1. Définitions

Pour ce qui concerne « Graphisme », les définitions courantes sont :

« A. – LINGUISTIQUE

  1. Manière de représenter un langage par des signes écrits.

  2. Manière d’écrire, écriture individuelle souvent envisagée dans ses implications psychologiques

B. – ARTS GRAPHIQUES

Manière de tracer des lignes, des courbes, souvent envisagée d’un point de vue esthétique »

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, [en ligne], URL : https://www.cnrtl.fr/definition/graphisme, consulté le 12/04/2021.

L’on trouve aussi :

« 1. Manière de former les lettres, d’écrire propre à une personne. Une écriture d’un graphisme arrondi.

2. Manière de dessiner, d’écrire, considérée sur le plan esthétique. Le graphisme de Picasso. »

Dictionnaire Le Robert, [en ligne], URL : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/graphisme, consulté le 12/04/2021.

Les définitions issues d’ouvrages spécialisées permettent de mieux cerner la notion. Il en est ainsi du Dictionnaire du graphisme qui indique :

« graphisme. Terme générique désignant l’activité qui associe la typographie, l’illustration, la photographie, la mise en page et l’impression dans le but de promouvoir, informer ou instruire. William Addison Dwiggins est le premier à utiliser l’expression anglaise graphic designer (concepteur graphiste) en 1922, mais son usage ne se généralisera qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans les pays anglo-saxons. Le terme français design graphique est également utilisé, bien qu’il ne soit pas très heureux. »

Alan et Isabella LIVINGSTON, Dictionnaire du graphisme, Paris, Thames & Hudson, 1998, p. 78-79.

Le terme de « graphisme » est fréquemment comparé – voire préféré – à celui de « design graphique » comme en témoignent les quatre occurrences suivantes.

« Le graphisme est l’art de concevoir des projets d’expression visuelle. »

Richard HOLLIS, Le graphisme : de 1890 à nos jours, Londres, Thames & Hudson, coll. « L’univers de l’art », 2002, p. 7.

« Il arrive que l’emploi du mot “graphisme” vienne délibérément affirmer la prévalence du dessin dans l’exercice du métier de graphiste, ainsi qu’une résistance au caractère international, voir commercial (ou du moins corporate) et spécifiquement moderne du “design graphique”. Au “graphisme” correspondrait alors une pratique aussi idiomatique que le vocable la désignant. Tel n’est pas le cas ici, ces deux dénominations étant alternativement utilisées pour la même activité et les mêmes objets. »

Catherine DE SMET, Pour une critique du design graphique, Paris, B42, 2020, p. 5.

« La langue française possède d’ailleurs deux expressions, “design graphique” et “graphisme” ; si les valeurs ne sont pas tout à fait identiques et restes sujettes à discussion, elles recouvrent aujourd'hui une réalité similaire. »

Benoît BUQUET, Art & design graphique : essai d’histoire visuelle, 1950-1970, Tome 1. Fragments d’Europe, Paris, Pyramyd, 2015, p. 12.

« Les Français ont plus de mal à définir ce que recouvre le terme de graphisme, qui reste privilégié face à l’expression “design graphique”, formellement plus juste mais dont la sonorité anglo-saxonne nuit sans doute au succès. »

Michel WLASSIKOFF, « À propos des paradoxes du graphisme et des difficultés d’établir son histoire », dans Histoire du graphisme en France, Paris, Les Arts décoratifs/Dominique Carré, 2008, p. 8.

2. De l’anglais au français

En toute rigueur, ce terme français ne correspond pas à la traduction littérale de l’anglais. Il peut cependant être considéré comme une traduction de l’expression anglaise graphic design. Quelques citations permettent de s’en persuader.

“First, what is graphic design? Graphic designers try to illuminate or explain things using graphic language, which may be verbal, pictorial, or schematic, and presented, on paper or screen. Graphic designers work with illustrators, photographers, coders, editors, writers and others involved in the graphic presentation of language. And, as with all designing, it is a planning and problem-solving discipline, concerned with purpose, process, visual judgment, engagement with users, and circumstances of use1.”

Sue WALKER, “Research in Graphic Design”, The Design Journal, n°20, vol. 5, 2017, p. 549.

“This range of diverse activities suggests graphic design cannot have a single disciplinary perspective. It is not typography, though may be typographic. It is not animation, though may be animatic. It is not marketing, though may use marketing2.”

Robert HARLAND, “Seeking to build Graphic Theory from Graphic Design Research”, mis en ligne le 5 octobre 2016, [en ligne], disponible sur : https://repository.lboro.ac.uk/articles/Seeking_to_build_graphic_design_theory_from_graphic_design_research/9336017, consulté le 7 janvier 2020.

“Translating verbal messages into visual forms is the essence of graphic design, I argued. The manipulation of language and typography is the primary ingredient that distinguishes our work from that of illustrators, who deal exclusively with imagery. […] Graphic design is neither strictly visual nor strictly verbal. It is the marriage of the two: fused, bonded, inseparable3.”

