1. Définition

Le terme « remédiation » constitue une nominalisation du verbe « remédier », provenant originellement du champ médical, et signifiant :

« traiter par les remèdes appropriés / porter remède à ».

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : https://www.cnrtl.fr/definition/rem%C3%A9dier

Dans les dictionnaires usuels, le nom « remédiation » n'est défini que dans ses acceptions renvoyant aux domaines scolaires et psychologiques.

*« Dans le cadre de l\'école, soutien apporté aux élèves qui ont du mal à acquérir les fondamentaux (lecture, écriture, calcul).

Remédiation cognitive, rééducation des fonctions intellectuelles dites supérieures (apprentissages, comportements sociaux) par des exercices ludiques. (Elle est utilisée dans le champ thérapeutique [lésions cérébrales, par exemple] ou pédagogique [troubles de type DYS, TDHA, etc.].) »*

Dictionnaire Larousse : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rem%C3%A9diation/10910436

Dans le champ du design et de la théorie des médias, le terme a acquis une autre signification, à la suite de l'élaboration de ce concept par Jay David Bolter et Richard Grusin en 1999. Ces auteurs le définissent comme suit :

« Logique formelle par laquelle les nouveaux médias remodèlent des formes médiatiques antérieures1 »

Jay David Bolter, Richard Grusin. Remediation: understanding new media. Cambridge, MIT Press., 1999, p. 273 (notre traduction).

Depuis, le terme a été largement repris :

« L'hypothèse de la "remédiation" s'est imposée dès la fin des années 1990 pour montrer que l'évolution des médias prenait un tour, certes concurrentiel, mais avant tout "citationnel" et relationnel. Chaque média entre dans une relation d'influence et de modélisation réciproques avec les autres. »

Olivier Aïm, « Le transmédia comme remédiation de la théorie du récit ». Terminal. Technologie de l'information, culture & société (112), 2013, p. 46.

« Le processus de remédiation ne se limite pas aux nouveaux médias et les échanges ne permettent pas de recomposer une histoire linéaire des formes dont la sommation nous conduirait au design digital. »

Frédérique Vargoz, Emmanuel Guez, « Une histoire de l'ordinateur du point de vue de la théorie des médias », Cahiers philosophiques 141(2), 2015, p. 64.

Ces emplois nous apprennent que le concept de remédiation permet d'appréhender les interactions permanentes qu'entretiennent les médias entre eux dans des domaines variés, et que l'étude de ces relations ne dessine pas un processus progressif par lequel des médias nouveaux perfectionneraient des anciens.

2. De l'anglais au français

« Along with immediacy and hypermediacy, remediation is one of the three traits of our genealogy of new media2. »

Jay David Bolter, Richard Grusin, op. cit., p. 273.

Ici, Grusin et Bolter lient le concept de remédiation à ceux d'immediacy et d'hypermediacy (respectivement traduits « de manière un peu maladroite3 » par « immédiateté » et « hypermédiateté »), qui ensemble constituent le triptyque au cœur de leur analyse des nouveaux médias. Selon eux, immédiateté et hypermédiateté constituent les deux « stratégies »4 de remédiation. La première consiste pour un nouveau média à procurer une meilleure impression de « transparence »5 que ne le faisait un média précédent, et ainsi à tenter de faire oublier à l'utilisateur l'existence même de la médiation proposée. La seconde, au contraire, ne répond pas à cette quête de transparence, mais plutôt à une fascination pour le processus de médiation à l'œuvre, qui est alors explicitement mis en avant : par exemple, la page internet renvoie à une multitude de fenêtres qui sont autant de remédiation d'autres médias audiovisuels6, et qui se présentent précisément comme n'étant que des fenêtres et non la réalité représentée, afin de souligner l'existence de la médiation au lieu de la dissimuler.

D'origine anglo-saxonne, le terme remediation a sans difficulté été littéralement traduit en français par le mot « remédiation », que l'on retrouve dans la majorité des productions académiques sur le sujet.

On note pour autant quelques rares exceptions : L'orthographe « re-médiation » est parfois employé7, tandis que le professeur d'études littéraires et culturelles Jan Baetens, pour des difficultés sur lesquelles nous reviendrons, préfère le terme de « remédiatisation8 » à celui de « remédiation ».

Le verbe to remediate a quant à lui été traduit par « remédier ». L'emploi de ce terme repose sur un jeu de mots, puisque dans les deux langues, le verbe renvoie à l'action de traitement, de correction, d'apport d'un remède à un problème. Selon Bulter et Grusin, le terme dérive du latin remederi, signifiant « guérir, soigner ». Les auteurs indiquent avoir choisi ce verbe pour exprimer le fait qu'un nouveau média est généralement perçu comme améliorant un autre qui le précède9. Ils se distinguent néanmoins expressément de la conception défendue par des chercheurs comme Paul Levinson10, qui définissent la remédiation comme un processus d'amélioration et de résolution des problèmes dont souffraient d'anciens médias. Bulter et Grusin conservent donc le terme pour signifier que dans la culture populaire -- ainsi qu'au sein d'une partie de la recherche académique -- un nouveau média est considéré comme apportant un remède à un ancien, mais sans adhérer à cette vision, du fait que selon eux, une remédiation ne constitue pas nécessairement une amélioration, et un ancien média peut tout autant remédier un nouveau que l'inverse.

