1. Définition

Dans les dictionnaires d’usage courant, la « culture de masse » « décrit un ensemble de mythes, de notions, d'images, de modèles culturels assez rudimentaires qui sont répandus par tous ces organes et moyens de diffusion (la télévision, la radio, le cinéma, les magazines, la publicité). »
https://www.cnrtl.fr/definition/culture, consulté le 2 Janvier 2022.

Le sens de la notion se précise à travers son emploi. Prenons des exemples.

« La notion de culture de masse, elle, interroge une structure : la Masse à laquelle elle renvoie est une entité de société intégrée, un agent culturel abstrait, de connotation intellectuelle. »

Pascal, ORY, « « Culture populaire », « culture de masse » : une définition ou un préalable ? », Dix ans d'histoire culturelle, Villeurbanne, Presses de l’ENSSIB, 2011, l. 252-255, disponible sur https://books.openedition.org/pressesenssib/1050, consulté le 2 Janvier 2022.

Avec l’idée de « culture de masse » vient la considération d’un nouveau système sociétal, difficilement distinguable, et intellectualisé.

« Il est clair qu’on ne doit pas confondre aujourd’hui la culture de masse développée dans les pays de capitalisme plus ou moins libéral et celle mise à disposition des citoyens dans les sociétés, elles-mêmes diverses, régies par des économies planifiées. »

Georges, FRIEDMANN, « Enseignement et culture de masse », Communications, n°1, Paris, Le Seuil, 1961, p. 3.

Le terme « culture de masse » peut être employé pour parler à grande échelle ou à une échelle plus réduite, mais dans ces deux cas, son sens n’est pas le même car les conditions d’existence de cette culture dite de masse varient.

« Attirant l'attention sur la pluralité des attitudes et des formes de la réception, les travaux postérieurs ont porté l'accent davantage sur les modes de production, les systèmes de représentations ou les divers usages de la culture de masse que sur son message supposé unilatéral ou ses effets fantasmés. »

Dominique, KALIFA, La culture de masse en France, Paris, La Découverte, coll. Repères, 2001, p. 4.

La « culture de masse » est ici la somme d’un ensemble de phénomènes : production, représentation, réception, usages …

Que faut-il retenir ? La culture de masse, difficile à cerner en elle-même, diffuse à grande échelle un ensemble de données culturelles dont la réception va contribuer à organiser de nouveaux systèmes sociétaux.

2. De l’anglais au français

« Mass culture » en anglais a été traduite par « culture de masse » en français, même s’il peut arriver de la retrouver dans sa forme native dans certains textes.

« As a medium with wide distribution, that is, as a part of modern mass culture, design potentially has a massive impact1. »

Mads N., FOLKMANN, The Aesthetics of Imagination in Design, Cambridge Massachusetts, The MIT Press, 2013, p. 15.

« The second line of inquiry tries to explain why the homogenized mass culture of modern societies gives rise not to enlightenment and independent thinking but to intellectual passivity, confusion, and collective amnesia2. »

Christopher, LASCH, « Mass Culture Reconsidered », Democracy (a journal of political renewal and radical change) : Culture vs Democracy issue, The Common Good Foundation, New York, octobre 1981, p. 9.

« The conventions of mass culture repress that [democratic] potential and compress it into popular molds, but the necessity of repression pays peculiar tribute to the lingering possibility of a culture that would help people live more beautifully and truthfully in the world3. »

Todd, GITLIN, « New Video Technology : Pluralism or Banality », Democracy (a journal of political renewal and radical change) : Culture vs Democracy issue, The Common Good Foundation, New York, octobre 1981, p. 61.

Ces trois extraits laissent penser que la notion de « culture de masse », forgée en anglais, traverse les cultures et les sociétés et que le phénomène est désoramais, quant à lui, omniprésent. Ce qui soulève un problème, notamment au plan du design : avec cette globalisation, s’oriente-t-on vers une homogénéisation culturelle menant au conformisme des sociétés ?

3. Explication du concept

Bien qu’ayant été conceptualisée au cours de l’entre-deux-guerres, la « culture de masse » trouve son origine dès le XIXe siècle, lorsque la révolution industrielle puis l’automatisation et la standardisation des procédés de fabrication aboutissent à la production de masse, favorisant ainsi le développement des médias : la télévision, la radio, le cinéma, les magazines, la publicité4… Ces derniers forment alors les « médias de masse » (originellement tiré de l’anglais « mass media »), qui se font à la fois les générateurs de l’industrie culturelle, mais aussi les transmetteurs des pensées et des productions des sociétés de leur époque (les mythes, notions, images, comportements, modèles culturels et représentations collectives …) qui, elles, constituent la culture de masse. Elle fonctionne donc sur le principe du conditionnement de la pensée et de la production des sociétés en une culture partagée par une audience massive5.

