1. Définition

Avant de définir « Intelligence artificielle » attardons nous sur la définition des deux mots qui composent cette notion. « Intelligence » est un nom féminin emprunté au latin intelligentia (« comprendre »), désignant une « fonction mentale d’organisation du réel en pensées chez l’être humain, en actes chez l’être humain et l’animal. » « Artificielle » est un adjectif qui provient du latin artificialis (« fait avec art »), désignant ce « qui est dû à l’art, qui est fabriqué, fait de toutes pièces ; qui imite la nature, qui se substitue à elle ; qui n’est pas naturel. »
Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, consulté le 25/10/2021, URL : https://www.cnrtl.fr/definition/intelligence, https://www.cnrtl.fr/definition/artificielle

L’intelligence est donc pour l’humain une capacité d’appréhension du réel qui émerge dans le cerveau, le lieu de la pensée. L’artificiel est le fruit de l’intelligence, il ne la préexiste pas car il n’est pas naturel, il est inventé et créé par une faculté de compréhension du réel. C’est grâce à l’intelligence que l’humain trouve du sens au réel et qu’il a recours à l’artificiel pour s’en accommoder.

Une définition plus unitaire et complète peut être trouvée dans Le Robert :

« Intelligence artificielle » désigne l’« ensemble des théories et des techniques développant des programmes informatiques complexes capables de simuler certains traits de l’intelligence humaine (raisonnement, apprentissage…) »

D’après Le Robert. Dico en ligne, consulté le 25/10/2021, URL : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/intelligence

L’IA est l’œuvre de l’humain qui essaye de comprendre le fonctionnement de sa propre intelligence afin de la reproduire informatiquement. Un basculement s’opère, l’intelligence préexistait l’artificiel, aujourd’hui l’intelligence peut être le fruit de l’artificiel.

Antoine Buéno et Alexei Grinbaum permettent d’éclairer la notion à travers ces trois citations :

« Comme l’explique Tegmark, comprendre le fonctionnement de l’intelligence humaine n’est pas un prérequis pour progresser en matière d’IA. »

« L’IA pourrait être une ruse de l’histoire. Conçue par l’homme, un être qui ne peut être qualifié d’intelligent mais qui utilise l’intelligence, l’IA pourrait consacrer le triomphe de cette dernière en faisant disparaître son créateur. »

BUÉNO, Antoine, Futur. Notre avenir de a à z, Paris, Flammarion, coll. Documents-témoignages 2020, p. 445, 433.

D’après Antoine Buéno l’IA et l’intelligence ne gagnent pas à s’imiter car elles sont différentes. L’intelligence est une capacité naturelle chez l’humain tant dis que l’IA n’est pas à proprement parlé intelligente au sens où elle ne comprend pas ce qu’elle fait, elle applique des principes de l’intelligence.

« L’intelligence artificielle n’est ni libre ni dotée d’une volonté. Elle ne peut définir ses propres objectifs. Elle apprend à partir de données dépourvues, pour elle, de toute signification « humaine ». Sa puissance de calcul lui permet d’y trouver des corrélations qu’aucun homme ne pourra jamais mettre au jour, avec la même célérité, avec la même habilité. »

GRINBAUM, Alexei, Les robots et le mal, Paris, Desclée de Brouwer, coll. Essais-Documents, 2019, p. 12-13.

Alexei Grinbaum confirme la non-intelligence de l’IA. On pourrait même se risquer à qualifier l’IA de bête au sens où elle applique des principes de l’intelligence sans les comprendre car « intelligence » provient du latin intelligentia : comprendre. Cependant l’auteur souligne que grâce à cette forme de bêtise, l’IA dépasse certaines capacités de l’intelligence humaine notamment pour le traitement de l’information. L’intelligence est donc le propre de l’humain, qualifier les procédés informatiques qui utilisent les principes de l’intelligence d’IA est un abus de langage car ces machines ne sont pas à proprement parlé intelligentes, elles s’inspirent du fonctionnement de l’intelligence pour exceller dans certaines tâches.

2. De la langue d’origine au français

IA est une traduction de l’anglais Artificial Intelligence ou A.I. dont le sens a traversé les langues comme nous pouvons le constater grâce aux citations suivantes :

« An artificial intelligence need not much resemble a human mind. AIso could be—indeed, it is likely that most will be—extremely alien1

« The conventional wisdom among artificial intelligence researchers is that intelligence is ultimately all about information and computation, not about flesh, blood or carbon atoms. This means that theres no fundamental reason why machines cant one day be at least as intelligent as us2. »

« A superintelligent AI is by definition very good at attaining its goals, whatever they may be, so we need to ensure that its goals are aligned with ours3. »

Cependant, on constate que les deux termes sont inversés ; cela est dû à des différences de règles grammaticales entre les langues, en anglais l’adjectif se situe toujours devant le nom. Ces différences n’ont pas d’incidences sur le sens de la notion. La similarité entre l’intelligence humaine et l’IA est tout autant discutée, la définition et la compréhension de l’intelligence est tout aussi problématique et la crainte de l’emprise de l’IA sur l’humain est tout aussi présente.

