1. Définition

La notion d' « open design », est indisponible dans les dictionnaires d'usage courant. Ce terme désigne la fabrication d'objet par des machines et des systèmes numériques, utilisant des plateformes partageant publiquement et gratuitement des fichiers et informations. L'open design est au cœur de l'élaboration de projets utilisant des systèmes immatériels, afin de générer des produits physiques, par le biais de plateformes ouvertes, le tout, animé par des communautés (makers) partageant des pratiques communes (FabLabs, OpenSources).

Tel qu'il est défini par Camille Bosqué dans Open Design, fabrication numérique et mouvement maker, l'open design :

« s'appuie sur l'idée de participation et donne naissance à des pratiques dérivées qui ont pour objectif de simplifier l'accès à des mondes techniques complexes, mais qui maintiennent parfois l'usager à distance, dans une promesse de « démocratisation » qui reste parfois superficielle ou ambivalente. ».

BOSQUÉ, Camille, Open Design, fabrication numérique et mouvement maker, Paris, B42, Collection Esthétique des données, 2021.

L'open design est ainsi motivé par une envie de créer des solutions innovantes, grâce à la collaboration, l'expérimentation et l'accès aux systèmes internes, en temps normal cachés, des objets pour les utilisateurs grâce à des plateformes et machines ouvertes à tous, le tout, encadré par des licences.

2. De l'anglais au français

Le terme d'open design a été importé de la langue anglaise : il se traduit en français par « design ouvert ». « Open », qui renvoi à l'ouverture et à l'accès-libre, inclut une position philosophique sociale dans laquelle les individus et les organisations coopèrent ensemble à des projets, plutôt que de dépendre d'une autorité dont le pouvoir est centralisé. On doit l'origine de cette notion à Victor Papanek qui, en 1971, dans Design for the Real World, traite d'éco-conception et défend le partage des idées et des processus. Cette notion évolue avec l'émergence des technologies numériques et mouvements makers. Ainsi, la logique de l'open design entend la participation, dans le processus créatif, des usagers à leur futur objet et celle d'intervenants transverses au projet, afin de concevoir un produit final non plus élaboré par un corps externe (entreprise privée par exemple) mais bien par des communautés collaboratives éclectiques. Nous pouvons retrouver cette idée dans l'occurrence suivante :

« A revolution in product development, production and distribution is imminent due to the Internet's disruptive nature and the easy access to CNC machines. Open Design is a proposal to make this happen. It's aim is to shift Industrial Design to become relevant in a globally networked information society 1»

KADUSHIN, Ronen, Open Design Manifesto, 2010

Ainsi, l'open design doit agir sur le design industriel afin qu'il s'adapte à une société de partage d'informations constant, entre des réseaux de neurones humains et artificiels. Ronen Kadushin entend la notion d'open design comme une des solutions possibles à la mutation du design industriel, face aux systèmes d'informations réticulaires multiples et numériques internationaux.

3. Explication du concept

L' open design correspond aux mises en œuvre pour le développement de produits physiques par des logiciels open-source. Il s'est développé avec la digitalisation de nos sociétés et, plus particulièrement dans les années 2000, avec la démocratisation du World Wide Web permettant d'échanger et de partager des connaissances, plus rapidement et plus facilement. Le design « open » a pour enjeu d'être en mesure de garantir une finalité et des perspectives déployables et réplicables, notamment en matière de licences (les Creative Commons) ou en matière d'outils de conception (technologies ouvertes).

Selon Ronen Kadushin dans Open Design Manifesto, un projet est open design s'il remplit deux conditions :

  1. Sa conception inclut les systèmes CAO, publiée en ligne sous une licence Creative Commons pour être téléchargée, produite, copiée et modifiée.
  2. S'il est fabriqué directement à partir d'un fichier par des machines CNC2.

L'open design met en jeu la liberté par la possibilité d'exécuter, de modifier des logiciels et programmes comme on le souhaite, mais aussi d'accessibilité, par une conception ouverte donc gratuite pour tous. En d'autres termes, comme l'énonce Camille Bosqué :

« Le design ouvert pourrait être pensé comme un scénario original de conception, de fabrication, de production et de diffusion ; comme un outil, un moyen qui redéfinit de nouveaux rôles et de nouvelles situations de collaborations3 ».

