1. Définition
Le concept « d’éthique fonctionnaliste », absent des dictionnaires d’usage courant, peut se trouver à la fin de Jacques Viénot (1893-1959) : Pionnier de l’Esthétique Industrielle en France par Jocelyne Le Bœuf, dans une partie de la conclusion intitulée : « L’esthétique industrielle et l’éthique fonctionnaliste ». On peut en déduire que c’est une idée qui, en tant que telle, a été largement élaborée par l’auteur.
On trouve cette question du fonctionnalisme dans un chapitre du même livre intitulé « Esthétique industrielle et préceptes fonctionnalistes. Entre éthique et pertinence commerciale1 » qui explique les concepts associés au fonctionnalisme. On y apprend qu’il y a plusieurs tendances dans le design durant les années 1950, qu’aux États-Unis et en France on critique le Streamline2. C’est ainsi que Jocelyne Le Bœuf écrit :
« Dans la mouvance fonctionnaliste, on critique le “good design = good business” des « stylistes » américains issus du Streamline, auxquels il est reproché une intervention cosmétique superficielle ».
Jocelyne LE BŒUF, Jacques Viénot (1893-1959) : Pionnier de l’Esthétique Industrielle en France, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. «Arts et société », 2006, Chapitre, « Esthétique industrielle et préceptes fonctionnalistes », p.111.
Mais l’on apprend aussi qu’André Hermant, qui était le vice-président de l’UAM3 et lauteur de Formes Utiles4, reproche à Jacques Viénot sa défense d’un fonctionnalisme esthétique comme argument commercial. »
Plus loin dans son texte, Jocelyne Le Bœuf écrit :
« Le fonctionnaliste défendu par Jacques Viénot s’élevait aussi contre le stylisme qui travestit le produit superficiellement pour flatter le client et il critiquait en particulier “le ridicule du style aérodynamique”, l’esthétique du carter ou de l’enveloppe, quand elle n’était pas justifiée pour des raisons de sécurité ».
Jocelyne LE BŒUF , Jacques Viénot (1893-1959) : Pionnier de l’Esthétique Industrielle en France, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. «Arts et société », 2006, Chapitre, « Esthétique industrielle et préceptes fonctionnalistes », p.112.
L’auteure utilise l’expression « d’éthique fonctionnaliste » afin de définir une variante éthique du fonctionnalisme. Elle explique aussi qu’au sein du concept d’esthétique industrielle, la beauté utile s’associe à l’idée d’éthique fonctionnaliste. On peut la citer :
« La quête du beau est indissociable du principe programmatique de la juste adaptation des mécanismes de fonctionnement et des matériaux à l’usage. Cette quête du beau est également indissociable de l’idéologie morale et philosophique de progrès qui sous-tendait la modernité ».
Jocelyne LE BŒUF , Jacques Viénot (1893-1959) : Pionnier de l’Esthétique Industrielle en France, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. «Arts et société », 2006, Chapitre, « Esthétique industrielle et préceptes fonctionnalistes », p.113-114.
On comprend que Jacques Viénot soutenait une pratique honnête du design et prônait une création industrielle au service de l’homme. Il défendait aussi le principe que les besoins de l’homme n’étaient pas strictement utilitaires.
2. Traduction du français à l'anglais
On ne trouve pas de traduction de l’expression « éthique fonctionnaliste » puisqu’elle a été largement élaborée par Jocelyne Le Bœuf en français et s’inscrit dans l’idéologie de la pensée de Jacques Viénot qui défendait des terminologies françaises dans le champ du design. Mais on peut proposer une traduction anglaise qui serait : « functionalist ethic5».
3. Explication du concept et problématisation
« L’éthique fonctionnaliste », dans le cadre du mouvement de l’Esthétique industrielle, s’attache à donner une vision idéaliste du design. Elle va à l’encontre des mouvements ambiants fonctionnalistes de l’époque et Jacques Viénot critiquait notamment les designers Américains pour leurs conceptions trop mercantiles ou trop publicitaires du design. Ainsi plusieurs démarches de design se dessinent en France et Viénot souhaite se distinguer.