3. Explication du concept

L’intelligence artificielle, expression apparue en 1956, désigne la capacité d’une machine, plus précisément d’un système informatique, à penser et à imiter les capacités cognitives du cerveau humain. Le qualificatif « artificielle » montre bien qu’il s’agit d’une intelligence créée de toute pièce, dont les facultés ne cessent de s’améliorer au gré des innovations technologiques. Néanmoins le perfectionnement de l’IA se confronte à des problématiques qui dépassent parfois le champ des technologies, comme la définition de l’intelligence. Car, en réalité, une fois l’anthropomorphisme mis de côté, les dispositifs numériques semblent s’inspirer de l’intelligence humaine pour en développer une autre. L’intelligence de l’IA réside dans sa performance de traitement de l’information. Au regard de cette capacité, par exemple, elle est bien plus performante que l’humain et donc plus intelligente. Seulement l’IA a une approche asémantique de l’information, c’est-à-dire qu’elle n’attribue pas de sens aux informations qu’elle traite comme l’explique Alexei Grinbaum4, contrairement à nous, de ce point de vue elle est donc moins intelligente. Le défi réside dans cette capacité sémantique des dispositifs numériques. Il faut toutefois noter que le courant de pensée majoritaire projette que la clef de l’IA ne réside pas dans le mimétisme mais bien dans l’émancipation d’une autre intelligence comme la pensée d’Antoine Buéno et de Nick Bostrom le montre, car copier nos modes de pensés pour les rendre plus performants revient à programmer l’obsolescence de notre forme d’intelligence.

4. Problématisation

Alexei Grinbaum consacre une partie de Les robots et le mal, à l’élaboration du statut juridique de l’individu numérique pour déterminer qui est responsable de ses actes : lui-même ? Le programmeur ? L’utilisateur ? Alexei Grinbaum décrète que cette responsabilité ressemble par homologie à la responsabilité noxale (un individu est responsable des actes d’un autre ou d’une chose lorsqu’il le ou la possède). La problématique de la responsabilité de l’IA se retrouve aussi dans le domaine de l’art lorsqu’elle intègre le processus de création, notamment dans le champ du numérique. Qui est responsable et à qui appartient la création et qui en est l’auteur ? l’IA ? Le programmeur ? L’utilisateur ? Dans la cité numérique, tout n’est qu’information et de fait les notions d’authenticité, de rareté et de propriété ne font pas sens car elle est faite pour être démultipliée, partagée et possède le don d’ubiquité. De fait, au même titre que les concepts de bien et de mal, la création ne devrait-elle par rester que purement humaine ? Ou faut-il transposer la démonstration de Alexei Grinbaum à propos de la responsabilité noxale ?

« Démultiplié », « partagé », « ubiquité », n’est-ce pas là des mots dans lesquels est perceptible la nature du design ? Une discipline qui consiste à produire des objets en série, afin qu’ils soient présents dans tous les foyers en même temps. Ne sont pas là les prémices d’une homologie entre design et information dans la cité numérique ? Homologie à travers laquelle le design attendrait son paroxysme grâce à l’IA ? Car en design la question de l’originalité de l’objet ne se pose pas, son propre est d’être copié et l’informatique accélère les procédés de reproductions.

5. Illustration

Figure 1. IA, Karim ALLAIN

Karim ALLAIN, Master 2 « Design, Arts et Médias » Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. « Une intelligence artificielle ne doit pas nécessairement ressembler à un esprit humain. Elle peut être - et il est probable que la plupart le seront - extrêmement étrangère. » (Traduit parmes soins).
    BONTROM, Nick, Superintelligence. Paths, Dangers, Strategies, Oxford, Oxford university press, 2014, p. 29. 

  2. « La sagesse populaire parmi les chercheurs en intelligence artificielle consiste à dire que l'intelligence est finalement une question d'information et de calcul, et non de chair, de sang ou d'atomes de carbone. Cela signifie qu'il n'y a aucune raison fondamentale pour que les machines ne puissent pas un jour être au moins aussi intelligentes que nous. » (Traduit par mes soins).
    TEGMARK, Max, Life 3.0. Being human in the age of artificial intelligence, New-York, Alfred A. Knop, Science, 2017, p. 77. 

  3. « Une IA superintelligente est par définition très douée pour atteindre ses objectifs, quels qu'ils soient, et nous devons donc veiller à ce que ses objectifs soient en phase avec les nôtres. » (Traduit par nous).
    TEGMARK, Max, Life 3.0. Being human in the age of artificial intelligence,op. cit.*, p. 61. 

  4. GRINBAUM, Alexei, Les robots et le mal, Paris, Desclée de Brouwer, coll. Essais-Documents, 2019, p. 80.