3. Explication et problématisation du concept**

La remédiation est née d'une réélaboration de la thèse selon laquelle « le contenu d'un médium est toujours un autre médium », que Marshall McLuhan énonçait en 196411. Bolter et Grusin en déduisent que « un média est ce qui remédie »12. Ainsi, tout média reprend ou incorpore des éléments des médias qui l'environnent, en les transformant.

Le concept a fait débat. Tout en reconnaissant que l'approche des deux auteurs se distinguait de celle de McLuhan, qui considérait que chaque média améliorait le précédent, certains chercheurs leur ont reproché de décrire un processus trop linéaire et téléologique. C'est ainsi qu'Alexander Galloway -- rejoint en partie par Jean-Marc Larrue13 -- a préféré « rejeter en bloc » le concept14, et que Baetens lui a préféré la « remédiatisation15 », au motif que la remédiation ferait fi d'une histoire des médias n'ayant pas été des succès commerciaux, ou des survivances d'anciens médias sous d'autres formes.

C'est pourtant précisément pour analyser ces phénomènes que le concept de remédiation est mobilisé par d'autres16. En cela, il participe du programme de recherche d'archéologie des médias, qui analyse les relations intermédiales dans une perspective temporelle non linéaire, afin de décrire notamment comment les médias sont sans cesse remédiés, en réapparaissant sous des nouvelles formes et utilisations. Les médias sont ainsi reliés dans une « tension dialectique17 » par laquelle les nouveaux reconfigurent les anciens, qui, en retour, se repositionnent, ne se laissant pas mourir, pour devenir des « morts-vivants », ou « médias-zombies18 ».

Pour autant, une fois évacuée l'accusation de téléologie et de linéarité, il reste que le concept de remédiation souffre d'angles-morts, notamment sur la question de l'antériorité. En postulant que tout média remédie, le concept nous empêche de traiter des questions de naissance des médias. Indiquant dès le titre de leur ouvrage s'intéresser à comprendre les « nouveaux médias », Bolter et Grusin livrent un outil limité, ne pouvant être mobilisé dans une discussion à propos des tous premiers médias, logiquement construits sans référence à des médias antérieurs. Il est possible que l'archéologie des médias -- et son appareil conceptuel au sein duquel prend place la remédiation --, en cherchant légitimement à faire contrepoint à une histoire des médias linéaire notamment fascinée par une quête des origines, se prive du même coup d'investir certaines de ces thématiques.

GARREAU Marius, M2 Histoire de la pensée politique, ENS de Lyon, supervisé par Occitane Lacurie, 2023-2024


  1. « [...] formal logic by which new media refashion prior media forms. » 

  2. « Aux côtés de l'immediacy et de l'hypermediacy, la remédiation est l'un des trois traits de notre généalogie des nouveaux média. » 

  3. Jan Baetens, « Remédiatisation / Remediation », Glossaire du RéNaF, 2018, [en ligne], URL: https://wp.unil.ch/narratologie/2018/09/remediatisation-remediation/ 

  4. Jay David Bolter, Richard Grusin, op. cit., p. 272. 

  5. Jay David Bolter, Richard Grusin, op. cit., p. 24. 

  6. Jay David Bolter, Richard Grusin, op. cit., p. 31. 

  7. Voir, par exemple, Patrice Pavis, « Chapitre 8, les médias sur la scène ». In La mise en scène contemporaine, Paris, Armand Colin, Hors Collection, 2019, p. 147. 

  8. Jan Baetens, « Chapitre 13. La remédiatisation : formes, contextes, enjeux ». In Introduction à l'étude des cultures numériques, Paris, Armand Colin, Hors Collection, 2020. 

  9. Jay David Bolter, Richard Grusin, op. cit., p. 59. 

  10. Parfois orthographié Paul Levenson par les auteurs, voir Jay David Bolter, Richard Grusin, op. cit., p. 273. 

  11. Marshall McLuhan, Understanding media : the extensions of man. Cambridge, MIT Press, 1994 [1964]. Le titre même de l'ouvrage de Bolter et Grusin est une référence à celui de McLuhan. 

  12. [Notre traduction]. Jay David Bolter, Richard Grusin. op. cit., p. 65. 

  13. Jean-Marc Larrue. « Du média à la médiation : les trente ans de la pensée intermédiale et la résistance théâtrale ». In Théâtre et intermédialité, Arts du spectacle, éd. Jean-Marc Larrue. Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2015, p. 37. 

  14. « l'argument de la remédiation [...] est si rempli de trous qu'il est certainement préférable de le rejeter en bloc » [Notre traduction]. Alexander R. Galloway, The Interface Effect, Cambridge, Polity, 2013 [2012], p. 20. 

  15. Jan Baetens, « Remédiatisation / Remediation », Glossaire du RéNaF, 2018, [en ligne], URL: https://wp.unil.ch/narratologie/2018/09/remediatisation-remediation/ 

  16. Voir, par exemple Frédérique Vargoz, Emmanuel Guez, op. cit., ou Jussi Parikka Qu'est-ce que l'archéologie des média ?, Grenoble, UGA éditions, Université Grenoble Alpes, 2017 [2012]. 

  17. [Notre traduction]. Giulia Ceriani, « Intermedialità e telefoni portabili di nuova generazione: una ricerca di terreno », Visible (3), 2007, p. 147. 

  18. Jussi Parikka, op. cit., p. 35.