L'open design implique par conséquent l'émergence de nouvelles opportunités commerciales, permettant à des individus de se mettre dans une position de concepteurs, fabricants et entrepreneurs, ce qui modifie les systèmes entrepreneuriaux et commerciaux standards. Une logique « spectaculaire et démonstrative » est à l'oeuvre dans l'open design par le fait qu'il construit des scénarios, par des projets numériques élaborés dont la finalité est d'être partagée, accessible et appropriée.

4. Problématisation

Tandis que la traduction française de l'open design fait implicitement référence à une position philosophique, à savoir l'ouverture, impliquant des enjeux globaux de décentralisation et de non-propriété privée, l'open design, lui, se concentre sur l'accessibilité pour tous aux méthodes de fabrications numérique et sur la liberté des individus vis-à-vis de ces systèmes.

En utilisant les ressources open, qu'elles soient en ligne ou bien dans des FabLabs, l'individu désireux de créer son objet par lui-même devient un concepteur et non plus un pur consommateur. Ce passage d'un état passif à un état actif pose donc les questions suivantes : si tout le monde peut devenir un concepteur et un fabricant, où se situerait le designer dans cette nouvelle dynamique créatrice ouverte ? Doit-il continuer à travailler en parallèle de cette logique d'open design ou, au contraire, doit-il faire en sorte de s'unir à ces systèmes open afin d'aider les individus à bien concevoir et fabriquer leurs objets ?

Et ette démocratisation du design ouvert amène un autre problème, énoncé par Camille Bosqué : la distinction entre l'acte de production et acte de consommation n'est plus claire. L'accessibilité et la diffusion de modèles créatifs créent une immersion dans de multiples domaines de ces pratiques, rendant donc flous les champs d'actions de l'open design. Une « autoproduction » voit le jour qui selon Bernard Stiegler dans Manifeste 2010, publié sur le site de l'association Ars Industrialis4, va dans le sens d'une redistribution indispensable des savoirs afin de tendre vers une « économie de la contribution », et une « individuation », concept énoncé par Gilbert Simondon dans son ouvrage L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information de 19645. Cette redistribution permet donc un accès aux techniques pour les individus afin d'échapper aux puissances industrielles dominantes. Or, cette accessibilité risque d'impliquer une démultiplication de projets futiles et mal conçus. Cette profusion d'objets questionnerait les critères d'évaluation des objets : sur quoi se baser pour considérer qu'un objet d'un maker est pertinent dans son environnement ? Et peut-on réellement établir des critères : ne dépendrait-il pas des besoins de chaque individu ?

Pour éviter cela, il s'agirait d'accompagner les individus dans la conception et fabrication, afin qu'ils s'approprient les outils numériques et obtiennent une connaissance suffisante de ces derniers. Ceci permettrait d'émanciper les utilisateurs des modèles open-sources téléchargeables, afin qu'ils alternent entre fichiers à disposition et créations, modélisations personnelles.

5. Illustration

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Figure 1. Système open design, Florie Souday

Florie SOUDAY, Licence 3 « Design, Arts, Médias », Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. Nous pourrions traduire ainsi :« Une révolution dans le développement, la production et la distribution de produits est imminente en raison de la nature perturbatrice d'Internet et de l'accès facile aux machines CNC. L'Open Design est une proposition pour y arriver. Son objectif est de faire évoluer le design industriel pour qu'il devienne pertinent dans une société de l'information en réseau mondial. »  

  2. KADUSHIN, Ronen, Open Design Manifesto, 2010, https://www.ronen-kadushin.com/open-design-manifesto, site consulté le 16 mars 2022. 

  3. BOSQUÉ, Camille, Open Design, fabrication numérique et mouvement maker, Paris, B42, Collection Esthétique des données, 2021, p. 205.  

  4. STIEGLER, Bernard, Manifeste 2010, association Ars Industrialis, https://arsindustrialis.org/manifeste-2010 

  5. SIMONDON, Gilbert, L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, Paris, Éditions Jérôme Millon, 1964.