1. Définition

Donner une définition générale des cultural studies est difficile, dû au foisonnement de disciplines que celles-ci englobent avec une volonté de rejeter les cadres interdisciplinaires. Mais aussi, car elles reposent sur le concept très changeant et hétérogène de « culture » ou « des cultures » et des rapports de pouvoir qui la composent et la créent. Dans leur article d’introduction aux cultural studies, Armand Mattelart et Érik Neveu définissent le rapport des cultural studies à la culture (et comment celles-ci ont redéfini le terme) :

« On peut qualifier alors l’émergence des Cultural Studies comme celle d’un paradigme, d’un questionnement théorique cohérent. Il s’agit de considérer la culture au sens large, anthropologique, de basculer d’une réflexion centrée sur le lien culture-nation à une approche de la culture des groupes sociaux. Si elle demeure fixée sur une dimension politique, la question centrale est alors de comprendre en quoi la culture d’un groupe, et d’abord celle des classes populaires, fonctionne comme contestation de l’ordre social ou à l’inverse comme mode d’adhésion aux rapports de pouvoir. »

Armand, MATTELART et al., « Introduction ». Introduction aux Cultural Studies, La Découverte, 2008. p.3-7.

Les cultural studies seraient donc l'étude de ces luttes et lieux de pouvoir au sein de différents groupes sociaux (cultures d’hégémonie ou de contre-hégémonie, pour reprendre le projet de la pensée de Gramsci)1. La mission des culturals studies est l'étude même de ces tensions interculturelles. Les cultural studies ont ainsi pour but de créer de nouveaux sujets d'études et de nouveaux sujets politiques jusqu'alors négligés et d'étudier leur production et consommation culturelle, cela englobe la culture dite légitime mais aussi un ensemble d’habitudes anthropologiques :

« En examinant comment la culture est utilisée et transformée par des groupes sociaux « ordinaires » et « marginaux », les Cultural Studies les considèrent non plus simplement comme des consommateurs, mais comme des producteurs potentiels de nouvelles valeurs et de langages culturels. Cet accent mis sur les relations de consommation et de socialisation des biens met au premier plan la centralité des médias de communication dans la vie quotidienne.»

Stéphane, VAN DAMME, « Comprendre les Cultural Studies: une approche d'histoire des savoirs », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2004/5 no 51-4bis, 2004. p.48-58.

Les cultural studies englobent d'autres études, elles sont autant un projet politique de réévaluation de la culture que de développement d'une méthode d'analyse et de démarche scientifique. C’est également un projet de reformation des sciences humaines, de décloisonnement des disciplines et champs universitaires qui dans certains textes s'auto-définit comme une « anti-discipline ».

Les études culturelles ne visent pas à se voir accorder leur propre domaine universitaire mais à pénétrer et tous les domaines déjà préexistants et à venir. En se basant sur l'ouvrage fondateur des cultural studies par John Clarke, Stuart Hall, Tony Jefferson et Brian Roberts, Resistance through Rituals : Youth subcultures in Post-War Britain, Anne Chalard-Fillaudeau, les définirait d'ailleurs en ces termes, mettant en avant l'aspect méthodologique de cette entreprise :

« Les Cultural Studies œuvrent à la rénovation des approches scientifiques traditionnelles dans le but d’éclairer les relations entre l’humain et le culturel et d’analyser les schèmes culturels de façon plus contextuelle et pragmatique. »

Anne, CHALARD-FILLAUDEAU, « Cultural Studies », Les études culturelles, Presses universitaires de Vincennes, 2015. p.9-50.

2. De l'anglais au français

Le terme cultural studies vient de l’anglais (souvent gardé tel quel en français). Dans son sens original, cette notion est développée par des champs d'étude sociologique des années 50 au Royaume-Uni. Il pourrait être traduit par « études culturelles » ou « études de la culture » ou « études des cultures ». Ces termes sont parfois employés comme synonymes en français, mais toujours dans un sens très proche de son origine anglophone. Cela semble être une exception du français par rapport à d'autres pays, notamment si l’on se penche sur le terme allemand beaucoup plus fréquemment traduit qu'en français, Kulturwissenschaft.

Ce dernier est certes doté d’un sens subtilement différent des cultural studies, car descendant de l'histoire ou de l'anthropologie et s’étant développé aussi en parallèle de de la notion anglaise. Les disciplines qui en découlent gardent elles aussi leur penchant anglophone (queer studies, post colonial studies, critical white studies).

