1. Définition

La notion de « living design » peut se comprendre d’après Living art, fondations, ouvrage de Florent Aziosmanoff1. Dans cette notion se trouvent deux termes. Le « living », provenant de l’anglais living, comme dans living-room (« pièce où l'on vit ») et le « design », proche du mot français dessein (« Projet de faire quelque chose, intention, but que l'on se propose »). Le mot « living » désigne le fait de vivre avec le champ d’application en question. Le « living design » désigne le fait de vivre avec le design, le living art désigne le fait de vivre avec l’art, le living game désigne le fait de vivre avec le jeu vidéo, etc. C’est un terme universel, tout au moins transversal, à tous les champs d’application qui peut désigner des projets ou des œuvres «vivantes, autant qu’elles sont à vivre (expérience) ».

Le living au sens large, le living design dans notre cas, est de nos jours investi de mécanismes animés par intelligence artificielle. Les projets de cette nouvelle forme de design sont dotés d’une « autonomie simulée » (dispositif autonome dans son développement, mais dépendant de l’humain lors de sa création et dans sa survie) et sont sensibles à leurs environnements. Le living porte donc une importance particulière sur l’esthétique par son étude de la science du sensible. Cette forme de design est une évolution du design interactif provoqué par l’appétence du public pour vivre plus intensément les expériences proposées et une sollicitation de tous leurs sens.

2. De l’anglais au langage universel

C’est l’auteur, producteur et théoricien dans le champ de l'art numérique français, Florent Aziosmanoff, l’un des premiers spécialistes de cette forme d’art par intelligence artificielle, qui développe le terme de living art et de living design.

Il souhaite nommer son art, « l’art numérique ». Il est attaché à l’idée que seule sa forme d’art utilisant un comportement autonome correspond au « véritable » art numérique. Il part en croisade étymologique pour montrer que l’art créé par l’outil du numérique n’est en réalité pas un art numérique2. En effet, l’un des exemples courants qu’on associe à cet art est le graphisme. Cependant, pour l’auteur, cet art numérique n’en est pas réellement un, c’est art visuel, mais utilisé avec l’outil du numérique. Il a été vaincu, comme le fut Jaques Vienot3 lors de son combat pour pérenniser le mot « stylisme » et non « design », par la ferveur d’artistes utilisant cet outil. Il décide donc de se concentrer sur un terme à tiroirs pour designer d’autres champs d’application basés sur le même système rationnel à comportement autonome et avec le même principe d’énonciation que le living art.

La notion universelle de « Living Design », quelle que soit son histoire linguistique, sa traduction sera similaire, son sens aussi. C’est ce dont témoigne l’occurrence suivante :

« The service challenges of living design is reached by mobilizing and manipulating the user's behavior. The user participates directly in the realization of the service he receives, and it is also through this experience that the service is experienced.4»

Florent AZIOSMANOFF, Living art, fondations, Paris, CNRS Éditions, 2015, p. 132.

3. Explication du concept

Une œuvre ou un projet de living design est doté d’une autonomie simulée. Un dispositif interactif ou un dispositif à autonomie réalisée n’est pas du living design. Cette forme, créée par un designer, met en relation le dispositif avec le spectateur. Le dispositif est autonome, il réagit à son environnent et aux évènements, il peut se reproduire, il peut se développer et anticiper, mais il restera toujours limiter dans l’enjeu de discours ou l’enjeu de service défini par son créateur.

Pour expliquer ce concept, Florent Aziosmanoff utilise l’exemple de l’œuvre Le silence n’existe pas d’Isabelle Bonté5. Cette œuvre présentait par vidéo une femme d’Afghanistan, voilée. Le spectateur, par curiosité, s'approchait de la femme. Le dispositif détectait le spectateur, la femme se dévoilait donc. Il continuait sa visite après cette satisfaction d’avoir réussi à créer une relation avec la femme. Si une autre personne arrivait, l’expérience continuait. Cependant, si personne ne prenait la place du spectateur dans l’expérience, en s'éloignant, le dispositif représentait la femme se faisant lapider. Puis, il ignorait le spectateur s’il souhaitait corriger son erreur. Dans cet exemple, ce dispositif partage la même réalité que le spectateur, et réagit en conséquence de la réaction du spectateur. Finalement, il sera touché profondément par cette expérience, mais il saura que celle-ci est artificielle grâce à l’autonomie simulée. Il ne tombera pas dans le piège de l’Uncanny Valley6.

4. Problématisation

Dans le design industriel, lorsque nous ne pouvons pas voir la différence entre l’original et la copie, la copie ne perd pas de sa valeur, et c’est peut-être là un des traits du design. Dans le living design, si une œuvre ou un projet réussit à manipuler le spectateur efficacement en créant une relation avec lui, au point où il doute de la réalité partagée, alors cela sera du living design.

Jérémy ELIE, Master 1, « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.


  1. AZIOSMANOFF Florent, Living art, fondations, Paris, CNRS Éditions, 2015, p. 33-34. 

  2. AZIOSMANOFF Florent, Living art, fondations, op. cit., p. 31-34. 

  3. VIENOT Jaques, La Charte de l’esthétique industrielle, 1952, p. 31-34. 

  4. « Analysé du point de vue du living design, l'enjeu de discours, nous dirions ici « l'enjeu de service » est donc atteint par la mobilisation et la manipulation du comportement de cet usager lui-même. Celui-ci participe directement à la réalisation du service qu'il reçoit. Et c'est également au travers de cette expérience que se constitue le « ressenti » du service, à savoir la satisfaction d'avoir rejoint sa destination vite et sans encombre. » Traduit par nos soins. 

  5. AZIOSMANOFF Florent, Living art, fondations, op. cit., p. 87-93. 

  6. « Utilisé pour désigner la sensation désagréable qu'éprouvent certaines personnes lorsqu'elles voient des robots ( : machines capables d'effectuer des actions automatiquement), ou des images d'un être humain créées par un ordinateur , qui ressemblent beaucoup à un humain vivant. » D’après Le Cambridge Dictionary. Dico en ligne, consulté le 16/11/2022, URL : https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/uncanny-valley