Anne BURDICK, “What has writing got to do with design?”, Eye, n°9, vol.3, 1993, [en ligne], disponible sur :http://www.eyemagazine.com/opinion/article/what-has-writing-got-to-do-with-design, consulté le 2 avril 2020.

Si l’on tient la distinction avec le terme graphic design pour justifiée, le terme « graphisme » pourrait cependant être traduit en anglais par graphism.

3. Explication du concept

Les définitions de « graphisme » que l’on trouve dans un dictionnaire lient étroitement ce terme à celui de « signe visuel ». À les suivre, le terme devrait être employé pour désigner un graphisme plutôt que le graphisme : il serait plutôt de l’ordre de la forme d’un signe que de la pratique d’une discipline fondée sur des savoirs et des savoir-faire.

C’est dans les dictionnaires et ouvrages spécialisés que le graphisme est pris en compte en tant que pratique, métier, discipline, révélant ainsi son ambiguïté avec le terme « design graphique ». Ces deux termes sont souvent employés indifféremment, comme des synonymes. Cette ambiguïté se retrouve dans les qualificatifs professionnels : le graphiste pratiquerait le graphisme, et le designer, le design graphique.

La distinction entre graphisme/design graphique pourrait reposer sur le secteur d’activité dans lequel il s’inscrit : le graphiste interviendrait dans le secteur de la « com’ », terme familier qui désigne la publicité. Dans ce contexte, le graphiste n’aurait que le rôle d’exécutant, produisant des visuels définis par un directeur artistique. À l’inverse, le designer graphique interviendrait plutôt dans le secteur culturel ou pour des institutions publiques, et concevrait entièrement le projet. Ainsi, une sorte de hiérarchie de valeurs et de professions se cache derrière ces termes.

Mais une troisième notion vient remettre en question cette hiérarchie, voir l’inverser : celle du « graphisme d’auteur ». Cette pratique du graphisme serait détachée de la commande et de la relation au client, et suppose un engagement et une éthique affirmés par le praticien. La hiérarchie s’inverserait alors : le designer graphique serait enfermé dans les contraintes de la commande, alors que le graphiste aurait une pratique plus libre et engagée, voire artistique.

4. Problématisation

La cohabitation ambigüe de ces deux termes est spécifiquement française. En anglais, seul le terme graphic design semble recouvrir toutes ces réalités du métier et la pluralité des pratiques graphiques.

Néanmoins, en s’affranchissant du terme « design » de l’expression anglaise, le terme français de « graphisme » questionne l’appartenance de cette pratique à une discipline. Le graphisme est-il une discipline à part entière ? Se distingue-t-il de la pratique du design ? Car dans l’expression « design graphique », traduction littérale de graphic design, le terme « graphique » ne vient que qualifier, spécifier une pratique du design : le design serait la discipline, dont le design graphique ne serait qu’une sous-catégorie.

Au contraire, si l’on s’attache aux définitions françaises du terme « graphisme », on remarque qu’il s’apparente plutôt à la définition du terme anglais graphics : produit des « arts graphiques ». Dès lors, au lieu d’être spécifique, cette discipline engloberait plutôt de plus vastes territoires : dessin, illustration, écriture… Mais, dans cette expression encore, « graphique » intervient comme qualificatif d’une autre discipline : l’« art ».

Ainsi, il semblerait que le terme de graphisme se situe à la frontière de deux disciplines. Le design d’une part, qui l’inscrit dans une pratique de conception et du projet, et l’art d’autre part, qui souligne la part créative et l’habileté technique dans la production de visuels.

5. Illustration

Figure 1. Le graphisme : entre art et design, Margaux MOUSSINET

Margaux MOUSSINET, doctorante en Arts et Sciences de l’art, spécialité design, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne


  1. Le passage pourrait se traduire comme suit : « Premièrement, qu’est-ce que le design graphique ? Les designers graphiques essaient d’éclairer ou d’expliquer les choses en utilisant le langage graphique, qui peut être verbal, pictural ou schématique, qu’ils présentent imprimés ou sur un écran. Les designers graphiques travaillent avec des illustrateurs, photographes, développeurs, éditeurs et écrivains, et tout autre professionnel de la représentation graphique du langage. Et, comme dans toute activité de design, c’est une discipline de conception et de résolution de problèmes, concernée par le sujet, le processus, le jugement visuel, l’engagement envers l’utilisateur et les conditions d’utilisation. » 

  2. Une traduction possible serait : « Cette variété d’activités suggère que le design graphique n’a pas qu’une seule perspective disciplinaire. Ce n’est pas de la typographie, bien qu’il puisse être typographique. Ce n’est pas de l’animation, bien qu’il puisse être animé. Ce n’est pas du marketing, bien qu’il puisse utiliser le marketing. » 

  3. « J’affirme que l’essence du design graphique est de traduire les messages verbaux sous une forme visuelle. La manipulation du langage et de la typographie est le principal élément qui distingue notre travail de celui des illustrateurs, qui ne travaillent exclusivement qu’avec l’image. Le design graphique n’est ni strictement visuel, ni strictement verbal. C’est le mariage des deux : fusionnés, liés, inséparables. » : telle peut être la traduction.