L’Espagne agite ses couleurs
Design. Le musée bordelais des Arts décoratifs retrace un siècle de création ibérique.
Que Bordeaux soit tourné vers son sud ibérique et que le musée des Arts décoratifs y organise l’exposition « Design España » est logique. Et alléchant. Car, des meubles Art nouveau 1900 si organiques de l’architecte catalan Antonio Gaudí à la movida des années 80, quelle riche histoire s’est jouée là, avant et après quarante ans de franquisme. Une scène bousculante apparaît à Barcelone, menée par l’espiègle graphiste Mariscal, auteur de la mascotte Copi des Jeux olympiques de 1992, l’humaniste libertaire Fernando Amat, du magasin Vinçon, et le Woody Allen des chaussures Camper, Lorenzo Fluxá. En lien avec tous les arts, particulièrement le cinéma d’Almódovar.
Fougue. Et cette saga du design n’a cessé de rebondir depuis les années 90 et 2000, avec le Catalan Marti Guixé, un adepte du « no design » critique, Patricia Urquiola, pétillante Basque très couture travaillant en Italie, ou le baroque méditerranéen international Jaime Hayon, né à Madrid.
Il n’y a pas de design vraiment espagnol, mais une fougue locale qui se traduit par un foisonnement de couleurs, de formes expressives et graphiques, d’humour, d’embardées, fantasques parfois mais bien maîtrisées. C’est cette évolution d’un siècle de l’histoire des meubles, des objets et du graphisme, qu’en passionné le commissaire de l’exposition, François Guillemeteaud, entend faire découvrir de l’autre côté des Pyrénées.
Dans sa présentation, tout est là (sauf Gaudí !). Le mouvement moderne architectural catalan très engagé des années 20 et 30, représenté par la célèbre chauffeuse Barcelona de l’architecte allemand Mies van der Rohe, montrée à l’Exposition universelle de Barcelone en 1929. Des murs exaltent dessins, affiches, packaging des graphistes, dont ceux de Mariscal, ou le travail des écoles d’art. Sont présentes aussi des entreprises importantes, Vinçon, Barcelona Design, Camper, les tapis Nanimarquina : 150 pièces pour 46 créateurs.
Mais la scénographie est bien plate, tel un étal de magasin. Un stand de lampes, puis de tables, puis de chaises. Des étagères pour la céramique, la verrerie.
Ces cloisonnements de beaux objets, parfois loufoques, en rangs d’oignons, empêchent tout dialogue vivant entre lumière et mobilier. L’exact contraire d’une mise en mouvement, d’une movida. « On a voulu calmer le jeu, explique François Guillemeteaud, montrer que le design espagnol était une masse d’objets très colorés. »
Un peu trop calme peut-être ? Un peu court aussi quant aux démonstrations que l’on cherche en vain. On passe ainsi du surréaliste canapé Bocca, bouche rouge de Dalí, à une chaise d’Oscar Tusquets, créateur total et passeur qui réinterprète Gaudí, au tapis Trepitjada du jeune Martin Azua. Cette exposition a cependant un mérite, celui de montrer le design de tous les jours, que l’on achète dans les bazars, non signé, comme les banales chaises en aluminium des cafés.
Maestro. Dans ce musée charmant, un peu engourdi, Constance Rubini, ex responsable des programmes culturels des Arts décoratifs de Paris, vient d’être nommée directrice. Pourra-t-elle y réveiller le design, elle qui prépare déjà pour 2014 une exposition consacrée au maestro italien Andrea Branzi ? Voire créer des liens avec l’architecture et le graphisme, si vivants à Bordeaux.
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