BERGER, John, (dir.), Ways of seeing, Londres, British Broadcasting Corporation et Penguin Books, Penguin Modern Classics et Penguin Design series,1972 ; rééd. BERGER, John, (dir.), Ways of seeing, London, British Broadcasting Corporation and Penguin Books, Penguin Modern Classics et Penguin Design series, 2008.

Adaptation d'une série audiovisuelle diffusée par la BBC Two en 1972, Ways of seeing est un ouvrage dirigé par John Berger dans lequel il se questionne sur la complexité de notre rapport à l'image, que l'on soit celui qui la conçoit, celui qu'elle représente ou celui qui la regarde. La question transversale se pose ainsi : comment notre « façon de voir » est-elle influencée par les images qui nous sont données à voir ? Quels sont les rapports de forces qui se jouent à travers l'art pictural ? Ces questions se posent à l'ère de la caméra, qui a révolutionné notre manière de percevoir le monde.

Pour répondre à cette question, Berger pose que nous envisageons le monde par l'intermédiaire de ce que l'on sait et de ce que l'on croit. Selon lui les images issues de la tradition de l'art pictural n'ont pas changé, mais notre regard contemporain sur elles a, quant à lui, muté. On les voit aujourd'hui comme jamais personne ne les a vues auparavant. Alors que la perspective posait l'hypothèse que chaque regardeur était le centre du monde visible, la photographie et le cinéma se firent preuves de l'absence d'un centre. La perception du visible comme un flux se regardant selon une multitude de points de vues est aujourd'hui une idée courante. En prenant conscience de ce phénomène, on va comprendre des choses sur nous et sur la société dans laquelle on vit, et surtout on va pouvoir, en tant que lecteur, acquérir des clefs d'émancipations grâce à ce nouvel œil critique face à l'image.

L'auteur construit son argumentaire graduellement au cours de sept chapitres. Il commence par établir une relation entre le langage et l'image reproductible, et démontre la nécessité de la démystification de ces images issues des arts pour permettre à tous de pouvoir se situer historiquement1. Les élites intellectuelles et économiques tentent de substituer le respect envers la valeur religieuse d'une oeuvre originale par un nouveau respect pour sa valeur commerciale dans le marché de l'art. Il fait ensuite le constat du statut divisé de la femme quant à sa représentation dans l'art, et la façon dont elle se perçoit. Ce statut diffère de celui de l'homme « men act, women appear2 ». Il est encore une fois la trace des rapports de pouvoirs entre une élite masculine qui dicte les « façons de voir » par un contrôle de l'image, et les femmes objectifiées à travers leurs représentations. Le lien avec le chapitre suivant repose sur la notion de spectateur-propriétaire. Il se penche sur la tradition de la peinture à l'huile entre 1500 et 1900, qui crée beaucoup des normes picturales3. L'homme devient propriétaire d'un objet physique comme de cet objet représente, que ce soient des terres ou une femme. John Berger démontre que la publicité suit une logique proche, glorifiant la propriété matérielle, utilisant le langage de l'art, et proliférant à la vue de tous. Historiquement, les élites ont créé des normes pour conserver un rapport de pouvoir malgré la démocratisation du langage des images permis par la reproductibilité des œuvres d'arts. En utilisant ces normes, la publicité scinde la façon dont on se perçoit en tant qu'usager et consommateur, de la même façon dont les femmes ont vu leurs perceptions d'elles-mêmes être dédoublées.

Des concepts comme « spectateur-propriétaire » sont utilisés pour décrire une relation à la femme représentée, comment les femmes se voient elles-mêmes, et comment la publicité agit sur nous par rétrospective d'une grande tradition de marché de peintures à l'huile entre élites aisées. Par exemple, les images de scènes issues de la mythologie agissent comme un « vêtement » que le spectateur-propriétaire peut « porter ». En se rendant propriétaire de l'image, il se rend maître et héros de l'histoire4. La « mystification » explique comment l'élite garde la main mise sur ce marché et sur la façon dont les préjugés sur l'art sont perçus, pour garder les non-initiés en dehors du système dans un esprit de ruse. Il utilise aussi le terme « glamour » pour définir l'enjeu de la publicité : devenir une source d'envie sociale.

Avec Ways of seeing, John Berger se situe explicitement à plusieurs reprises dans la continuité de l'histoire de l'art et des techniques de l'image. Il se réfère explicitement à Walter Benjamin sur la reproductibilité des images, en reprenant beaucoup de ses idées sur la discontinuité de l'aura des œuvres d'art originales avec l'arrivée de la photographie5. Il rentre en désaccord avec ses contemporains comme Lawrence Gowing6, notamment suite à l'analyse du tableau Mr and Mrs Andrews. Le premier maintenant la représentation du paysage comme fière preuve de la propriété du terrain, tandis que le second n'y voit historiquement qu'une appréciation pure du paysage. John Berger n'hésite pas à citer les historiens de l'art et à argumenter contre eux. Enfin, il remet en question le terme d'humanisme, l'associant à une conscience aiguë de l'individualisme, qui par contradiction ne s'applique pas à la femme, objet de peinture. On peut trouver des références à Ways of Seeing dans les milieux féministes comme dans le design graphique, sur la façon dont art et publicité cohabitent.

Charlotte TINTURE, Licence 3 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. BERGER, John, (dir.), Ways of seeing, London, British Broadcasting Corporation et Penguin Books, Penguin Modern Classics et Penguin Design series, 2008, p. 11 et p. 33. 

  2. BERGER, John, (dir.), Ways of seeing, op. cit., p. 47. 

  3. Ibidem, p. 84. 

  4. Ibid., p. 102. 

  5. Id., p. 34. 

  6. Id., p. 107 sq.