1. Définition

La notion de « culture matérielle » est définie par Reyner Banham comme l'étude des objets matériels produits par la société et de leur impact dans la vie quotidienne. La culture matérielle est donc une notion complexe qui englobe à la fois des aspects fonctionnels, esthétiques et culturels des objets matériels produits par une société. Dans Théorie et design à l'ère industrielle, Reyner Banham considère que cette culture matérielle découle de la révolution industrielle et que les objets qu’elle produit ont des implications importantes dans la vie des gens, car ils façonnent leur environnement et leurs manières d’interagir avec le monde.

La notion est reprise et travaillée par d’autres théoriciens. Ainsi, dans Material Culture and Mass Consumption1, Daniel Miller explore cette notion et se concentre particulièrement sur l'étude des objets matériels dans la vie quotidienne des individus. Il met en avant l'idée que les objets matériels ne sont pas simplement des outils fonctionnels, mais qu'ils ont également une signification symbolique et culturelle pour les individus et les groupes sociaux qui les utilisent.

Ainsi, la culture matérielle est une notion complexe qui englobe à la fois des aspects fonctionnels, esthétiques et culturels des objets matériels produits par une société. Elle permet de mieux comprendre les relations qui se tissent entre acteurs et actants.

2. De l'anglais au français

Le terme « culture matérielle » a été traduit en français depuis l'anglais « material culture». Le concept de « culture matérielle » trouve en effet son origine dans le champ de l'anthropologie anglo-saxonne. Il est notamment utilisé par les anthropologues américains Clifford Geertz et Arjun Appadurai pour désigner les objets matériels comme des symboles culturels qui participent à la construction des identités individuelles et collectives. Selon Reyner Banham, la culture matérielle est l'ensemble des objets physiques produits par l'homme qui peuvent être étudiés en tant qu'artefacts culturels. Il s'agit donc de comprendre comment ces objets sont créés, utilisés et interprétés dans le contexte de leur culture d’origine, comme nous pouvons le voir à travers cette citation :

"The form of an object is often as revealing of its cultural origin and intention as its decoration, and the preference for certain materials, techniques or forms at certain times may be as significant a manifestation of cultural change as anything else2

Reyner BANHAM, Theory and Design in the First Machine Age, Cambridge, The MIT Press, 1980, p. 9.

En d'autres termes, la forme d'un objet peut en dire long sur la culture qui la produit et sur les choix esthétiques et pratiques de cette culture à un moment donné. La façon dont les matériaux sont choisis, travaillés et assemblés peut également fournir des indices importants sur les valeurs et les croyances de cette culture. Notons que la traduction du terme «material culture » en français met l'accent sur la matérialité des objets et leurs relations à la culture, tandis que l'anglais semble insister davantage sur le caractère culturel de ces objets. Ce changement de perspective soulève des différences dans la compréhension et l’usage du concept de culture matérielle.

3. Explication du concept

Dans Théorie et design à l'ère industrielle3 de Reyner Banham, la « culture matérielle » est présentée comme un concept clé pour comprendre l'évolution du design industriel et de la société de consommation. Reyner Banham définit la culture matérielle comme l'ensemble des objets matériels produits par la société, qui reflètent les croyances, les valeurs et ses normes. L’étude de la culture matérielle permet de mieux comprendre les relations entre les objets matériels et les transformations économiques, sociales et technologiques qui ont influencé leur conception et leur production. Elle peut également aider à comprendre comment les objets matériels ont été utilisés pour communiquer des idées et des valeurs culturelles. Il utilise également cette notion pour mettre en évidence l'importance de la dimension esthétique en soulignant que les objets matériels sont souvent considérés comme des symboles culturels et peuvent être utilisés pour exprimer des idées et des valeurs. Ainsi, selon Reyner Banham, la culture matérielle et le design sont intimement liés, car le design est le processus qui permet de donner une forme matérielle à la culture et de la diffuser à travers les objets de consommation.

Pour faire le lien avec notre histoire française du design, nous pourrions dire que la « culture matérielle » peut être présentée en contraste avec l'approche plus technique et fonctionnelle de Roger Tallon. Ce dernier aborde la question de la culture matérielle dans ses projets (meubles, montres, ustensiles de cuisine, TGV, logos, etc.) et, dans Le design en mouvement, publié en 2016, il ; énonce que « Le designer doit comprendre les motivations des consommateurs, les matériaux disponibles, les techniques de production, la culture matérielle4 ». Mais sa conception de la culture matérielle semble ne pas accorder d’importance à la dimension esthétique et plus largement symbolique des objets.

4. Problématisation

La notion de culture matérielle pose plusieurs problèmes pour l'histoire du design et sa pratique. Elle nous rappelle la problématique liée à la production industrielle, qui permet la fabrication en série d'objets à faible coût. Si cette production a permis de rendre les objets plus accessibles au plus grand nombre, elle a également engendré des problèmes écologiques et sociaux. La production de masse peut être considérée comme une source de pollution, et peut également conduire à l'uniformisation des objets. Ce qui nous ramène à la thèse de Jacques Vienot. Dans sa biographie, Jacques Vienot 1893 - 1959. Pionnier de l’esthétique industrielle en France5, publiée en 2006, nous pouvons retrouver son analyse des avantages de la production en série pour l’industrie. Il soutient que la production en série permet de réduire les coûts de productions, d’améliorer la qualité des produits et de rendre la production plus efficace, et contribue à la croissance économique. Cependant, il ne défend pas aveuglement la production en série puisqu’il reconnaît que cette méthode de production peut avoir des effets négatifs sur les travailleurs, en les aliénant. Il souligne aussi que la production en série peut avoir des effets sur l’environnement, en générant des quantités importantes de déchets. Jacques Vienot admet les avantages de la production en série pour l’industrie mais il ne considère pas ce procédé comme un idéal. Cette approche ne devrait pas être minimisée dans la notion de culture matérielle.

Téa ANTRONICO, Licence 3, « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.


  1. Daniel MILLER, Material Culture and Mass Consumption, WILEY; 1st edition, 1997. 

  2. « La forme d'un objet est souvent aussi révélatrice de son origine culturelle et de son intention que sa décoration, et la préférence pour certains matériaux, techniques ou formes à certaines époques peut être une manifestation aussi significative du changement culturel que tout autre chose ». (traduction établie par nos soins) 

  3. Reyner BANHAM, Théorie et design à l'ère industrielle, Dijon, HYX, restitutions, 2009. 

  4. Collectif, Le design en mouvement, Les Arts Décoratifs - UCAD; Illustrated édition, 2016. 

  5. PUR, Jacques Vienot 1893 - 1959. Pionnier de l’esthétique industrielle en France, PU RENNES, 2006.