1. Définition
Le mot « ressource » dispose, on s’en doute, de plusieurs définitions. Jana Revedin dans Construire avec l'immatériel : temps, usages, communauté, droit, climat : de nouvelles ressources pour l'architecture, apporte une définition du terme en ancien français « resordre » : « ressusciter, relever, remettre sur pied. » De plus, d'après la définition Le Robert, la « ressource » est ce qui peut améliorer une situation fâcheuse. Nous pouvons donc entendre la ressource comme étant un moyen d’agir, le mot recours étant d’ailleurs proposé comme synonyme.
Il s'agit d'un mot très communément employé au pluriel. Désignant des moyens, des possibilités. Des moyens matériels d'existence, des moyens (personnes, réserves…) dont dispose, ou, peut disposer une collectivité, ou encore, des moyens intellectuels et possibilités d'action qui en découlent.
Afin de disposer d’une vision plus large que peut offrir le mot, il est intéressant de l’observer dans un contexte. Si l’on dit, par exemple que « La première de ces étapes est une cartographie des ressources1. », nous pouvons constater que les ressources peuvent être liées à des lieux géographiques et qu'elles peuvent être représentées et quantifiables. Qu’en est-il pour le design ?
2. De l’anglais au français
Dans DESIGNING JAPAN : A Future Built On Aesthetics2, Kenya Hara cite à plusieurs reprises le concept de ressource.
Dans un premier temps on peut relever la phrase suivante : « Most people attach a different sens to « resource », usually seeing it only in terms of natural resources3. » Ici, l’auteur précise la définition du terme, ce qui permet de considérer d’autres types de ressources que les ressources naturelles. Par exemple, l’esthétique selon Kenya Hara est une ressource. En effet, il soutient : « I have begun to think that aesthetics is precisely the resource needed for making things4. » Et il ajoute que cette dernière est une ressource inestimable, qu’on ne peut ni chiffrer, ni vendre, contrairement aux ressources naturelles :
« Fortunately, Japan has almost no natural resources. The resource that has made our nation prosper lies in another dimension. I refer to the wisdom and the sensibility behind organizing an environment with delicacy, thoroughness, precision, and simplicity. Natural resources can be purchased as long as their global circulation is secure. Money buys Australian aluminium or Russian oil. But the “resource of sensibility”, long nurtured at the root of culture, can't be bought. This valuable resource can't be exported, even if it's in demand5. »
Du point de vue de Kenya Hara, la ressource pour le design c’est l’esthétique. Mais la lecture de l’ouvrage nous montre que la notion est plus étendue encore.
3. Explication et problématisation du concept
La définition du concept « ressource » est riche et ouvre plusieurs pistes de lecture. Il s'agit d'un concept qui peut être utilisé dans plusieurs domaines et signifie quelque chose de tout à fait différent au sein de chacun. Dans DESIGNING JAPAN : A Future Built On Aesthetics, Kenya Hara explicite le fait qu'il ne s'agit pas seulement de ressources naturelles comme on peut le penser assez spontanément. Ce qu'il veut dire par là, c'est que ce terme ne se réduit pas à une matérialité des choses ou encore à un prix. Des notions impalpables et immatérielles telles que le temps, par exemple, peuvent être elles aussi considérées comme des ressources. Ou encore l'esthétique est la ressource que l'auteur prône. Il défend l’idée que l'esthétique est la ressource nécessaire pour fabriquer des choses : il s’agit d’une base, voire d’un fondement à la création. Ici, il s’agit d’une esthétique unique car propre à la culture japonaise, traduite par les termes anglo-saxons suivants : « delicately », « thoroughly », « precisely » and « simply ». Cette vision extrêmement raffinée est appelée par l'auteur « resource of sensibility » et revendiquée comme être la force du Japon, une ressource inestimable et non quantifiable. Ce qui est tout à fait intéressant dans cette approche, c'est cette mise en confrontation de la dimension économique à la dimension symbolique.
Plus largement, dans le domaine du design, la ressource est partout. Elle favorise la création et la recherche, au travers des matériaux, des moyens, des usages, des formes, etc. Si la ressource n'est pas disponible, le designer se doit de la renouveler ou de lui donner naissance. Il serait dès lors intéressant d'envisager cette notion de ressource dans le domaine du design en suivant l'idée de Kenya Hara, c’est-à-dire de cette non-distinction entre design et esthétique. Deux champs qui ont été largement questionnés et dissociés par le passé. On pense notamment à Papanek dans Design pour un monde réel (1971) ou encore Flusser dans Petite philosophie du design (1993) qui se sont intéressés à ces questions.
Prenons l’exemple, la question de la ressource du peu. Comme Papanek a pu observer au travers de la création d'une radio avec des matériaux de récupération et décontextualisés de leurs champs d'applications, une part d'esthétique redevient présente. En effet, les habitants ont orné ces objets de symboles et motifs, ils sont venus créer des qualités esthétiques là où il n'y en avait pas. L’esthétique apparaît donc comme quelque chose d’essentiel : pourquoi l’être humain ne peut-il pas se contenter d'objets seulement utiles et fonctionnels ? Il y a une dimension culturelle et mythique. L’esthétique est une nécessité anthropologique.
Dans un second temps, il paraît important de mentionner que tout concept a ses limites, il serait donc intéressant de chercher celles du concept de ressource, notamment au travers de la question de l'accessibilité. Qui a accès et en quelle quantité ? Ou encore pour aller plus loin, dans la question de la « ressource du peu » : doit-on penser que, finalement, tout peut devenir ressource ?
4. Illustration
Figure 1. Ressource : source de problématiques ? Célia CHARRA.
Célia CHARRA, Master 1 « Design, Arts et Médias », Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.
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Jana REVENDIN (dir.), Construire avec l'immatériel : temps, usages, communauté, droit, climat : de nouvelles ressources pour l'architecture, Collection Manifestô - Alternatives, Gallimard, 2018, p. 28. ↩
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Kenya HARA, DESIGNING JAPAN : A Future Built On Aesthetics , Zurich, Lars Muller Publishers, 2019. ↩
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Kenya HARA, DESIGNING JAPAN : A Future Built On Aesthetics , op. cit., p. 04.
Il est possible de traduire cette citation de la manière suivante « La plupart des gens attachent un sens différent au terme "ressource", qu'ils considèrent généralement en termes de ressources naturelles. » ↩ -
Ibidem, p. 4. Il est possible de traduire cette citation de la manière suivante : « J'ai commencé à penser que l'esthétique est précisément la ressource nécessaire pour faire des choses. » ↩
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Ibidem, p. 6.
Il est possible de traduire cette citation de la manière suivante : « Heureusement, le Japon ne possède pratiquement aucune ressource naturelle. La ressource qui a permis à notre nation de prospérer se trouve dans une autre dimension. Je fais référence à la sagesse et à la sensibilité qui sous-tendent l'organisation d'un environnement avec délicatesse, minutie, précision et simplicité. Les ressources naturelles peuvent être achetées tant que leur circulation mondiale est sécurisée. L'argent achète de l'aluminium australien ou du pétrole russe. Mais la "ressource de la sensibilité", longtemps entretenue à la racine de la culture, ne s'achète pas. Cette ressource précieuse ne peut être exportée, même si elle est recherchée. » ↩