LAUGIER, Sandra (dir.), Le souci des autres, éthique et politique du care, Paris, éd. EHESS, coll. Raisons pratiques, 2011.

Dans Le souci des autres, éthique et politique du care, Sandra Laugier s’interroge sur la notion de « care ». C’est une recherche philosophique articulée dans une discussion ouvrant sur les sensibilités plurielles que regroupe le « care », afin de nous inviter à une réflexion personnelle de notre humanité.
Bien que la notion de « care » ne soit pas récente, elle peine à se faire comprendre, notamment parce que le terme pose un souci de traduction. Cet ouvrage est un recueil d’autrices autour de la notion de « care ». Il s’agit d’une réédition de 2011, qui rajoute la contribution de Carol Gilligan, principale théoricienne du « care », dont l’œuvre fondamentale, In a Different Voice (1982), était à l’arrière-plan de toutes les réflexions de l’ouvrage datant initialement de 2006. En effet, le concept de caring émerge dans le champ des soins infirmiers à la fin des années 1970 aux États-Unis. L’analyse du « care » existe désormais dans tous les domaines et à toutes les échelles. Le « care » est « Une activité caractéristique de l’espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer ou de réparer notre ‘‘monde’’ de telle sorte que nous puissions vivre aussi bien que possible. Ce monde inclut nos corps, nos individualités et notre environnement, que nous cherchons à tisser ensemble dans un maillage complexe qui soutient la vie1.» Il existe quatre formes de care : caring about (se soucier de quelqu’un ou quelque chose), caring for (prendre soin de quelqu’un ou quelque chose), care giving (soigner quelqu’un), et care receiving (être l’objet du soin).

Sandra Laugier et ses co-autrices montrent que l’éthique du « care » tend à se faire connaître, même si elle suscite encore quelques débats, permettant entre autres de faire entendre une voix différente. En effet, prendre en compte le travail du « care » et sa répartition inégale, là où les théories classiques ne voudraient voir qu’amour et altruisme, constitue une avancée considérable. L’éthique du « care » se base sur des concepts moraux différents de ceux de l’éthique de la justice ; elle est liée à des conditions concrètes et non générales et abstraites. L’éthique du « care » n’est pas réductible à une simple vision féminine ou féministe, c’est une façon de construire un lien social basique, « une manière de se relier à chacun comme personne particulière2. » L’éthique du « care » reconnaît l’importance de la vie humaine et donc l’intérêt pour autrui et repense ainsi les rapports de justice.

Pour arriver à leurs fins, les autrices développent leur propos en trois temps. Joan Tronto tente d’intégrer le « care » à une approche éthique, sociétale et politique générale qui, loin d’être réservée aux seules femmes, constitue plutôt une aspiration pour tous, et permette ainsi l’égalité de tous devant la justice3. Ensuite, Carol Gilligan montre que le « care » et la justice ne sont pas opposés, mais sont au contraire des perspectives complémentaires que l’on peut choisir de prendre en fonction du contexte4. Puis Patricia Paperman redéfinit le « care » et le juste en redéfinissant l’éthique à partir du sensible et de l’expérience : « Même si les relations de caring sont caractéristiques des relations avec les proches, il n’en résulte pas que la proximité ou l’épaisseur de ces relations soit la caractérisation la plus pertinente pour comprendre ce qui en fait l’importance5. »

Les concepts clés abordés par les différentes autrices sont l’éthique du « care », la notion de genre, la justice ainsi que la vulnérabilité. L’éthique du « care » regroupe un ensemble d’exigences telles que l’entraide, la prise en compte des besoins, le soin, le fait d’être concerné par autrui, l’attention aux autres, la responsabilité et, plus particulièrement, la vulnérabilité ainsi que la dépendance des personnes. Le genre se rapporte ici à la construction socioculturelle des rôles masculins, féminins et autres. La justice se réfère à une valeur, un idéal moral et un concept philosophique. À la fois instinctive et complexe, elle fait référence à l’équilibre dans les relations entre les êtres vivants. Enfin, la vulnérabilité est une notion faisant référence à l’exposition aux blessures, aux coups, à la douleur, à la maladie, ou encore la précarité.

À travers le « care », le designer peut s’inscrire dans une démarche d’accompagnement de l’usager grâce à l’empathie propre à son métier. En développant cette approche, il peut ainsi s’inscrire dans un protocole thérapeutique qui ne lui est pas nécessairement familier. Cette approche rappelle les notions propres au design inclusif, qui est un process dans la conception de produits/ services pour les rendre accessibles et utilisables par le plus grand nombre possible de personnes sans nécessiter d’adaptation spéciale ou de conception spécialisée. En recherchant le confort et la facilitation des gestes pour l’usager, le designer se rapproche de l’ergothérapeute, dont le but est de maintenir, restaurer, et permettre les activités humaines du patient de manière sécurisée, autonome et efficace. Comme l’énonce Jehanne Dautrey dans Design et pensée du care : « Ce que le care apporte au design est la possibilité d’intervenir dans un milieu avec une nouvelle fonction, pour procurer une autre place que celle d’un simple fournisseur d’objets ou d’un aménageur d’espace6. » Au lieu de se focaliser sur l’attention vers la personne, le designer se met au service de tout ce qui entre dans son champ de perception. En tant que designer dans le domaine du « care », il reste néanmoins indispensable de ne pas intervenir « à tout prix » si les conditions matérielles et humaines ne sont pas réunies pour mener un projet dans un cadre serein.

Camille STOLPNER, Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022


  1. LAUGIER Sandra, MOLINIER Pascale, et PAPERMAN Patricia, Qu’est-ce que le care ?, Paris, éd. Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2009, p. 37. 

  2. LAUGIER, Sandra (dir.), Le souci des autres, éthique et politique du care, Paris, éd. EHESS, coll. Raisons pratiques, 2011, p. 334. 

  3. LAUGIER, Sandra (dir.), Le souci des autres, éthique et politique du care, op. cit., p. 54. 

  4. Ibidem, p. 37 

  5. Ibid., p. 328 

  6. DAUTREY Jehanne (dir.), Design et pensée du care. Pour un design des micro-luttes et des singularités, Dijon, éd. Les presses du réel, 2019, p. 13.