ERKMAN, Suren, Vers une écologie industrielle. Comment mettre en pratique le développement durable dans une société hyper-industrielle, Paris, Charles Léopold Mayer, 2004

Dans Vers une écologie industrielle, Suren Erkman propose une nouvelle façon de voir le système industriel : « un écosystème industriel pourrait fonctionner comme un écosystème biologique : les végétaux synthétisent des substances qui alimentent les animaux herbivores, […] et les cadavres servent de nourriture à d’autres organismes1 ». Il formule dès le début de son livre le problème qu’il trouve dans les systèmes industriels actuels : « Le fait de considérer le système industriel comme séparé de la Biosphère entraîne une importante conséquence pratique : l’impact des activités humaines est considéré comme se réduisant essentiellement à des problèmes de pollution de l’environnement. La solution, estime-t-on alors, consiste à traiter la pollution par le biais de divers dispositifs techniques intervenant généralement en fin de processus, nommés end of pipe2 ». Il va donc défendre une industrie qui s’inspirerait de la biosphère et de son écosystème, écosystème qui permet à tous les éléments de fonctionner les uns avec les autres en commençant par une critique de l’approche end of pipe*, c’est-à-dire « la dépollution consistant simplement à déplacer la pollution3 ». Il précise : « Cette méthode présente des avantages, mais elle a pour effet de renforcer le système technique qu’elle perfectionne de manière marginale, au détriment d’une véritable innovation. On s’enfonce ainsi progressivement dans une ornière technologique, d’où il devient toujours plus difficile de sortir4 ». Par ces critiques on comprend que la solution adoptée par un grand nombre d’industrie consiste en limiter les dégâts plutôt que de les régler sur le long terme.

En passant par diverses disciplines comme les sciences de l’ingénieur, la biologie, la géographie ou encore l’économie, l’auteur articule sa réflexion en faveur de l’écologie industrielle autour de six grandes parties. Dans la première partie, il explique le concept de l’écologie industrielle avec des exemples montrant que l’association de plusieurs entreprises peut être favorable au développement de l’écologie industrielle, comme la symbiose de Kalundborg5, mettant en partenariat cinq entreprises qui ont commencées à s’échanger des déchets. En un deuxième temps, il traite du fait que la considération de l’industrie comme sous-système de la biosphère remonte au début de l’écologie scientifique : « Les chercheurs ont reconnu que le substrat biophysique des activités humaines obéit aux mêmes lois que les écosystèmes naturels et que, par conséquent, le système industriel peut être considéré comme un sous-système de la biosphère6 ». En troisième partie, il fait part de l’importance qu’il y a à étudier le métabolisme des industries afin de mieux les comprendre et de pouvoir remonter à la source du problème avant de commencer à chercher une solution. Dans sa quatrième partie, il explique, à travers quatre grands axes, que « l’éco-restructuration7» est une stratégie visant à favoriser la maturation du système industriel. Le premier axe porte sur la valorisation des déchets comme ressource, le deuxième sur la minimisation des émissions dissipatives, le troisième sur la dématérialisation des produits et des activités économiques et enfin le quatrième sur la décarbonisation de l’énergie. Il poursuit son argumentation en faisant part des stratégies technologiques permettant de minimiser les pertes dissipatives. Puis, en dernière partie, il évoque la stratégie de la durabilité qui « consiste à prolonger la durée de vie des biens, ce qui permet de réduire la vitesse des flux de ressources8 ». Suren Erkman pense que les biens devraient être conçus pour durer plus longtemps, il ajoute : « Aujourd’hui, le moment semble venu de perfectionner le système industriel, non plus principalement pour la production et la vente d’objets neufs, mais pour la fourniture de prestations de qualité9 ». Ici l’auteur propose d’imaginer une société de services, dans laquelle il y aurait moins de produits pour plus de personnes (comme des photocopieuses à dispositions de tous, par exemple).

Il y a plusieurs concepts clés employés par l’auteur*, notamment « écologie industrielle », autour duquel il présente son analyse. Un autre élément majeur de l’ouvrage tient au concept de « end of pipe », critiquable car cela n’est pas favorable à l’environnement sur le long terme. Les deux notions que nous retiendrons sont « l’hyper-industrie », qui est fondamentale dans cet ouvrage, Suren Erkman montrant que l’hyper-industrie permet à des flux de matières et d’énergies d’augmenter de plus belle. La deuxième notion importante est « l’écologie industrielle » : l’auteur l’examine, à travers plusieurs disciplines (le design, la chimie, l’ingénierie), afin que l’on puisse avoir une vision plus complète de l’industrie, comprendre comment l’industrie peut ressembler à un écosystème naturel afin de la rendre plus durable.

L’intérêt du design dans l’écologie industrielle réside dans sa capacité à favoriser des pratiques durables dès la conception des produits. Le design peut influencer positivement l’éco-conception, la minimisation des déchets, l’utilisation de matériaux durables, la création de produits réparables et recyclables. Mais aussi et surtout, le design a le pouvoir d’influencer les gens vers un nouveau mode de vie parce que c’est sa responsabilité. Il convient, comme l’écrivait déjà Victor Papanek d’en finir avec le fait que : « Le design publicitaire [...] persuade les gens d’acheter des objets dont ils n’ont pas besoin 10 ». En intégrant des principes écologiques dans le processus de conception, le design contribue à réduire l’impact environnemental des industries et à promouvoir une économie circulaire, alignant ainsi les objectifs économiques avec la durabilité environnementale.

Camille BLOUIN, Lolita LALLOUR, Master 1 « Design Arts et Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2023-2024


  1. ERKMAN, Suren, « Vers une écologie industrielle », Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 2004, p. 26. 

  2. ERKMAN, Suren, « Vers une écologie industrielle », op. cit., p. 15. 

  3. Ibidem, p. 16. 

  4. Ibid., p. 17. 

  5. Id., p. 28. 

  6. Id., p. 49. 

  7. Id., p.100. 

  8. Id., p. 161. 

  9. Id., p. 154. 

  10. PAPANEK, Victor, « Design pour un monde réel », Dijon, Éditions Presses du Réel, traduit par Rober Louit et Nelly Josset, 2021, p. 23.