Dans un article intitulé, « Art Social » du numéro 3 de la revue Art Présent, il nous est expliqué que dans cette « quête du beau » abordée plus haut, on peut tenir compte des besoins sociaux des utilisateurs pour « donner au peuple le cadre de vie gai, net, harmonieux, élégant qui, l’éducation aidant, le conduira à faire, sur le plan spirituel, moral et social, un bon en avant6 ». Donc Viénot introduit une dimension morale dans sa démarche d’Esthétique industrielle. Il suggère un style de vie idéale lorsqu’il parle de vivre dans un cadre de vie en harmonie et que l’homme peut s’élever sur un plan spirituel et moral. Selon lui, le design doit faire le « bien » et les productions industrielles doivent aider l’homme à progresser. Il défend aussi l’idée d’un design honnête dans le choix des matériaux et qu'aucun élément ne doit tromper ou dissimuler quelque chose à l’utilisateur. C’est ce qui est écrit dans la loi n°12 de « La Charte de l’Esthétique industrielle » que Jacques Viénot initie. Cette loi éclaire au mieux ce concept d’« éthique fonctionnaliste ». On peut en effet y lire dans le second paragraphe :
« Toutefois, les revêtements et les carapaçonnages exigés fonctionnellement par une réalisation industrielle sont légitimes lorsqu’ils expriment correctement les fonctions essentielles de l’objet et qu’ils ne servent pas à dissimuler des matériaux ou des organismes susceptibles de compromettre le bon fonctionnement ou la valeur de l’objet7. »
On comprend alors que cette recherche de l'éthique dans le design est importante pour Viénot. Il n’est pas contre l’ornementation, elle doit être utiliser à bon escient et s’accorder avec le bon fonctionnement de l’objet.
On peut alors se demander si cette idée d’éthique fonctionnaliste irait à l’encontre de la commercialisation des objets de design ? Tout dépend de la façon dont la commercialisation fa se faire. Un objet ou une publicité ne doivent pas tromper l’utilisateur. Par exemple, Viénot a critiqué l’approche des designers américains en disant qu’ils ont fait du beau une stratégie de vente. Mais, il n’est pas contre l’idée d’entretenir un sens commercial. En effet, Viénot est un homme d’affaires, il a travaillé longtemps dans des entreprises et a su les faire évoluer économiquement. Donc, il n’ignore pas les enjeux commerciaux du design. Il partage même les idées de Raymond Loewy qui explique, dans son livre La laideur se vend mal8, que le spécialiste de l’esthétique industrielle conduira l’homme « vers une vie matérielle, intellectuelle et spirituelle ».
Cet aspect matériel reste donc important dans son approche et c’est aussi de là que vient le terme « fonctionnaliste », l’esthéticien industriel proposant et vendant des formes qui doivent toujours répondre à des fonctions. En introduisant le mot « éthique » devant ce terme, Jocelyne Le Bœuf explique que Viénot voulait se détacher d’autres théories du design en intégrant la notion de la morale et qu’il souhaitait trouver un équilibre entre concevoir des objets fonctionnels tout en respectant une forme d’éthique dans le choix des matières, la conception, la diffusion et la commercialisation des objets industriels.
En somme, l’« éthique fonctionnaliste » se définit comme une discipline qui tente de créer des objets dans le champ du design de manière éthique et responsable. Ces termes ne sont donc pas en opposition mais plutôt complémentaires. C’est un concept qui peut s’inscrire dans l’actualité mais sa traduction, « functionalist ethic » n’est peut-être pas forcément compréhensible... Mais pourquoi ne pas l’accompagner d’une explication et d’une recontextualisation ?
Marie GOUSSOT, Master 1 « Design, Arts, Médias, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.
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Jocelyne LE BŒUF , Jacques Viénot (1893-1959) : Pionnier de l’Esthétique Industrielle en France, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Arts et société », 2006, Chapitre, « Esthétique industrielle et préceptes fonctionnalistes », p.111. ↩
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Sreamline est un courant du design américain des années 1930. Raymond Loewy est une figure majeure du mouvement. Il proposait au grand public des objets inspirés de formes aérodynamiques des dernières avancées technologiques. ↩
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UAM : Union des Artistes Modernes, fondé en 1929. ↩
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André HERMANT, Formes Utiles, Paris, éd. Du Salon des Arts ménagers, Vincent Fréal et Cie, 1959. ↩
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Functionalist ethic : éthique fonctionnaliste, traduit par nos soins. ↩
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Jocelyne LE BŒUF, Jacques Viénot (1893-1959) : Pionnier de l’Esthétique Industrielle en France, op. cit. p.48-52. ↩
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Ibidem, p.107. ↩
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Raymond LOEWY, La laideur se vend mal, Paris, Gallimard, coll. Tel 1990. En anglais, le titre original est : Never Leave Well Enough Alone (1952). ↩