1. Définition

Défini dans le cadre du projet de l’Isotype Institute d’Otto Neurath, un « transformateur» est le terme utilisé par les membres de l'Institut pour définir la profession de designer de visualisation de données. Le terme dépasse pourtant ce statut en impliquant une plus large variété de capacité analytique et décisionnelle dans la mesure ou le «transformateur » est en échange constant avec le reste de l'équipe tout en participant activement au produit final1. Robin Kinross précise cette pensée dans la « Préface » du livre Le Transformateur, principe de création de diagrammes Isotype :

« Otto Neurath développe la notion de « transformateur » (en allemand Transformator) afin de décrire le processus qui consiste à analyser, sélectionner, ordonner puis rendre visuelles certaines informations, données, idées et implications. De nos jours, on appellerait cela simplement du ‘’design’’, même s’il s’agit de ‘’design’’ dans un sens bien particulier. »

NEURATH, Marie et KINROSS, Robin, Le Transformateur Principes de création des diagrammes Isotype, Paris, Éditions B42, traduit par Damien SUBOTICKI, 2013, p. 4.

En plus du travail de concepteur, le « transformateur » doit comprendre et analyser les données brutes fournies, préparer les essais et esquisses préliminaires ainsi que produire la maquette finale qui sera ensuite envoyée, particularité de l'époque, à un dessinateur. Par exemple, Marie Neurath indique comment elle participe avec les autres membres de l’institut autant à la découverte de solution graphique qu’au type de matériaux à utiliser pour générer les croquis qu’au choix des couleurs utilisé pour présenter les données2.

2. De l’anglais et allemand au français

Le terme originel provient de l’allemand « Transformator ». Traduit littéralement en français par Damien Suboticki quand il s’attache à Le Transformateur, principe de création de diagrammes Isotype, le mot fait plus référence aujourd’hui, tant en français qu’en allemand, à un transformateur électrique qu'à un designer visualisateur de données. Pourtant le mot précise de manière efficace une façon de faire qui dépasse le stade de la simple conception visuelles de données. Marie Neurath, dans le même ouvrage, parle d'elle-même exclusivement en tant que transformateur, étant de fait celle qui « transforme » les informations en créations visuelles. C’est ainsi qu’elle écrit :

« À partir des données fournies en mots et en chiffres, il faut trouver un moyen d’extraire les faits essentiels et de les retranscrire sous forme d’image. Il est de la responsabilité de “ transformateur “ de comprendre ces données, d’obtenir toutes les informations nécessaires auprès de l’expert, de déterminer ce qu’il convient de transmettre au public comment faire pour que cela soit compréhensible, comment le mettre en relation avec la culture générale ou avec les informations apparaissant déjà dans d’autres diagrammes.»

NEURATH, Marie et KINROSS, Robin, Le Transformateur Principes de création des diagrammes Isotype, Paris, Éditions B42, traduit par Damien SUBOTICKI, 2013.

3. Explication du concept et problématisation

L'idée du « transformateur » se fonde sur le fait que ce statut dépasse celui de simple « designer graphique ». Il ne consiste pas seulement à répondre à un brief déjà établi, mais à réagir avec agilité à des données ou informations complexes et interconnectées. Le transformateur doit prendre en compte les potentialités interprétatives de ceux qui se retrouveront en face du travail accompli. Les membres de l’Isotype Institut se sont rendu compte tôt dans leur recherche que l’application des techniques visuelles pour un set de données spécifique pouvait être transférées à d'autres séries statistiques grâce à un agencement souple facilement adaptable. Marie Neurath précise qu’en « procédant aux différentes transformations, je réfléchissais au travail comme un tout, plus que cela n’avait été le cas pour les commandes antérieures, dans la mesure ou les diagrammes qui abordent des thèmes similaires pouvaient être reliés les uns aux autres3. » Le «transformateur » est le catalyseur qui permet de passer d’une logique explicative littéraire à une logique compréhensive visuelle des problématiques présentées.

Ce rôle intermédiaire entre les experts et le public pose la question de la responsabilité qui repose sur les épaules du « transformateur ». Les données préliminaires peuvent être exactes mais leur présentation peut fausser le message final à destination du public. Si le «transformateur » est utilisé à une mauvaise échelle ou simplifie à outrance les diagrammes requis, il peut se trouver face à une incompréhension du public ou pire une mauvaise interprétation des données, ce qui desservirait complètement le but originel des concepteurs. Étienne Armand Amato, dans son dossier sur la data-visualisation, explique comment les « infographies sont souvent instrumentalisées lors de campagnes de persuasion, politiques et marketing. Différents scandales ont concerné des histogrammes trafiqués ou ayant des couleurs influençant la perception4. » C’est un des risques encourus par un « transformateur » qui ne prendrait pas en compte la portée sociale et politique que peut avoir son travail. Otto Neurath, dans Des Hiéroglyphes à l’Isotype - Une autobiographie visuelle, donne comme exemple une exposition sur la tuberculose en Amérique du Nord, ou un diagramme montrait « un très grand Peau-Rouge face à un tout petit Européen5. » Le diagramme voulait montrer la différence de mortalité entre les deux peuples. « Le fait que le symbole soit plus grand ne dit pas s’il faut regarder sa hauteur, son aire ou son volume6. » Le manque de clarté sur la valeur exacte trompe le lecteur, puisque « l’aire de ce personnage représente plus du double de celle du symbole d’origine, tandis que son volume représente encore plus du double7. » Il est intéressant de noter l'évolution des techniques. À l'époque de Marie Neurath, les transformateurs utilisaient la linogravure sur linoléum rigide qui requiert une précision manuelle importante : aujourd'hui, les logiciels de traitements graphiques permettent une répétition des formes de manières automatiques (voire figure 1 ; ci-dessous). Pourtant la finalité du travail reste la même, le partage de connaissance dans le respect de l’apprentissage et de la vérité.

Transformateur

Figure 1. Comparaison entre donnée pure, sans visuel, sur fond blanc et donnée présentée en utilisant le système Isotype sur fond beige, Paul-Arthur Lemarquis

Paul-Arthur LEMARQUIS, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.


  1. NEURATH, Marie et KINROSS, Robin, Le Transformateur Principes de création des diagrammes Isotype, Paris, Éditions B42, traduit par Damien SUBOTICKI, 2013, p. 19. 

  2. NEURATH, Marie et KINROSS, Robin, Le Transformateur Principes de création des diagrammes Isotype, op. cit., p. 19 - 21. 

  3. Ibidem, p. 31. 

  4. AMATO, Étienne Armand, « Enjeux et opportunités de la datavisualisation : interagir avec les données », I2D - Information, données & documents, 2015/2 (Volume 52), p. 34-35. DOI : 10.3917/i2d.152.0034. URL : https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2015-2-page-34.htm 

  5. NEURATH, Otto, Des Hiéroglyphes à l’Isotype - Une autobiographie visuelle, Paris, Éditions B42, traduit par Damien SUBOTICKI, 2013, p. 137. 

  6. NEURATH, Otto, Des Hiéroglyphes à l’Isotype - Une autobiographie visuelle, op. cit., p. 137. 

  7. Ibidem, p. 137.