Droog Design, brocanteurs de l'inattendu

Quand on dispose d'une villa comme lieu d'exposition, pourquoi ne pas la meubler ? Quand la collection joue l'insolite décalé et que la villa a été construite dans les années 1930 pour un couple d'originaux, pourquoi ne pas les marier ? La première rétrospective en France des créations de Droog Design, ces Hollandais qui bougent, ne pouvait être mieux logée qu'à Hyères, à la villa Noailles, devenue pour l'été Villa Droog.

L'histoire de la villa, construite pour Charles et Marie-Laure de Noailles par Robert Mallet-Stevens, est émaillée d'aventures artistiques, drolatiques et festives, comme le montre avec rigueur et fantaisie la remarquable monographie parue au printemps sous la direction de François Carrassan, élu municipal à Hyères et l'un des sauveteurs de l'édifice menacé d'abandon (Flammarion, 2001, 395 F [59,93 ]), en même temps que la biographie de Marie-Laure de Noailles, de Laurence Benaïm (Grasset, 138 F [20,94 ], Le Monde du 20 avril).


Idées bien en forme

Renny Ramakers qui anime à Amsterdam, sous le symbole collectif Droog Design, un réseau de créateurs, et Jean-Pierre Blanc, responsable de la programmation culturelle pour la villa à Hyères, se sont entendus pour faire le lien entre un lieu d'exception et une cinquantaine d'idées bien en forme. Les créations signées Droog n'ont en commun que d'être sélectionnées par un jury qui y repère un esprit. Droog veut dire « sec » en néerlandais et affiche une volonté d'ascétisme. On pourrait dire que ce sont des objets qui interrogent l'objet, son usage, son origine, qui détournent l'un ou l'autre, se moquent des archétypes, fabriquent de l'inattendu. Parfois, les créateurs se compliquent la vie à plaisir ; parfois, au contraire, ils simplifient d'un geste une démarche de conception jugée trop complexe.

Exemples : deux lustres. L'un est un modèle courant, kitsch, en pampilles de faux cristal et cercle en laiton doré, mais Jurgen Bey (en 1999) l'a enfermé dans une feuille de plexi teinté, et il devient moderne. L'autre, monumental et ultra-simple, est fait du rassemblement de 85 bulbes ordinaires au bout de leur fil, serrés en buisson de lumière, spectaculaire (Rody Groumans, 1993). Au jeu de la vraie et de la fausse récupération, ces brocanteurs de l'inattendu sont imbattables. Ainsi, la pièce la plus connue est une commode, faite d'un rassemblement hétéroclite de tiroirs attachés ensemble par une sangle (Tejo Remy, 1991). Recyclage de tiroirs abandonnés, contestation du fonctionnalisme, objet-sculpture pourtant utilisable, et manifeste contre la folie de tout redessiner, puisque tout, déjà, existe. Le même créateur avait produit un fauteuil en empilant soigneusement des vêtements abandonnés. Il est aussi l'auteur de ce luminaire fait de douze bouteilles de lait, suspendues à leurs fils électriques, laiteuses et translucides.

Babas cool sophistiqués

Légèrement obsédés par le principe de réincarnation, ces babas cool sophistiqués aiment envelopper dans une housse de plastique gris des chaises banales dont on ne distingue plus la silhouette, ou créer un abat-jour en faisant mine de déchirer du mur la quantité strictement nécessaire de papier peint fleuri (Jaap van Arkel, 1999)... Un de leurs best-sellers est une sonnette (Bottoms Up, de Peter Van der Jagt, 1994) où deux verres à vin, fixés tête en bas, font tinter un joli son produit par un heurtoir, image fort conviviale de l'accueil.

Sept ans après leur regroupement, on voit se dessiner la philosophie collective de ce groupe autosélectionné, dont certaines idées sont produites par un éditeur néerlandais, DMD, à Voorburg, et d'autres reprises par des grandes marques (Cappellini ou Mandarina Duck en Italie, Rosenthal en Allemagne, etc.). Au-delà du recyclage polémique - le banc fait d'un tronc d'arbre où sont plantés des dossiers de chaises anciennes disparates conçu par Jurgen Bey en 1999 est plus une installation conceptuelle qu'un objet de design -, la collection fait aussi place à l'exploitation des qualités des matériaux dits plastiques.

Classiquement avec ces sièges monobloc pour enfants (Richard Hutten, 1997), astucieusement avec ces bandes élastiques fixées au mur où l'on peut ranger ou retenir toutes sortes d'objets (Strap, NL architects, 2000), poétiquement pour les grosses pierres de couleur en latex remplies de gros sel qui s'éclairent (Superpatata, de Hector Serrano, 1999). Et, toujours dans la ligne « interrogeons l'usage », une nappe de polyuréthane irisée qui se relève au centre pour former sa propre coupe à fruits...

Placés en situation dans chaque pièce de la villa (le salon, le hall, les chambres) par ailleurs en grands travaux de remise en état, les paradoxes formels de Droog prennent un air raisonnable. Le tour est joué. Bien joué.

© Michèle Champenois