« cultural studies, interdisciplinary field concerned with the role of social institutions in the shaping of culture. » 2

The Editors of Encyclopaedia Britannica, "cultural studies.", Encyclopedia Britannica, en ligne, consulté le 10/11/2024, URL: https://www.britannica.com/topic/cultural-studies

Le sens original de cultural studies descend du projet méthodologique que met en place Richard Hoggart dans son ouvrage fondateur des cultural studies, La culture du pauvre, 1957 qui étudie les classes populaires ouvrières anglaises des années 50. L’auteur y re-définit les horizons de la culture ; on retrouve dès cet ouvrage les intentions de décloisonnement des disciplines mêlant sociologie et études des médias :

« The critical analysis of the texts and practices of everyday life in contemporary society: an interdisciplinary enterprise involving both the humanities and the social sciences. Its territory (in the current context significantly overlapping with that of media studies, film studies, and communication studies) includes: mass culture (or popular culture), consumer culture, the culture industry, and cultural production and reproduction. [...] It can be seen partly as a reaction against the cultural elitism and the Frankfurt school's bleak stance on mass culture3. »

Daniel, CHANDLER, and Rod MUNDAY. "cultural studies." In A Dictionary of Media and Communication. : Oxford University Press, 2011.

Le terme fait donc référence à une méthodologie historiquement anglaise, mais aussi à la signification très spécifique du mot et concept de « culture » dans celle-ci. Un des premiers textes du futur directeur du Centre for Cultural Studies, Raymond Williams, porte justement sur la signification historique précise de ce mot et son évolution en anglais, du 19ème siècle aux années 50. Et c’est cette histoire qui sera implémentée dans ce sens-là aux cultural studies :

« Before this period, it had meant, primarily, the 'tending of natural growth', and then, by analogy, a process of human training. But this latter use, which had usually been a culture of something, was changed, in the nineteenth century, to culture as such, a thing in itself. It came to mean, first, 'a general state or habit of the mind', having close relations with the idea of human perfection. Second, it came to mean 'the general state of intellectual development, in a society as a whole'. Third, it came to mean 'the general body of the arts'. Fourth, later in the century, it came to mean a whole way of life, material, intellectual and spiritual'. [..] Where culture meant a state or habit of the mind, or the body of intellectual and moral activities, it means now, also,a whole way of life4. »

Williams RAYMOND, Culture and society, 1780-1950 (New York: Columbia University Press, 1983) P.10.

On peut suspecter au premier abord que l’intérêt tardif pour de telles études en France est la raison de la conservation du terme anglais et ses dérivés. Ce texte nous montre que c'est donc dans le sens de ce « mode de vivre total » que l'on prend le mot culture dans les cultural studies, et cette définition provient intrinsèquement du développement étymologique et politique du concept de culture en Angleterre.

D'ailleurs, depuis son apparition, le terme en français a pris de nouvelles connotations et missions dans les champs d'études qui le pratiquent. Comme le dit Raymond Williams, elles sont voués à se modifier nationalement car cela permet un prisme d'analyse intrinsèque au système politique de valeur qui les produit :

« L’un des mérites des cultural studies en France est de politiser les savoirs en général et les disciplines en particulier, pire encore, de fissionner le réacteur républicain en activant des théorisations et des pratiques culturelles et politiques en chaîne venues des marges : les études post-coloniales, les féminismes[...], les gender studies et toutes les études issues de l’intégration. »

Marie-Hélène, BOURCIER. « Cultural Studies et politiques de la discipline : talk dirty to me ! ». Sexpolitiques Queer Zones 2, La Fabrique Éditions, 2005. p.9-32.

3. Explication du concept et problématisation

Comme mentionné plus haut, les cultural studies découlent donc des études des classes ouvrières anglaises dans les années 50, très alliées aux idées du courant politique de la New Left dans laquelle beaucoup de ses premiers penseurs se retrouvent, avant de se solidifier en un champ d'étude concret au travers de l'établissement du Center for Cultural Studies de Birmingham - ou école de Birmingham - en 64. Son projet idéologique est une réponse et une opposition à l'école de Francfort sur les théories de la « culture de masse ». Avec l'impulsion des mouvements féministes, les études se diversifient davantage durant les années 70, avec la constitution d’un groupe de Women’s Studies au sein du CCS en octobre 1974. Les cultural studies se fragmentent encore plus pour étudier les cultures et les sous-cultures (dans le sens de subculture).

Malgré la frilosité des champs d’études français à s'intéresser aux cultural studies, dûe à un refus général de décloisonner les domaines d'études académiques, il existe pourtant depuis une dixaine d'année une revue dédiée aux cultural studies dans l'art et le design contemporain en France, montrant l'intérêt essentiel des études culturelles avec les champs artistiques qui, comme au royaume unis, sont les premier a être examiné.

