1. Définition

La « culture numérique » aussi appelée « culture digitale », « culture internet », « cyberculture » ou « e-culture1 » peut être caractérisée par un ensemble de compétences techniques matérielles et intellectuelles liées à l’apparition des nouvelles technologies et d’Internet qui ont généré de nouvelles pratiques, de nouveaux modes de pensée et de nouvelles valeurs2.

Elle est présente aujourd’hui dans la vie économique, dans la façon dont l’on communique à travers différents médias, ou dans l’éducation, par exemple3. Mais l’une de ses principales caractéristiques tient à l’omniprésence du présent qui accompagne son développement. C’est ainsi qu’Annick Lantenois écrit :

« La culture du livre est alors l’ensemble des comportements programmés par cette structure de pensée et que l’imprimerie au XVe siècle radicalisa. La conception téléologique du temps — orienté vers une finalité — qui structure la culture du livre est ce qui la distingue de la culture numérique marquée, quant à elle, par la conception présentiste du temps, ce "présent omniprésent". Distinguer la culture du livre et la culture numérique suppose donc de distinguer deux structures de penser le temps. Et cette distinction suppose alors celles des paradigmes, des compétences, de l’économie, des pratiques, des modes de production et d’appropriation. »

LANTENOIS, Annick, Le Vertige du funambule - le design graphique entre économie et morale, Paris, Éditions B42, Collection « Essais », 2010, p. 58.

La seconde de ses caractéristiques tient à son pouvoir de reconfiguration des médias et des pratiques auxquels, contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle ne se substitue pas. Ce point est notamment défendu par André Lemos dans les lignes qui suivent :

« La troisième loi est celle de la reconfiguration. Ici, la maxime est que “tout change, mais pas tellement”. C’est dire que nous devons éviter la logique de la substitution ou de la destruction, car les diverses expressions récentes de la cyberculture manifestent plutôt une reconfiguration des pratiques, des modalités médiatiques, des espaces, et non une substitution aux formes antérieures. Ce que nous appelons ici reconfiguration trouve un écho dans l’idée de “remédiation” (Bolter et Grusin, 2002). Notre idée de reconfiguration va cependant un peu plus loin que celle de remédiation (passage d’un média sur un autre, comme le cinéma dans les jeux électroniques et vice-versa). Par reconfiguration, nous comprenons, bien sûr, l’idée de remédiation médiatique, mais aussi celle de modification des structures sociales, des institutions et des pratiques communicationnelles.»

LEMOS, André, « Les trois de la cyber culture - Libération de l’émission, connexion au réseau et reconfiguration culturelle », Sociétés, Bruxelles, Editions De Boeck, n°1 91, 2006, p. 9.

Ces deux occurrences permettent d’assimiler la culture numérique à un vecteur de changement de l’organisation temporelle et médiatique des sociétés.

2. De la langue anglaise au français

Le terme de « culture numérique » trouve un équivalent en anglais : « digital culture », « internet culture » ou « cyberculture ». La question de sa traduction n’est pas en soi un problème, c’est plutôt son origine et son périmètre qui sont problématiques.

Sa première mention remonte aux années 1963, sous la plume de l’académicienne et auteur britannico-américaine Alice Mary Hilton qui écrit : « In the era of cyberculture, all the plows pull themselves and the fried chickens fly right onto our plates4 ».

HILTON, Alice Mary, The Evolving Society: The Proceedings of the First Annual Conference on the Cybercultural Revolution – Cybernetics and Automation, New York, Institute for Cybercultural Research, 1966.

Pour avoir une idée moins métaphorique et plus précise de la notion, on peut se référer à l’extrait suivant :

« But technology is only one of a number of sources that have contributed to the development of our current digital culture. Others include techno-scientific discourses about information and systems, avant-garde art practice, counter-cultural utopianism, critical theory and philosophy, and even subcultural formations such as Punk. These different elements are as much a product of the paradigm of abstraction, codification, self regulation, virtualization and programming as the computer. Digital culture has been produced out of the complex interactions and dialectical engagements between the elements5. »

GERE, Charlie, Digital Culture, London, Reaktion Books Editions, 2002, p.14.

