1. Définition
Selon le dictionnaire Le Robert, le concept de responsabilité recouvre « la nécessité morale de remplir un devoir, un engagement. Assumer une responsabilité. Prendre la responsabilité de qqch., accepter d'en être tenu pour responsable. Prendre, assumer ses responsabilités. Confier des responsabilités à qqun ».
Le Robert, https://dictionnaire.lerobert.com/definition/responsabilité, Consulté le 8 novembre 2021
Pour mieux cadrer la définition, intéressons-nous à son implication dans la pratique du design grâce à des extraits de textes de Jacques Bosser, Anne Bonny et Chantal Hamaide.
Jacques Bosser insiste sur la responsabilité du designer dans la conception de tout produit pouvant apporter un changement dans la vie de l’homme, disant que « dans la mesure où l’objet créé se propose de transformer ou d’améliorer notre environnement, il entraîne nécessairement une responsabilité du designer ».
BOSSER, Jacques, ProDesign éloge du design utile, Paris, Editions de la Martinière, coll. DesignDeco, 2007, p. 192.
Et ce produit doit être pensé comme l’explique Anne Bonny dans son livre Le Design car « La responsabilité du designer est engagée. Il a une obligation d’anticipation, il doit penser le devenir de ses produits ».
BONNY, Anne, Le Design : histoire, principaux courants, grandes figures, Paris, Editions Larousse, Reconnaître et comprendre, 2015, p. 222.
La responsabilité du designer se définit donc non seulement dans l’usage du produit mais aussi dans sa conception comme l’exprime Chantal Hamaide dans le passage suivant :
« L’architecte franco-turc Timur Ersen, qui a animé cette année son deuxième atelier sur l’argile à Boisbuchet, nous a donné un exemple explicite de la responsabilité des designers. Il envisage sa responsabilité dans une conception qui respecte à la fois les attentes du maître d’œuvre, l’utilisation des matériaux écologiques et le savoir-faire local. Il me semble que tout concepteur devrait, au-delà de son profit à court terme, mesurer les conséquences de son acte pour l’avenir de l’humanité et de l’environnement ».
HAMAIDE, Chantal (et al.), Les nouveaux territoires du design : donner sens et forme au futur, Biarritz, Atlantica, 2017, p. 185.
2. Du français à d’autres langues
La responsabilité, terme utilisé en français, existe aussi dans d’autres langues comme l’anglais et se traduit par responsibility.
L’un des plus grands défenseurs du design responsable, Victor Papanek utilise ce terme en anglais dans son livre Design pour un monde réel pour définir l’implication du designer et son rôle. Il clarifie ainsi la notion quand il écrit :
« The automobile and other consumer industries had to turn their production facilities over to the creation of war supplies, and war-time demands forced a new (though temporary) sense of responsibility on industrial designers1» et que « The designer's responsibility and implication is far greater. He is trained to analyze facts, problems, systems and to make what are at least inspired guesses regarding what may occur if this goes on2 ».
PAPANEK,Victor, Design for the real world: Human Ecology and Social Change, Chicago, 2005, Editions broché, coll. Academy Chicago, p. 47 et 66.
Dans un autre contexte, le mot responsibility est lié à la préservation de l’environnement et l’écologie. Il en est ainsi chez McDermott qui l’emploie pour définir le concept de la durabilité :
« Sustainability broadens the focus of what might be called green and eco thinking to include such issues as social responsibility, ethics and social structures and relations3 ».
McDERMOTT, Catherine, Design the Key Concepts, UK, Routledge Key Guides, coll. London and New York, 2007, p. 215.
Si l’on met en regard le terme en français avec le terme en anglais on constate une légère différence de définition. Le terme en français est lié à l’obligation, le devoir et la décision alors que le terme en anglais est plus basé sur la confiance, le contrôle et la fiabilité (trustworthiness, control, reliability4).
3. Explication du concept :
La notion de responsabilité est large et est utilisée dans plusieurs domaines (médecine, droit, entreprise, etc). Qu’en est-il de la responsabilité liée à la pratique du designer dès lors qu’elle traverse le champ du design ?
Elle se définit comme un engagement moral que doit entretenir le designer dans sa conception avec son environnement. Comme l’énonce Anne Bony, la responabilité est considérée comme fondamentale et comprend « les notions de consommation d’énergie, typologie de matériaux, nouveaux usages aux différentes étapes du produit5». Jacques Bosser pense que la notion a été « alourdie dans des proportions impressionnantes avec la surveillance des consommateurs, le contrôle des services de santé et d’hygiène, la multiplication des règlementations écologiques, la judiciarisation de la société et les risques de l’informatique qui équipe un nombre croissant de produits6 ». En d’autres termes, l’ergonomie, la sémantique du produit, son devenir et son usage désignent la responsabilité du designer. Sa tâche est « d’adapter le “c’est fait de” au “c’est fait pour7” », le designer s’engage à utiliser les bons matériaux pour concevoir le bon produit pour l’utilisateur final. Dans sa volonté d’agir en tant que bon praticien, le designer doit être responsable dans ses conceptions en réalisant des assemblages de formules qui s’accordent aux besoins de l’homme et de son environnement.
