Andrea BRANZI.Transmission#1, Paris-Saint-Étienne, Les éditions de l'amateur, La Cité du Design, Interview avec Catherine Geel, 2006.

Transmission#1 est le premier volet d'une série de livres retranscrivant des interviews dans le cadre de l'émission À voix nue réalisée par France Culture. Ce livre retranscrit l'interview de l'architecte et designer florentin Andrea Branzi. Au-delà de la rétrospection succincte de la vie et du travail du designer, l'interview tente de montrer comment les réflexions du designer et théoricien se répondent au travers des considérations historiques, philosophiques et pratiques et théoriques.

Cet ouvrage développe la thèse qu'Andrea Branzi défend tout le long de sa vie, celle d'un « Design autonome ». Il introduit cette notion avec son projet radical, No-Stop City, publié en 1970 dans la revue Casabella. Il met en œuvre l'idée « d'une libération de l'homme dans l'architecture1 ». Dans cette utopie critique, l'objet devient protagoniste plus seulement dans l'espace domestique, mais aussi dans l'espace en général. Il explique ainsi qu'il y a toujours eu deux logiques autonomes qui collaborent constamment : le designer et l'industrie. Il voit le designer comme un collaborateur non homogène de l'industrie. Mais c'est une bonne chose pour Andrea Branzi. Le Designer apporte son intention de changer la société et sa sensibilité au marché ; c'est cet échange entre les deux corps qui est important pour lui. Andrea Branzi se voit lui-même comme un Designer autonome : « Je ne suis ni en marge, ni en opposition. Je travail sûrement pour le monde actuel donc l'industrie est là, mais si l'industrie n'est pas intéressée c'est son problème2. »

L'interview se déroule en cinq journées et permet ainsi au designer italien d'étayer ses arguments. Mais surtout, en retraçant son parcours, on comprend l'évolution des idées qui gravitent autour de sa thèse. L'interview ouvre sur ses années universitaires à Florence. L'université lui permet de rencontrer des maîtres à penser et ainsi d'apprendre à penser. Ses professeurs ont été d'une grande influence mais il prend position très vite, et développe une pensée radicale et marginale. Dans la deuxième journée on comprend que la naissance de la post-modernité et les années de plomb italiennes ont participé à « une crise du Design3 ». Lors de cette période de fort conflit générationnel et d'idéologies de masses, le marché continue son essor exponentiel. La ville devient un grand marché dont les produit sont les protagonistes principaux. No-Stop City est une réponse à ces bouleversements historiques. Ce projet prône l'acceptation de cette condition de masse mais aussi de l'histoire : « comme dit Nietzche : il faut accepter l'histoire4. » Le designer italien prend appui sur l'artiste Pop Richard Hamilton pour étayer cette vision, celle d'une position heureuse et positive face à l'histoire. En somme, No-Stop City est un projet important pour sa thèse car elle permet de comprendre l'origine de cette idée d' « autonomie du design ». La troisième journée souligne l'importance des écoles au sens premier comme au sens figuré. Pour lui, l'histoire du design moderne est une histoire d'école. En effet, l'idée du « Nouveau Design » est née du combat contre les post-modernes italiens à l'intérieur même du mouvement radical. C'est autour de cette idée qu'est né le studio post-radical Alchimia. Sans grande ambition industrielle, ce laboratoire artisanal permit d'esquisser de nouveaux langages. Ce dernier a été plus un succès d'estime qu'économique. À l'inverse, Le studio Memphis piloté par Ettore Sottsass a connu un retentissement médiatique à l'échelle internationale. Memphis est un point d'orgue5 pour le nouveau design et le développement du « Nouveau Language ». Lors de la quatrième journée, Andrea Branzi continue d'étoffer cette idée d'autonomie, notamment celle des objets et de leurs relations au monde. Dans un premier temps, il voit les collections comme une famille d'objets dont les membres sont différents les uns des autres. Il introduit cette idée au travers de son projet Animali domestici. Les objets ne sont pas que des objets fonctionnels mais peuvent être vus comme une présence animale, comme des « animaux domestiques » vivant autour de l'homme, d'où le nom Animali Domestici. On comprend ensuite l'importance d'une vision anthropologique des objets pour le designer italien. Ces objets sont pensés non seulement en autonomie mais aussi en relation avec le monde, notamment les humains et par extension ses mythes. Il prend l'exemple des objets trouvés à Pompéi dont les sièges sont ornés de pieds d'animaux et de têtes de lions. Enfin, dans la cinquième journée, on revient sur les points importants de la réflexion designer. Il souligne l'importance de s'intéresser à la vie quotidienne de chacun mais surtout l'importance de la théorie pour un Designer.

Un des concepts clés de cet ouvrage est la notion d'école. Pour comprendre cela, il faut revenir en 1982, à la fondation de la Domus Academy, une école « post-graduate » qui s'intéresse à aux thématiques post-industrielles. Certes, cette école a été fondée sur le même raisonnement que l'école d'Ulm. Mais la Domus Academy se concentre sur deux axes, l'axe réflexif, c'est-à-dire se poser des questions sur la formation en design, et l'axe inventif, soit développer de nouvelles métrologies de travail. Ce projet nous illustre l'idée que Andrea Branzi se fait du concept d'école. Le rôle d'une école ne tient pas tant aux projets qui sont réalisés qu'à la philosophie qu'elle transmet. Cette dernière doit être novatrice par rapport à l'histoire. C'est pour cela qu'une école ne doit pas dépasser dix ans, car ce n'est pas qu'un simple espace de transmission pédagogue mais un ensemble dogmatique de valeurs et de pratiques. Une fois que l'école transmet cela, elle n'a plus lieu d'être.

La notion de modernité fait partie du point de départ de ses réflexions. Ses professeurs notamment parlaient de modernité mais ne s'arrêtaient qu'au niveau du signe ou de la forme. Andrea Branzi, quant à lui, voyait la modernité comme un ensemble qui dépasse ces éléments ; il parle de réorganisation bien plus drastique que cela, c'est-à-dire qu'il s'agit non seulement réorganiser les rapports d'espace dans la ville mais aussi les rapports entre les humains et les objets. Cela lui permet d'introduire ensuite son influence du Pop Art sur ses projets, influence qui lui a permis d'inclure une dimension commerciale à ces derniers.

Tout le long de l'ouvrage, Andrea Branzi revient sur l'importance de la théorie de design. Il prend appui sur Droog Design dont il critique le manque d'épaisseur théorique tout en reconnaisant que « Droog pourra sans doute rester comme le dernier des groupes « radicaux ». À mon avis, les Droog sont la meilleure et la dernière équipe du siècle passé6. »

En effet, aux Pays-Bas, il n'y pas de théorisation du design : cette dernière est vue comme une sorte de bricolage, on est plus dans « le faire » que « le penser ». Mais pour marquer son époque il faut aller au-delà de cela, c'est-à-dire au-delà de faire du design, il faut le penser. Il nuance cepednant son propos en déclarant qu'il voyait la « droog'attitudisation » du design comme positive. Cela montre qu'il y a une jeune génération qui continue de designer et tente de voir le monde différemment.

Youssef, DOUIEB, Licence 3 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. Andrea BRANZI. Transmission#1, Paris-Saint-Étienne, Les éditions de l'amateur, La Cité du Design, Interview avec Catherine Geel, 2006, p. 23. 

  2. Andre BRANZI. Transmission#1, op. cit., p. 36. 

  3. Ibidem, p. 21. 

  4. Ibid, p. 24. 

  5. Id, p. 44. 

  6. Id, p. 76.