Ici, la « culture numérique » ne se définit pas par le temps qui est le sien (le présent) ou par son pouvoir de reconfiguration des médias, elle ne s’arrête pas aux questions techniques et aux mutations que les nouvelles technologies ont engendrées. Elle englobe aussi d’autres phénomènes culturels comme la contreculture ou les discours scientifiques relatifs à l’information, par exemple. On peut alors se demander si quelque chose demeure en dehors de son périmètre dans une telle approche.

3. Explication et problématisation du concept

À l’opposé de ce périmètre élargi, la « culture numérique » renvoie aussi à un nouveau savoir-faire technique est intellectuel basé sur le réseau informatique, se traduisant concrètement, par exemple, par la manière de créer un logiciel, de le coder, de l’installer, de manipuler un programme. C’est peut-être le lien entre l’impact mondial du numérique et l’aspect strictement technique, localisé pourrait-on dire, qui crée cette tension de la notion « culture numérique ». La culture numérique n’est pas propre à des coutumes et aux usages d’un pays ou d’une région. C’est un phénomène mondial qui recouvre domaines : l’économie, par exemple, où des algorithmes numériques localisés accélèrent l’état mondial du marché ; les pratiques juridiques car l’édition numérique de tel u tel ouvrage contribue à faire évoluer le droit à la propriété intellectuelle ; la géopolitique la plus localisée à travers la globalisation et la communication mondiale…

Mais la notion recouvre aussi des craintes : peur d’une « culture de l’immatériel » éphémère qui succèderait à une culture matérielle (imprimée) du XIXe siècle ; peur d’un individualisme qui lui serait inhérent.

Cette culture numérique peut-elle faire passer le design de la matérialité des produits, des espaces, etc. à l’immatériel ? La question ne se pose pas en ces termes. Premièrement, elle intervient sans doute davantage dans l’utilisation et la nature des outils (numériques ou pas) du designer, dans la part que ces outils numériques doivent avoir dans l’enseignement du projet. Deuxièmement, la culture numérique est parfois comprise comme un formatage, une perte potentielle de créativité. Pour autant, faut-il en revenir à une ou des cultures « traditionnelles » ? Quelle seraient-elles ? Ne faut-il pas chercher un équilibre entre culture numérique et culture traditionnelle ? Ou un dépassement vers un nouvel universel ? Le débat reste ouvert.

4. Illustration

Figure 1. Des cultures traditionnelles à une culture universelle, Line SOMMIER.

Line SOMMIER, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. « Culture numérique » [en ligne], Wikipedia, mis à jour le 23/12/2021, https://fr.wikipedia.org/wiki/Culture_numérique, [page consultée le 29/12/2021] 

  2. « Cyberculture », [en ligne], Encyclopaedia Universalis, https://www.universalis.fr/dictionnaire/cyberculture/, [page consultée le 29/12/2021] 

  3. DERRAC, Louis, « Culture numérique : qu’est-ce que c’est ? » [en ligne], France Num, mis à jour le 08/08/2020, [https://www.francenum.gouv.fr/comprendre-le-numerique/culture numerique-quest-ce-que-cest](https://www.francenum.gouv.fr/comprendre-le-numerique/culture numerique-quest-ce-que-cest), [page consultée le 29/12/2021] 

  4. Proposition de traduction : « A l'ère de la cyberculture, toutes les charrues se tirent elles-mêmes et les poulets frits volent droit dans nos assiettes ». HILTON, Alice Mary, The Evolving Society: The Proceedings of the First Annual Conference on the Cybercultural Revolution – Cybernetics and Automation, New York, Institute for Cybercultural Research, 1966. Voir « Cyberculture », Oxford English Dictionary, Oxford, Oxford University Press, 2001. 

  5. Proposition de traduction : « Mais la technologie n'est qu'une des nombreuses sources qui ont contribué au développement de notre culture numérique actuelle. D'autres incluent des discours techno-scientifiques sur l'information et les systèmes, la pratique artistique d'avant-garde, l'utopisme contre-culturel, la théorie et la philosophie critiques, et même des formations sous-culturelles telles que le punk. Ces différents éléments sont autant le produit du paradigme de l'abstraction, de la codification, de l'autorégulation, de la virtualisation et de la programmation que l'ordinateur. La culture numérique a été produite à partir des interactions complexes et des engagements dialectiques entre les éléments. »