1. Définitions
Selon Le Robert, l’ «acculturation » est un « processus par lequel une personne ou un groupe assimile une culture étrangère à la sienne1». Associé au domaine de la didactique, nous pouvons comprendre que cette notion désigne le processus par lequel un individu apprend et intègre des changements dans la façon de se comporter, de travailler, de penser ou encore de se divertir.
Cette notion issue du domaine des sciences humaines et sociales apparaît notamment dans Le Jeu de la Guerre de Guy Debord. L’émancipation comme projet, écrit par Emmanuel Guy. Conçu à partir de 1958, il s'agit d’un jeu de plateau de 500 cases et de 17 pièces. Asymétrique, le plateau rend nécessaire une inégalité de départ entre les deux joueurs, comme c’est bien souvent le cas lors d’une guerre à mener. Le principe est simple : détruire l’entièreté du potentiel militaire de son adversaire. Outil stratégique et exercice théorique et pratique, il doit selon Guy Debord permettre aux acteurs de la révolution de se familiariser au combat, afin de se dresser contre la société de consommation contemporaine. Dans l’après-guerre, la classe moyenne bourgeoise possède les moyens de production et est alors en position de force. Il en va donc de la survie des travailleurs de se dresser contre le pouvoir en place en comprenant la stratégie de l’ennemi et la façon dont celui-ci exerce son pouvoir. La notion d’« acculturation » est employée de la façon suivante :
« L’objectif est donc de comprendre en quoi un objet, en l’occurrence un jeu, peut participer d’une acculturation à une discipline, la stratégie, qu’il semble plus urgent que jamais de ne pas laisser à ceux qui ont d’habitude l’honneur de la pratiquer […] ».
GUY, Emmanuel, Le Jeu de la guerre de Guy Debord. L’émancipation comme projet, Paris, Éditions B42, coll. « Sciences Humaines », 2020, p. 14.
Nous le retrouvons quelques pages plus loin :
« Ainsi, nous pouvons dire que la guerre d’Algérie fut [pour le jeune Debord] […] le terrain d’une acculturation stratégique ».
GUY, Emmanuel, Le Jeu de la guerre de Guy Debord. L’émancipation comme projet, Paris, Éditions B42, coll. « Sciences Humaines », 2020, p. 47.
Nous pouvons donc retenir que l’acculturation renvoie à l’apprentissage de quelque chose qui, à l’origine, nous est étranger.
2. De la langue d’origine au français
Le terme d’« acculturation » est nord-américain. Il apparaît semble-t-il pour la première fois de la façon suivante :
« The force of acculturation under the overwhelming presence of millions [of Europeans] has wrought great changes. Primitive Indian society has either been modified or supplanted, primitive religions have been changed, primitive arts lost, and, in like manner, primitive languages have not remained unmodified2 ».
POWELL, Wesley John, Introduction to the study of Indian languages (seconde édition). Washington, D.C.: « U. S. Government Printing Office », 1880, p. 46.
Il définit les relations entretenues entre le peuple indien dit « primitif » et les peuples d’Europe. L’emploi du terme « primitif », courant au XIXe siècle, met en lumière l'idée selon laquelle le peuple indien serait moins avancé que les peuples d’Europe et donc moins enclin à inscrire leur culture de manière pérenne face à la présence des Européens. Comme dans l’ouvrage d'Emmanuel Guy, nous retrouvons un rapport de force entre deux sujets, l'un étant à première vue plus puissant que l’autre.
Mais le terme peut aussi s’entendre de façon positive :
« Instead of making the immigrant ashamed of the customs of his homeland, democratic acculturation dignifies his role as a liaison person between cultures3 ».
BOGARDUS, Emory, Cultural pluralism and acculturation. « Sociology and Social Research », n°34, 1949, p. 127 sq,
Dans ce second extrait, l’auteur met en valeur une théorie de l’acculturation selon laquelle un immigrant étant le produit de deux cultures parfois antithétiques, peut s’enrichir par l’acculturation. Ces dites cultures peuvent cohabiter voire s'entrecroiser avec succès.
3. Explication du concept et problématisation
Le concept d’ « acculturation » apparaît en 1880 dans l’ouvrage de John Wesley Powell Introduction to the study of Indian Languages4. Il trouve donc ses racines dans l’histoire du colonialisme européen. À l’époque, le terme suggère que les cultures dites « primitives » sont modifiées mais avant tout enrichies, par leur contact avec des cultures dites « avancées » ou « civilisées ». Il s’agit à ce moment-là de l’histoire de cerner un (soi-disant) processus d’évolution psychologique par lequel les peuples primitifs évoluent en imitant les compétences, les techniques, les idées d’une société plus avancée. Le concept est donc teinté par l’ethnocentrisme des chercheurs de l’époque. Depuis 1950, le concept renvoie plus largement au domaine des sciences humaines et sociales. En français, nous parlerons plutôt « d'interpénétration des civilisations ». Cette expression a l’avantage de s’éloigner de la connotation coloniale, en valorisant un aspect bidirectionnel, là où le terme d’acculturation soulignait le caractère unilatéral de l’échange.
Pour finir, nous pouvons par exemple faire le lien entre notre notion et le champ du design graphique. En effet, l’apprentissage du design graphique s’appuie souvent sur la reconnaissance de nombreux créateurs occidentaux. Ainsi, cela efface parfois l'influence d’autres cultures et d’autres designers afin de définir des styles dit purement « à la suisse » ou encore « à l'américaine ». Or, en posant un regard critique sur notre approche du graphisme, nous pourrions venir nous enrichir et reconnaître l’influence d’autres cultures. Par exemple, si Saul Bass ou Raymon Loewy ont su obtenir une reconnaissance internationale, le graphiste et directeur artistique afro-américain Emmet McBain est bien plus rarement mentionné lors de l’apprentissage de la discipline. Le design graphique reste encore trop enseigné comme étant l’affaire d’une culture blanche et occidentale.
Arlette THIERION, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.
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https://dictionnaire.lerobert.com/definition/acculturation, consulté le 9 novembre 2021 ↩
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En français, la citation peut s’entendre ainsi : « Sous l'effet de la présence de millions d’Européens, le poids de l’acculturation a provoqué d’importants changements. La société indienne primitive en a été modifié voire détrôné, les religions primitives ont changé, les arts primitifs ont été perdus et, de la même façon, les langues primitives ne sont pas restées inchangées. » Traduit par nous. ↩
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En français, nous pouvons traduire l’extrait ainsi : « Plutôt que de rendre l’immigrant honteux des coutumes de son pays d’origine, l’acculturation démocratique valorise le rôle de liaison entre les cultures. » ↩
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POWELL, John Wesley, Introduction to the study of Indian languages, with words, phrases and sentences to be collected, « Introduction Smithsonian Institution. Bureau of American Ethnology », n°2, Washington, 1880. ↩