« On a longtemps parlé d’exception française pour évoquer le manque d’intérêt des recherches en sciences humaines pour les Études culturelles (au sens anglo-saxon de Cultural studies). Rares sont, encore aujourd’hui, les chercheurs en histoire de l’art, arts plastiques ou esthétique qui s’y intéressent. Ce ne sont pourtant pas les sujets qui manquent dans une société comme la nôtre qui se pique d’être à la pointe de toutes les avancées en matière de culture (et de recherches sur la culture). »

Jérôme, GLICENSTEIN.« ‪Éditorial‪ ». Marges, 2013/1 n° 16, 2013. p.5-7, en ligne, consulté le 22/02/2025, URL : https://shs.cairn.info/revue-marges-2013-1-page-5?lang=fr.

Le but des cultural studies est d'examiner les rapports de force au sein de la culture et des sous-cultures, pour déterminer les conflits qu'elles recèlent car elles sont aussi un terrain de lutte idéologique. Leur étude se concentre surtout sur la culture hégémonique et ces pratiques esthétiques où l'« accent mis sur les relations de consommation et de socialisation des biens met au premier plan la centralité des médias de communication dans la vie quotidienne.5 »

Les productions culturelles comme le cinéma ou la pub deviennent l'objet d'étude et l'arme d'analyse premières des culturals studies en décloisonnant basse et haute culture. Désormais les culturals studies ouvrent sur d'autres études ou studies, qui peuvent se concentrer sur un groupe social ou un médium en particulier comme le jeu-vidéo ou encore les productions diverses de design.

Lena Coffy, Master 1 « Cinéma et audiovisuel », Université Lumière Lyon 2 , supervisée par Occitane Lacurie, 2024-2025


  1. « L’apport majeur de Gramsci réside dans son usage du concept d’hégémonie, issu de la tradition marxiste et que l’on trouve sous une forme différente dans les écrits de Lénine. Chez Gramsci, l’hégémonie revêt deux significations principales. Elle est d’abord le processus de formation d’un consentement par lequel une classe accède au pouvoir, processus caractérisé par ce qu’il appelle une « révolution du sens commun ». Celle-ci consiste en une transformation idéologique, c’est-à-dire une modification de la conception du monde. Pour Gramsci, le terme d’idéologie n’est pas chargé négativement, il renvoie plutôt à la lutte culturelle sur laquelle tout projet politique de transformation doit nécessairement s’appuyer pour parvenir à son but. D’autre part, l’hégémonie désigne un mode d’exercice du pouvoir caractérisé par un équilibre entre « société civile » et « société politique ».
    Maxime,CERVULLE. Nelly QUEMENER et al. « Chapitre 1. Culture ». Cultural Studies - 2e éd. Théories et méthodes, Armand Colin, 2018. p.13-39.  

  2. Nous traduisons : « Les Études culturelles, domaine interdisciplinaire qui s'intéresse au rôle des institutions sociales dans le façonnement de la culture. » 

  3. Nous traduisons : « L'analyse critique des textes et des pratiques de la vie quotidienne dans la société contemporaine : une entreprise interdisciplinaire impliquant à la fois les sciences humaines et les sciences sociales. Son domaine (qui, dans le contexte actuel, recoupe largement celui des études sur les médias, du cinéma et de la communication) comprend : la culture de masse (ou culture populaire), la culture de consommation, l'industrie culturelle, ainsi que la production et la reproduction culturelles. [...] Elle peut être considérée en partie comme une réaction contre l'élitisme culturel de Leavis et la position pessimiste de l'école de Francfort à l'égard de la culture de masse. » 

  4. Nous traduisons : « Avant cette période, ce terme désignait principalement le « soin apporté à la croissance naturelle », puis, par analogie, un processus de formation humaine. Mais cette dernière acception, qui désignait généralement la culture de quelque chose, a évolué au XIXe siècle pour désigner la culture en tant que telle, une chose en soi. Elle a d'abord pris le sens de « état général ou habitude de l'esprit », en lien étroit avec l'idée de perfection humaine. Ensuite, il a pris le sens de « l'état général du développement intellectuel dans une société dans son ensemble ». Troisièmement, il a pris le sens de « l'ensemble des arts ». Quatrièmement, plus tard dans le siècle, il a pris le sens d'un mode de vie complet, matériel, intellectuel et spirituel. [..] Alors que la culture désignait un état ou une habitude de l'esprit, ou l'ensemble des activités intellectuelles et morales, elle désigne désormais également un mode de vie total. » 

  5. Stéphane, VAN DAMME.« Comprendre les Cultural Studies: une approche d'histoire des savoirs ». Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2004/5 no 51-4bis, 2004. p.48-58