute l'Europe, et particulièrement au Bauhaus. »

Helen ARMSTRONG, Le graphisme en textes, Lectures indispensables, Paris, Pyramyd éditions, 2011, p.146.

Jan Tschichold, un des principaux contributeurs du mouvement, en précise les frontières et les ambitions :

« L'essence de la Nouvelle Typographie est la clarté. Ce simple fait la distingue radicalement et délibérément de la typographie classique, dont les buts étaient esthétiques et dont la clarté saurait atteindre au niveau élevé qu'exige l'époque contemporaine. »

Il ajoute :
« Dans la typographie classique, l'arrangement des différents éléments de la composition est subordonné à la domination exclusive de l'axe central. »

Jan TSCHICHOLD, « La Nouvelle Typographie », extrait de Helen ARMSTRONG, Graphisme en textes, lectures indispensable, Paris, Pyramyd éditions, 2011, p. 35.

2. De l'allemand au français

La « Nouvelle Typographie » est une traduction du terme « Neue Typographie », que nous devons à l'avant-garde allemande du début des années 1920. Le terme est d'abord utilisé par Jan Tschichold dans son article « elementare typographie », qui définit les règles de ce courant :

« 1. Die neue Typographie ist zweckbetont.

  1. Zweck jeder Typographie ist Mitteilung (deren Mittel sie darstellt). Die Mitteilung muss in kürzester, einfachster, eindringlichster Form erscheinen1

Jan Iwan TSCHICHOLD, Typographische Mitteilungen, numéro spécial « elementare typographie », 1925, p. 198.

On retrouve une autre occurence de ce terme dans l'article « über typographie », de Max Bill, qui est ici employé de manière péjorative, en réaction au rejet de Jan Tschichold face au mouvement qu'il a contribué à construire.

« Kürzlich hat einer der bekannten typograpfietheoritiker erklärt, die « neue typographie » die um 1925 bis 1933 sich in Deutschland zunehmender Beliebtheit erfreut hatte, wäre vorwiegend für Reklamedrucksachen verwendet worden und heute sei sie überlebt; für die Gestaltung normaler drucksache, wie büchervor allem literarischer werke, sei sie ungeeignet un zu verwerfen2. »

Max BILL, « über typographie », Schweizer graphische Mitteilungen, numéro 4, 1946.

De la langue allemande au français, on constate une certaine transparence du terme. On peut souligner l'orthographe du mot « typographie » dans «die Neue Typographie » qui devrait s'écrire « typografie » selon les règles allemandes et qui s'écrit de cette façon de manière quasi-systématique. Il n'est cependant pas rare de rencontrer la première écriture de ce terme, on peut en déduire que les deux orthographes sont acceptées et jouent en faveur d'une transparence trans-linguistique.

3. Explication du concept

La « Nouvelle Typographie » est née dans les années 1920 d'une opposition des designers allemands à la typographie dite classique. Ce terme est introduit dès 1923 par László Moholy-Nagy puis théorisé par Jan Tschichold d'abord dans son article « elementare typographie » (« typographie élémentaire ») publié dans la revue Typographie Mitteilung en 1925 et précisé en 1928 dans son ouvrage Die Neue Typographie (La Nouvelle Typographie).

Ce mouvement typographique remet notamment en question l'importance de l'axe central dans la composition d'un texte. Jan Tschichold reproche à cette structure sa hiérarchisation arbitraire des informations en faveur de l'apparence du texte. A contrario, la Nouvelle Typographie se focaliserait sur la lisibilité et la fonction du texte, et la forme découlerait de cette fonction3.

Il aspire à une conception plus rationnelle de la typographie, et encourage ses collègues typographes à employer des corps, des graisses, des interlignages ou encore des couleurs différentes pour faire ressortir les informations plutôt que l'utilisation de l'axe central. Tschichold insiste également sur l'importance de l'asymétrie qui offrirait plus de possibilités formelles et serait plus dynamique que les compositions basées sur la symétrie4. De plus, on peut noter l'utilisation de polices de caractères sans empattements, dont l'invention ne date seulement que d'un siècle auparavant.

4. Problématisation

La Nouvelle Typographie est un mouvement né d'une ambition progressiste et dont les acteurs s'inscrivent dans des courants politiques de gauche. Jan Tschichold a notamment été incarcéré par les nazis pour ses positions politiques. La volonté de rompre avec les pratiques alors en vigueur était aussi une volonté de se détacher d'une certaine autorité qui semblait transparaître de ce type de pratique graphique.

Toutefois, il serait simpliste d'affirmer que toute volonté de modernité et de rupture avec le passé est forcément une alliée du progressisme. Marinetti en Italie en serait l'exemple parfait, s'étant allié au régime fasciste de Mussolini. De plus, Tschichold, le chef de file de la Nouvelle Typographie, a lui-même répudié sa propre création. Dès la fin des années 1930, il a repris les compositions classiques. Il est ensuite revenu sur ses propos en soulignant des liens entre le modernisme et le régime nazi. Après la dissolution de l'école du Bauhaus, certains de ses anciens professeurs tels que Alfred Arndt, Herbert Bayer ou Friedrich Engemann ont travaillé pour le parti national-socialiste5.

5. Illustration

HUYNH-TAN_Clara_Illustration_L3DAM%20copie.

Figure 1 Comparaison entre les règles de compositions classiques et celles de la Nouvelles Typographie, Clara HUYNH TAN

Clara HUYNH TAN, Licence 3 « Design, Arts, Médias », Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. « 1. la nouvelle typographie est orientée vers un but. 2. la finalité de toute typographie est la communication (dont elle est le moyen qu'elle représente). La communication doit être la plus courte, la forme la plus simple et la plus percutante. » : telle serait une traduction possible de cet extrait. 

  2. « dernièrement, un des théoriciens reconnus de la typographie expliquait que la « nouvelle typographie », qui jouissait d'une popularité croissante en Allemagne de 1925 à 1933, aurait surtout été utilisée pour des réclames et serait aujourd'hui dépassée ; pour la conception d'imprimés classiques, comme les livres, avant tout les œuvres littéraires, elle est inappropriée et à bannir. » : traduction donnée dans BOSSHARD, Hans Rudolf, Max Bill/Jan Tschichold : la querelle typographique des modernes, Paris, Éditions B42, traduit de l'allemand par Pierre MALHERBET et Victor GUÉGAN, 2014, p. 85. 

  3. Helen ARMSTRONG, Le graphisme en textes, Lectures indispensables, Paris, Pyramyd éditions, 2011, p. 35. 

  4. Ibid, p. 36. 

  5. Disponible sur : https://www.telerama.fr/sortir/ces-artistes-du-bauhaus-qui-ont-flirte-ou-pire-avec-les-nazis,149646.php [consulté le 15/04/2022]