1. Définition

La majorité des dictionnaires et encyclopédies généralistes reprennent, à quelques différences près, la définition du typographe proposée par le Dictionnaire de l’Académie au XIXe siècle : il est « celui qui sait, qui exerce l’art de l’imprimerie, et, plus spécialement, tous les arts qui concourent à l’imprimerie ».

Dictionnaire de l’Académie française, t. 2, Paris, Institut de France, 1878 [7e édition], p. 902.

Dès la fin des années 1870, Eugène Boutmy avertissait cependant que :

« pour ceux qui sont de la boîte […], celui seul qui lève la lettre, celui qui met en pages, qui impose, qui exécute les corrections, en un mot qui manipule le caractère est un typographe ; les autres sont les imprimeurs ou pressiers, les conducteurs de machines, les margeurs, les receveurs, les clicheurs, etc. Le correcteur lui-même n’est typographe que s’il sait composer, et cela est si vrai que la Société typographique ne l’admet dans son sein que comme compositeur, et non en qualité de correcteur. »

Eugène BOUTMY, Dictionnaire de la langue verte typographique, précédé d’une monographie des typographes…, Paris, Isidore Liseux, 1878, p. 4.

Pour une définition stricte du métier de typographe, sont donc généralement à exclure les ouvriers travaillant à l’impression proprement dite, ainsi que les dessinateurs de caractères et l’ensemble des métiers de gravure et fabrication de poinçons ou matrices. Cette définition trahit la rupture progressive, socio-professionnelle à l’ère industrielle, entre des maîtres imprimeurs qui sont de véritables chefs d’entreprises cherchant à faire fructifier un capital constitué de machines de plus en plus onéreuses et des typographes comparés à des « singes » savants instruits et lettrés qui, depuis leurs ateliers, se regroupent en syndicats puissants et revendiquent une certaine idée civilisationnelle et humaniste de l’imprimerie.

2. De la langue originale au français

Le terme de « typographe » ne pose pas en soi de problème de traduction. Venant du grec, τύπος [empreinte] et γράφω [écrire, graver], il dérive directement du procédé technique qui a permis l’existence de ce métier. En revanche, les différentes tâches et postes attachées à ce métier, son évolution dans le temps avec l’industrialisation de l’imprimerie, appellent certaines précisions. Tout d’abord, au sein des ateliers, une distinction est à faire entre les typographes protes et ouvriers. De l’italien Proto et, plus anciennement encore, du grec prôtos, le prote est celui qui dirige les travaux d’une imprimerie au XVIIe et XVIIIe siècle. Avec l’industrialisation de l’imprimerie au XIXe siècle, les tâches que ce terme désigne se reconfigurent et correspondent à celles du compositeur typographe responsable de l’atelier de la composition.

Dans les plus grandes structures, les ouvriers compositeurs se partagent entre les « ouvriers en conscience » et les « ouvriers aux pièces ». Ainsi que le rapporte un chercheur au début du siècle dernier :

« les uns rangent l’atelier, ou reçoivent les attributions de corrigeurs ou de tableautiers ; les autres se distinguent en metteurs en pages et paquetiers, labeuriers ou journalistes ».

Louis RADIGUER, Maîtres imprimeurs et ouvriers typographes, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1903, p. 236.

Pour une comparaison approfondie de l’ensemble des termes relatifs à la typographie en français, anglais, allemand, italien et néerlandais, nous recommandons la lecture de The Printer’s terms [Termes techniques de l’imprimerie graphique] de Rudolf Hostettler (Saint-Gall, 1949).

3. Explication du concept

La mécanisation et l’automatisation des tâches rendent toute définition stable du métier et du statut de typographe compliquée à formuler dès la seconde moitié du XIXe siècle. Cette difficulté est liée avant tout à une mutation majeure du procédé technique originel. Si comme le propose encore le Français Marcel Valotaire en 1930, la typographie se définit comme « l’art de l’impression en relief, par opposition à l’impression en creux de la pointe sèche, du burin et de l’eau-forte et de certains procédés photomécaniques modernes, par opposition aussi à la lithographie et à ses dérivées modernes comme l’offset, où l’impression se fait sur une surface plane, mais spécialement préparée » (La Typographie, Paris, Babou, 1930, p. 9), elle vit en effet au XXe siècle ses dernières heures en tant qu’industrie, entrainant une profonde redéfinition des tâches liées au poste de typographe. Dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, le développement de composeuses mécaniques telles que les linotypes et les monotypes, font apparaitre le métier d’opérateur, qui ne compose plus que sur un clavier et dont les tâches s’éloignent fortement de celle de l’atelier typographique traditionnel. Progressivement, l’industrie fait disparaitre le typographe des imprimeries, celui-ci trouvant néanmoins de nouvelles propositions dans les maisons d’édition, les studios de graphisme et de publicité, en tant que concepteur, maquettiste ou personne chargée de surveiller la qualité du travail de l’imprimeur, de plus en plus souvent externalisé.

4. Problématisation

Malgré la dématérialisation progressive des outils de productions (photocomposition, informatisation des fichiers) comme des supports de lecture, l’appellation de « typographe » a survécu au procédé technique qui l’avait engendrée, ainsi qu’en témoignent les nombreuses formations professionnelles qui évoquent ce métier. La conséquence de cette survivance, hors de l’environnement matériel dans lequel il est né, est que les contours des réalités de ce métier ne sont faciles à réaliser. Comme pour la typographie, si le terme ne pose pas de problème majeur dans ses différentes traductions en langues latines, il est recommandé de s’interroger, à chaque occurrence rencontrée, sur le sens qui est donné par l’auteur à ce terme.

Victor GUÉGAN, docteur en histoire de l’art et du design graphique, enseignant à l’ESAD d’Orléans et responsable des publications d’artistes (contemporain) au Mnam-Cci