1. Définition

Comme l’indique un dictionnaire d’usage courant, la « vulnérabilité » concerne le « caractère de ce qui est vulnérable. »
https://www.cnrtl.fr/definition/vuln%C3%A9rabilit%C3%A9, Consulté le 12/12/2021.

C’est une notion qui fait référence à l’exposition aux blessures, aux coups, à la douleur, à la maladie, ou encore la précarité. D’après Patricia Paperman, la vulnérabilité est « une qualité partagée, […] une manière de se laisser affecter, une autre face de la sensibilité1. » Il ne s’agit donc pas simplement d’un synonyme de faiblesse dans le sens péjoratif du terme, renvoyant à une question de rejet, mais plutôt à la faculté de ressentir pleinement des impressions, d’éprouver des sentiments tels que de la sympathie ou de la compassion.

2. De l’anglais au français

En anglais, le sens du terme « vulnerability » reste identique à celui utilisé en français. D’après Susan Dodds, la notion de vulnérabilité est associée à celles de la dépendance et du soin2 :

« The concepts of dependence, vulnerability and care are central to feminist ethics. However, the distinctions between these concepts are rarely spelled out. Similarly, while some feminists ground moral duties of care in our responses to dependent infants or vulnerable others, the nature of these responsibilities bears further analysis. This essay provides a detailed analysis of the relations amongst vulnerability, dependence and care. Engaging with the work of Margaret Walker and Eva Feder Kittay, the essay then investigates the complexities associated with the social assignment of responsibility for vulnerability. It demonstrates how some social and legal responses to dependence can generate further dependency and pathogenic forms of vulnerability, while others can promote resilience, autonomy, and recognition3. »

Il semble que cette notion en anglais soit au moins aussi complexe que celle du « care ». D’après Susan Dodds, la vulnérabilité se classifie distinctement entre ses différentes sources (inhérentes, situationnelles et pathogènes) et ses états (dispositionnels et occurents). Néanmoins, la traduction de l’anglais au français semble fidèle et ne fait pas perdre l’essence de de la signification de ce terme.

3. Explication du concept

La dépendance et la responsabilité changent la nature des soins prodigués aux personnes vulnérables, selon Eva Feder Kittay :

« les soins que le domestique fournit au maître diffèrent de ceux qui sont donnés aux personnes vulnérables, en ce que les premiers sont moralement surérogatoires et les seconds sont moralement obligatoires. La notion de dépendance est utilisée ici pour tenter de discerner ce qui spécifie les relations de caring et place le care en position d’incontournable de la pensée morale4. »

La dépendance résulte de la vulnérabilité. D’après Patricia Paperman, ces notions ne sont pas prises en compte comme des données élémentaires concernant la population mais comme des choses réservées aux « personnes dans le besoin » et aux personnes responsables principales du bien-être d’autrui. La vulnérabilité a donc une connotation négative. À l’inverse, l’éthique du « care » prend en compte la vulnérabilité de toutes les personnes, c’est ainsi qu’elle reconnaît l’importance de la vie humaine, des attachements, et qu’elle exprime une forme active d’intérêt pour autrui. Cela participe à repenser les rapports de justice :

« L’expression publique de questions dont la portée morale et politique est déniée ou invisibilisée par une éthique de la justice qui certes se soucie des autres, mais exclusivement en tant que personnes égales et indépendantes5. »

Les care givers sont traditionnellement des personnes sexisées, racisées, et issues de classes sociales inférieures. Souvent absorbées par les soins aux personnes vulnérables, elles deviennent plus vulnérables elles-mêmes car elles ne peuvent pas pourvoir à leurs besoins quotidiens sans aide extérieure :

« En reliant le care au travail de la dépendance, on peut voir se dessiner une ligne de fracture suivant les dimensions de genre, de classe, de race. […] C’est à partir d’une telle analyse qu’il devient possible d’identifier la non-reconnaissance – sur le plan public et politique – de cette dépendance généralisée, l’injustice qu’elle constitue pour ceux qui endossent la responsabilité des activités de prise en charge des personnes dépendantes6. »

Camille STOLPNER, Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. LAUGIER, Sandra (dir.), Le souci des autres, éthique et politique du care, Paris, éd. EHESS, coll. « Raisons pratiques », 2011, p. 330. 

  2. DODDS Susan, « Dependence, Care, and Vulnerability », dans Vulnerability: New Essays in Ethics and Feminist Philosophy, Oxford, éd. Oxford University Press, 2013.
    https://oxford.universitypressscholarship. com/view/10.1093/acprof:oso/9780199316649.001.0001/acprof-9780199316649-chapter-8. Consulté le 13/12/2021. 

  3. « Les concepts de dépendance, de vulnérabilité et de soin sont au cœur de l’éthique féministe. Cependant, les distinctions entre ces concepts sont rarement explicitées. De même, si certaines féministes fondent les devoirs moraux de soin sur nos réponses aux enfants dépendants ou aux personnes vulnérables, la nature de ces responsabilités mérite une analyse plus approfondie. Cet essai propose une analyse détaillée des relations entre vulnérabilité, dépendance et soins. S’appuyant sur les travaux de Margaret Walker et d’Eva Feder Kittay, l’essai examine ensuite les complexités associées à l’attribution sociale de la responsabilité de la vulnérabilité. Il démontre comment certaines réponses sociales et juridiques à la dépendance peuvent générer davantage de dépendance et des formes pathogènes de vulnérabilité, alors que d’autres peuvent promouvoir la résilience, l’autonomie et la reconnaissance ». Traduction personnelle. 

  4. LAUGIER, Sandra (dir.), Le souci des autres, éthique et politique du care, op. cit., Paris, éd. EHESS, coll. Raisons pratiques, 2011, p. 329-330. 

  5. Ibidem., p. 329. 

  6. Ibid., p. 333.