Dans The Aesthetics of Imagination in Design, Mads Nygaard Folkmann met en évidence cet impact de l’environnement sur l’expérience individuelle et commune quand il soutient : « Lorsque nous ressentons et percevons le monde moderne à travers ses surfaces tactiles et visuelles, il devient évident qu'elles affectent et structurent notre expérience de manière particulière.6 »

L’accessibilité aux médias de masse liée à l’évolution de la maîtrise technique leur créé un public, une audience. Ils produisent la culture de masse et forment un marché régit par des lois, entretenu et encouragé par la demande populaire. Ils sont ainsi un rouage important de la société de consommation dont la culture de masse est l’un des résultats.

4. Problématisation

L’uniformisation des savoirs et pratiques liée à la culture de masse pourrait être accusée de mener à l’abêtissement des sociétés, de par leur perte de cohérence et de diversité, mais aussi de par le fait que leur diffusion ne passe pas par les circuits académiques considérés comme respectables. La culture de masse, liée à la société de consommation, induit ainsi l’emploi des procédés de diffusion et production de masse, à la défaveur de l’originalité et de l’unicité des valeurs artistiques et/ou intellectuelles. Dans son ouvrage Petite philosophie du design7, Vilèm Flusser évoque une dilution des cultures menant à « […] une culture qui se manifeste, du point de vue esthétique, à travers un design dégénéré en kitsch 8».

Par ailleurs, l’emploi des médias de masse dans le concept de « culture de masse » implique la responsabilité d’une tierce partie dans le choix de ce qui est diffusé et de quelle manière. Ce groupe décisionnaire peut alors imposer et orienter les informations diffusées, lui donnant un pouvoir sur les masses. Ce phénomène vient rejoindre les idées d’abêtissement précédemment évoquées, car la « culture de masse » peut se révéler facilement influençable.

La « culture de masse » vient donc interroger les hiérarchies culturelles en place (par exemple, quelle source prévaut), l’influence des médias de masse, concernant la manipulation de l’information et de l’opinion publique, mais aussi le rapport à la réalité des masses. Mads Nygaard Folkmann remarque ainsi, dans The Aesthetics of Imagination in Design, « Featherstone suit l'analyse de Baudillard sur l'effet de la domination des images dans l'effacement de la différence entre l'image et la réalité et, par conséquent, dans la création d'une nouvelle version hyperréelle, superficielle et " esthétisée " de la vie [...]. Ce processus est, selon Featherstone, non seulement le résultat d'une culture postmoderne du signe qui laisse circuler des signifiants superficiels dans un effacement du sens de la réalité9 [...]. » Le problème, pour les designers, est de savoir s’ils appartiennent ou pas à cette culture de masse.

5. Illustration

Figure 1. La Culture de Masse, Coralie EHRHART.

Coralie EHRHART, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. « En tant que média à large diffusion, c'est-à-dire en tant que partie de la culture de masse moderne, le design a potentiellement un impact massif. » (Traduit par nos soins). 

  2. « La deuxième ligne d'enquête tente d'expliquer pourquoi la culture de masse homogénéisée des sociétés modernes n'engendre pas l'illumination et la pensée indépendante mais la passivité intellectuelle, la confusion et l'amnésie collective. » (Traduit par nos soins). 

  3. « Les conventions de la culture de masse répriment ce potentiel [démocratique] et le compriment dans des moules populaires, mais la nécessité de la répression rend un hommage particulier à la possibilité persistante d'une culture qui aiderait les gens à vivre plus magnifiquement et plus fidèlement dans le monde. » (Traduit par nos soins). 

  4. Dominique, KALIFA, « L'invention de la culture de masse », Sciences Humaines, Auxerre, Éditions Sciences Humaines, avril 2006, URL : L'invention de la culture de masse (scienceshumaines.com), consulté le 2 Janvier 2022. 

  5. Mads, Nygaard FOLKMANN, The Aesthetics of Imagination in Design, Cambridge Massachusetts, The MIT Press, 2013, p. 15 : « As a medium with wide distribution, that is, as part of modern mass culture, design potentially has a massive impact. »
    « En tant que média à large diffusion, c'est-à-dire en tant qu'élément de la culture de masse moderne, le design a potentiellement un impact massif ». (Traduit par nos soins). 

  6. Ibidem., p. 15 : « As we sense and perceive the modern world through its tactile and visual surfaces, it becomes clear that they affect and structure our experience in particular ways. » (Traduit par nos soins). 

  7. Vilèm, FLUSSER, Petite philosophie du Design, Belval, Circé, 2002, (trad. Claude Maillard). 

  8. Ibidem., p. 28. Citation complète : « Si, comme il le semble, la transplantation de la science et de la technique occidentales en Extrême-Orient a pour résultat de diluer les deux cultures, alors il faut bien parler effectivement de « culture de masse », une culture qui se manifeste, du point de vue esthétique, à travers un design dégénéré en kitsch. » 

  9. Mads, Nygaard FOLKMANN, The Aesthetics of Imagination in Design, Cambridge Massachusetts, The MIT Press, 2013, p. 57 : « Featherstone follows Baudillard’s analysis of the effect of the dominance of images in effacing the difference between image and reality and, as a consequence, creating a new, hyperreal, superficial, and « aestheticized » version of life […]. This process is, according to Featherstone, not only a result of a postmodern culture of the sign that lets superficial signifiers circulate in an erasure of the sens of reality […]. » (Traduit par nos soins).