1. Définition
La notion de « ligne aérodynamique », ou Streamline, s’emploie, selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) :
« [En parlant d'un obj. : avion, autom., train] Dont la forme est calculée de manière à offrir le minimum de résistance à l'air », l’occurrence citée en appui étant : « ... un fuselage [d'avion] ne présente pas [...], une surface extérieure suffisamment régulière et aérodynamique [...], [et] on englobe le fuselage dans un “carénage”. Guillemin Jean-Gérard, Précis de construction, calcul et essai des avions et hydravions, 1929, p. 161 ».
https://www.cnrtl.fr/definition/aerodynamique, consulté le 27 décembre 2021.
Hors du domaine de la technique, l’on trouve cité le passage suivant :
« ... l'importance de l'aérodynamique [a] familiarisé l'œil moderne avec les courbes coniques en particulier : ellipses, hyperboles, paraboles... Un observateur attentif constatera quel est leur empire sur l'art d'aujourd'hui et ses arrangements, depuis le tableau jusqu'au meuble ou à la céramique ; il mesurera combien elles tendent à remplacer les constructions planes basées surtout sur l'angle et le cercle, ces dominantes d’hier. »
HUYGHE, René, Dialogue avec le visible, 1955, p. 171-172.
Ces définitions éclairent la notion de « ligne aérodynamique » d’un point de vue technique (utilitaire) et esthétique. Elles témoignent de son inspiration qui, puisée dans l’univers des transports, conquiert progressivement tous les espaces et objets de la vie quotidienne
2. De l’anglais au français
Le sens de cette notion se précise à travers les occurrences suivantes :
«- Mais Monsieur Blurg, si vous voulez me laisser vous expliquer…
- J’vais vous dire, moi, ce que je veux. Vous collez tout le truc dans une coque, comme un gros œuf allongé, de cette forme que vous appelez… comment déjà ? Aérodynamique ? En goutte d’eau ? C’est ça, en « goutte d’eau ». Et puis je veux tout plein de chrome. Je vois ça comme une énorme goutte d’eau chromée. »
LOEWY, Raymond, La laideur se vend mal, Paris, Gallimard, collection TEL, 1990, p. 232.
À côté du ridicule du commanditaire dans ce dialogue, qui assimile le style aérodynamique à un œuf allongé, d’autres définitions s’efforcent de traduire ce que ce style a représenté. C’est ainsi que Stéphane Vial écrit :
« Tous sont emblématiques de cette esthétique de l’aérodynamisme que l’on appelle Streamline (« style paquebot ») et qui joue sur des formes lisses, arrondies et profilées, inspirées par le mouvement et la vitesse. »
VIAL, Stéphane, Court traité du design, Paris, PUF, édition Quadrige, 2014.
La ligne aérodynamique renvoie donc à un style inspiré des formes dynamiques, profilées et lisses afin de permettre la vitesse et le mouvement. Pour préciser l’ensemble, il faut revenir à l’anglais, « streamline ». Dans la version anglaise, Loewy écrit :
« This shield, or housing, remind me of a conversation I had, years ago, when streamlining was news. One could hear such expressions as “airstream”, “airfoil”, “teardrop design” etc. »
LOEWY, Raymond, Never leave well enough alone, New York, édition Simon and Schuster, édition originale,1951, p. 220.
La ligne aérodynamique ou style paquebot renvoient à une traduction du terme anglais streamline. Cette seconde traduction se justifie par l’inspiration d’où provient ce mouvement. En effet le streamline est un style fortement influencé par les formes nautiques et aéronautiques, ses lignes épurées et arrondies évoquant, selon Loewy, la modernité et le progrès. Le passage ou l’emploie en français du terme de streamline témoignent, au-delà des querelles linguistiques, que les innovations techniques associées au mouvement moderne ont été une source d’inspiration majeure pour le design.
3. Explication du concept
La notion de streamline est connue des designers. La traduction sous la forme « ligne aérodynamique » est moins évocatrice et a tendance, dans l’inconscient collectif, à désigner le milieu automobile ou les véhicules en général. Il en est de même pour le « style paquebot » qui lui désigne directement un bateau. La traduction de l’ouvrage de Loewy est intéressante, car elle témoigne une fois de plus de la suprématie, de la force qu’exercent les Américains et les termes anglais concernant le domaine du design. Mais le mot anglais peut s’avérer également plus subtil : stream signifie un écoulement fluide, un courant d’air, on comprend qu’il s’agit d’un style qui a pour but de questionner le rapport à la vitesse à l’air et a son influence sur le produit. Le streamline semble davantage correspondre à la définition que Loewy donne du design et du futur. La ligne aérodynamique/ligne paquebot, quant à elle, ressemble plus à une recherche de traduction maladroite d’une expression anglaise.
Loewy présente la notion de streamline en rappelant son lien avec les avions, les bateaux, les fusées, et la transposition qu’il entend réaliser dans le champ des objets du quotidien. On oublie que, au de-là de l’esthétique d’objets aux formes profilées, cette transposition s’accompagne de l’utilisation de nouveaux matériaux : le fer-blanc pour les revêtements, les nouveaux plastiques, les bandes de chromes et d'aluminium ou la bakélite. Dans son ouvrage, Loewy insiste surtout sur le chrome qui était absolument partout. D’ailleurs le chapitre où il aborde le style aérodynamique est intitulé « Le chrome et vous ». Un autre élément de cette transposition souvent oublié tient à la « technique de la coque1 », le fait de cacher les mécanismes autrefois apparents d’une machine trop complexe afin d’éviter la confusion dans le regard de l’utilisateur. Enfin, on oublie aussi une certaine lassitude esthétique de Raymond Loewy lorsqu’il évoque la streamline dans son livre, même si la ligne aérodynamique est restée un symbole du Design Américain. Cette lassitude est peut-être due aux dizaines d’années qui séparent l’écriture de l’ouvrage de l’apparition de la Streamline car, à l’époque, c’était absolument innovant !
4. Problématisation
Il est évident que nous associons bien plus aisément la streamline aux USA qu’à d’autres parties du monde. Les matières comme le chrome sur les voitures, les frigidaires, les aspirateurs, les caravanes évoquent assez facilement l’Amérique où se développe le design industriel et innovations techniques. En France et plus globalement en Europe, ce mouvement a connu beaucoup moins de succès. Ce n’est que dans les années 50 qu’une forte demande s’exprime chez les ménages français et européens. Le désir de vivre dans un monde meilleur et plus simple se fait sentir et permet à l’esthétique industrielle et notamment au style paquebot de faire son apparition dans la consommation occidentale.
5. Illustration
Figure 1. Streamline, Audrey FREVILLE.
Audrey FREVILLE, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.