Hans Jonas proposait dans Le principe de responsabilité une nouvelle forme de responsabilité morale qui considère et prend en compte le sujet humain (présent et futur) comme finalité et moyen de toute action et élargi le champ de l’éthique. La responsabilité du designer pourrait ainsi se définir par l’engagement à réfléchir le design et à placer l’homme, l’environnement et les usages au centre de la problématique de création et de conception comme le préconise Jonas, à avoir : « agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre8 ».
4. Problématisation
Pour préciser la provenance de la notion de responsabilité dans le champ du design, il semble évident de remonter vers la naissance de cette pratique. John Ruskin, William Morris puis les enseignants du Bauhaus faisaient déjà référence à la responsabilité en parlant d’honnêteté et en lui donnant une forme « éthico-esthétique ». Dans le Manuel de l’histoire du design de Vani Pasca, on retrouve l’idée que « l’honnêteté dans l’usage des matériaux, la qualité d’exécution sont considérées des valeurs morales9 ».
C’est dès le début des années 1970 que Victor Papanek interroge la responsabilité du designer dans sa pratique sur l’évolution et l’état du monde à travers son ouvrage Design for the real world, Human Ecology and Social Change10. Il insiste ainsi la notion de responsabilité du design écologique et durable au lieu de celle de design de produits. Il explique que « le design est devenu l’outil le plus puissant avec lequel l’homme forme ses outils et son environnement11 » et que le concepteur est l’acteur de l’industrie. Papanek plaide pour que chaque designer soit responsable de ses conceptions au-delà d’une éthique strictement professionnelle.
Cette notion englobe dès lors non seulement la responsabilité du designer dans sa pratique et ses valeurs envers l’humain mais aussi envers la préservation de la planète. Selon Bonny, le designer aujourd’hui est considéré comme le « gardien de la biosphère12 » et doit adopter une attitude éthique et responsable envers l’environnement en prenant conscience de ses actes.
Leila MASMOUDI, Master 2 « Design, Arts et Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.
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« L'industrie automobile et d'autres industries de consommation ont dû consacrer leurs équipements de production à la création de matériels de guerre, et les exigences du temps de guerre ont imposé un nouveau (bien que temporaire) sens des responsabilités aux concepteurs industriels. » Cette traduction est proposée par mes soins. ↩
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« La responsabilité et l'implication du designer sont bien plus importantes. Il est formé pour analyser les faits, les problèmes, les systèmes et pour faire ce qui est au moins une supposition inspirée de ce qui peut se produire. » Cette traduction est proposée par mes soins. ↩
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« La durabilité élargit le champ de ce que l'on pourrait appeler la pensée verte et écologique pour inclure des questions telles que la responsabilité sociale, l'éthique et les structures et relations sociales. » Cette traduction est proposée par mes soins. ↩
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« 82 Synonyms and Antonyms of RESPONSIBILITY - Merriam-Webster ». Consulté le 14 décembre 2021. https://www.merriam-webster.com/thesaurus/responsibility. ↩
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BONNY Anne, Le Design, histoire, principaux courants, grandes figures, Paris, Editions Larousse, coll. Reconnaître et comprendre, 2015, p. 225 ↩
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BOSSER, Jacques, Prodesign éloge du design utile, Paris, Editions de la Martinière, coll. DesignDeco, 2007, p. 100. ↩
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JOLLANT,-KNEEBONE, Françoise (dir.), La critique en design, contribution à une anthologie, Nîmes, éditions Jacqueline Chambon, coll. Critiques d’arts, 2003, p. 249 ↩
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JONAS, Hans, Le Principe Responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Éditions du Cerf, trad. J. Greisch, 1990 ; (3ème) rééd. Paris, Flammarion, Paris, coll. « Champs », 1998 p. 40. ↩
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PASCA, Vanni, DARDI, Domitilla, Manuel de l’histoire du design, Trevi, Silvana Editoriale, 2019, p. 20. ↩
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PAPANEK, Victor, Design for the real world: Human Ecology and Social Change, Chicago, 2005, Editions broché, coll. Academy Chicago. ↩
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PAPANEK Victor, Design pour un monde réel, Paris, Les Presses du réel, coll. Environnement et société, traduit de l'anglais par Robert Louit et Nelly Josset, 2009, p. 133. ↩
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BONNY Anne, Le Design, histoire, principaux courants, grandes figures, Paris, Editions Larousse, coll. Reconnaître et comprendre, 2015, p. 225. ↩