PÉREZ, Éloïsa, La salle de classe, un objet graphique ? , Lyon, Éditions deux-cent-cinq, collection « Milieux », 2021.

Avec La salle de classe, un objet graphique ?, Éloïsa Pérez interroge la place du design graphique dans la transmission des savoirs dans un cadre pédagogique. En effet, si, dans sa plus simple expression, la salle de classe se définit comme un espace d’apprentissage où interagissent ceux et celles qui apprennent et ceux et celles qui enseignent, la salle de classe s’impose comme un lieu de savoir sensoriel et expérientiel, à la maternelle particulièrement vu l’âge des élèves. Spécifiquement, dans une salle de classe, l’esprit critique est développé non seulement par l’intellect, mais aussi par le geste et l’action dans l’espace1. De ce fait, pour aider au développement des facultés motrices et cognitives des élèves, la classe est soigneusement modulée et habitée par de nombreux supports matériels et visuels2. En étant décorée de la sorte, la salle de classe se retrouve à prendre formellement une dimension communicationnelle. Considérant que le design graphique agit similairement à titre d’outil d’organisation visuelle de la forme3, dans quelle mesure, alors, la salle de classe peut-elle être un objet graphique ?

Pour répondre à cette problématique, l’auteure se doit de définir les limites entre l’espace pédagogique et le design graphique. De ce fait, si Éloïsa Pérez avance que la salle de classe peut être vue et interprétée comme un objet graphique, sa thèse se fonde surtout sur la possibilité que les formes puissent en elles-mêmes constituer un savoir. En effet, si « l’usage des formes dans la salle de classe maternelle conditionne un équilibre entre l’expérience des sens et l’opérativité pédagogique, scientifique, idéologique et intellectuelle4 », celui-ci peut, en prenant à la fois les caractéristiques d'un objet et d'un espace, matérialiser l’acte pédagogique. Par le fait même, puisque la salle de classe comme objet graphique peut transmettre des connaissances, alors l’auteure confère conséquemment au design des propriétés permettant le partage des acquis.

Éloïsa Pérez développe son propos en deux étapes distinctes. Après une courte introduction où elle pose les définitions clés de sa réflexion5, elle s’attache à déconstruire la densité matérielle de l’espace de classe6. Par une méthodologie précise, elle s’attache à décrire les formes graphiques qui composent ce lieu. Elle visite diverses salles de classes et les compare. En soulignant leurs points communs, elle est alors en mesure de théoriser la manière dont le savoir se matérialise. À un travail de description et d’analyse, s’adjoint donc un travail de réflexion et de conceptualisation. Au cours de ce processus et afin de comprendre la manière dont la forme, le geste et l’espace s'articulent, elle s’intéresse ensuite à la gestuelle d’apprentissage7. En guise de conclusion, elle défend la dimension fonctionnelle de ce lieu. Elle affirme alors que l’espace de classe s'érigerait autour de la logique de la boîte à outils8. En effet, après avoir été frappée par la surcharge visuelle, elle comprend que l’usage de chaque objet détermine sa présence. L’espace est organisé de manière fonctionnelle, et contient l’ensemble des éléments participant à l’apprentissage des enfants.

Sa réflexion repose sur le développement de divers concepts clés. Par le concept de « matérialité pédagogique », Éloïsa Pérez s'intéresse précisément aux différents supports présents dans les salles de classe. De fait, elle interroge « la place du design graphique dans la transmission du savoir9 ». Ce concept est central à sa recherche et lui permet de mettre en relief la relation entre pédagogie, formes et espace. Par le concept de « spatialisation du savoir », Éloïsa Pérez s'intéresse à la dimension graphique de la salle de classe. Elle souligne les différentes fonctions que le mobilier joue et la fragmentation de l'espace qui en résulte. Par diverses stratégies, telle que par l’utilisation d'indicateurs visuels, elle établit que l’espace se forme par la constitution de coins. L’espace, organisé de manière fonctionnelle, se fragmente donc en petite partie. En plus des coins fixes de la salle, des coins hybrides se distinguent. Permettant la mise en place d'activités spécifiques et ponctuelles (atelier d’écriture, de motricité…), l’espace est régi par cette logique. Par le concept de « gestuelle d’apprentissage », Éloïsa Pérez s'intéresse enfin au rapport entre la forme et le geste, soit à la manière dont les gestes d’apprentissage des enfants témoignent de la matérialité dans la transmission des savoirs.

En considérant la salle de classe comme un objet graphique, Éloïsa Pérez souligne la manière dont la forme est toujours esthétique : « L’aspect esthétique de la salle de classe renvoie à ses dimensions formelle, visuelle, matérielle10 ». C’est pourquoi la dimension esthétique, qui émerge d’un besoin pédagogique, repose sur « les supports conçus et produits avec le matériel de l’école11 ». En effet, peu importe la salle de classe étudiée, bien qu’on puisse toujours retrouver des outils pédagogiques (dessins, pictogrammes, schémas) ayant « les mêmes répertoires de formes, de frises, de représentations graphiques et de mots de vocabulaire12 », les objets graphiques sont tous individualisés et décorés par et pour les élèves. Au-delà de sa dimension esthétique, il y a donc dans la salle de classe un accord logique et éthique entre les objets et leurs usagers. Le processus par lequel la salle de classe se déploie en tant qu’objet graphique répond aux habitudes et aux besoins des usagers. Cet espace est donc logique, et vient servir l’individu plus que s’imposer à lui.

À cet égard, la salle de classe se présenterait donc comme un objet que nous pourrions relier à la théorie méta-esthétique développée par Alain Findeli et Rabah Nousbaci13. L'esthétique émerge par la fonctionnalité des objets. L'usager, qu’il soit du corps professoral ou étudiant, est devenu créateur et producteur de son environnement. Si l’acte de design est donc intégré dans l’acte d’usage et de réception, la dimension éthique de ce projet est évidente. L’espace, par exemple, est souvent formaté par des coins modulables qui peuvent à la fois servir au repos ou à l'heure du conte. Le mobilier multifonctionnel délimitant ces espaces témoigne de la réappropriation qu'en font ses usagers14.

Ainsi, bien que la forme ne soit pas au cœur de la démarche de production d'une salle de classe, les dimensions esthétiques, logiques et éthiques finissent par se répondre par la nature inhérente de l'espace pédagogique, misant sur la création et l'expérimentation. La forme de la salle de classe, devenant un objet à la fois communicationnel et pédagogique, s'inscrit dès lors dans la discipline du design graphique.

Amandine BOULINEAU PILLET et Laurence WILLIAMS, Master 1, « Esthétique », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2023-2024.


  1. PÉREZ, Éloïsa, La salle de classe, un objet graphique ? , Lyon, Éditions deux-cent-cinq, collection «Milieux », 2021, p. 7-11. 

  2. Ibidem, p. 12. 

  3. Ibid., p. 19. 

  4. Id., p. 11. 

  5. Id., p. 7-14. 

  6. Id., p. 16-57. 

  7. Id., p. 61-68. 

  8. Id., p. 71-75. 

  9. Id., p. 9. 

  10. Id., p. 7. 

  11. Id., p. 43. 

  12. Id., p. 14. 

  13. FINDELI, Alain, BOUSBACI, Rabah, « L'éclipse de l'objet dans les théories du projet en design », The Design Journal, VIII (3), 2005, p.35-49. 

  14. Ibidem, p. 52.