1. Définition
Le terme « manifeste » dérive originalement du latin manifestus, adjectif désignant une chose « évidente, incontestable, flagrante1 ». À partir du XVIe siècle il s’enrichit de la signification italienne manifesto, « feuille volante, manuscrite ou imprimée, de format varié, qu’on affiche dans les lieux publics, dans une intention publicitaire ou propagandiste2 ». En prenant appui sur le Dictionnaire de l’Académie Française, nous pourrions envisager la définition suivante :
MANIFESTE, n.m.
- Déclaration écrite et publique par laquelle un souverain, un État, un gouvernement, un parti fait connaître ses vues sur un certain sujet ou rend raison de sa conduite dans quelque affaire importante.
- Texte, écrit par lequel un mouvement littéraire ou artistique expose ses intentions, ses aspirations3.
Dans le domaine du design, et plus précisément celui du design graphique, le manifeste vise une finalité morale qu’il se propose d’atteindre grâce à des effets d’ordre esthétique. L’occurrence suivante en témoigne :
« Le manifeste interroge une chose dont la nature relève de l’éthique, mais cette chose ne se montre qu’au travers de manifestations phénoménales d’ordre esthétique, qui se donnent à voir comme des évidences. »
PHILIZOT Vivien, « Design graphique et métamorphoses du spectacle », Graphisme en France, Paris, CNAP, 2014, p. 29.
2. Du latin au français
Le sens du mot « manifeste » s’est complexifié au fur et à mesure de l’histoire par différentes opérations linguistiques : « la substantification, l’emprunt et le néologisme de sens4 ». Le tournant sémantique a lieu vers 1575 avec l’intégration du terme italien manifesto déjà établi comme substantif. Cette prise en considération a pour conséquence un enrichissement et une complexification du terme français « manifeste » qui ne sert plus seulement à qualifier l’état d’une chose, mais se constitue comme une chose. Le manifeste devient un objet textuel qui se définit par sa forme et sa fonction – influencés par les principes d’évidence et de surprise induits dans l’adjectif original – en comparaison avec d’autres écrits.
Mais alors que le genre était d’abord compris comme un mode d’expression des dominants et des pouvoirs institutionnels, à savoir un système monarchique ou un État, son extension dans le domaine public l’ouvre aux groupes politiques réformateurs et/ou libertaires ainsi qu’aux milieux artistiques et littéraires. De fait, il est courant d’attribuer à Filippo T. Marinetti l’introduction et la définition du manifeste dans le champ artistique du fait de sa production abondante et de ses multiples prises de position au sujet de ce nouveau genre5. La logique d’usage type6 du manifeste met en exergue la rencontre entre le principe de propagande révolutionnaire, la création visuelle et les techniques de marketing publicitaires soumises à l’injonction capitaliste. Dès lors, la dimension esthétique du manifeste s’affirme au même titre que son contenu idéologique dans une logique communicationnelle. En passant de l’art au design, on peut souligner, avec Ellen et Julia LUPTON, que les « designers semblent particulièrement attirés par les manifestes. Un manifeste bien écrit est comme un objet bien conçu. Il communique directement, il est divisé en parties fonctionnelles et il a des éléments de poésie et de surprise7. » Alors que les termes « graphisme » et « graphic design » émergent discrètement au début du XXe siècle, la caractérisation matérielle du manifeste anticipe la rencontre du texte et de l’image relevant de deux spécialités, « la typographie et l’affiche8 », sur lesquelles le design graphique, en tant que discipline, prendra appui.
Léonore CONTE, enseignante agrégée et doctorante, Laboratoire AIAC, École doctorale EDESTA, Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis.
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Définition du terme « manifeste » d’après le Dictionnaire de l’Académie Française, 9e édition, en ligne, consulté le 27 avril 2021, https://accesdistant.bu.univ-paris8.fr:2229/9/consulter/Manifeste?page=1 ↩
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BATTAGLIA Salvatore, Grande Dizionario della lingua italiana [1961], en ligne, Academia de la Crusca, UTET Grandi Opere, t. 9, p 692. Pour la traduction française, voir CHOUINARD Daniel, « Sur la préhistoire du manifeste littéraire (1500-1828) », Études françaises, vol. 16, n° 3-4, 1980, p. 23 : « Manifeste, n.m. feuille volante, manuscrite ou imprimée, de format varié, qu’on affiche dans les lieux publics, dans une intention publicitaire ou propagandiste, afin de divulguer des faits intéressant la communauté ». ↩
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Définition du terme « manifeste » d’après le Dictionnaire de l’Académie Française, op. cit.. ↩
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Daniel CHOUINARD, « Sur la préhistoire du manifeste littéraire (1500-1828) », op. cit., p. 22. ↩
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Voir à ce sujet ses nombreux échanges avec les peintres du mouvement. Par exemple, sa lettre adressée à Gino SEVERINI en 1913 : « J’ai lu avec beaucoup d’attention ton manuscrit qui contient des choses très intéressantes. Toutefois je dois te dire qu’il n’a rien d’un manifeste. Tout d’abord, le titre ne convient absolument pas, car trop générique et déjà trop présent dans les titres d’autres manifestes. Ensuite, il faut que tu élimines toute la partie où tu cites le merde et le rose d’Apollinaire, car il est absolument contraire à la nature de nos manifestes de faire l’éloge d’un manifeste dans un autre […] Je te conseille donc de le réviser et de le retravailler ‒ en éliminant toutes les redites, en renforçant et en synthétisant tous les éléments de nouveauté ‒ sous forme de Manifeste. » Lettre de Filippo Tommaso MARINETTI à Gino SEVERINI, datant du 15 septembre au 1er octobre 1913, reproduite dans Maria DRUDI GAMBILLO et Teresa FIORI (dir.), Archivi del futurismo, vol. I, Milan, De Luca, p. 294.
Pour la traduction française, voir : BIROLLI Viviana, « Constitution et archéologie d’un genre : le cas des manifestes futuristes », Études littéraires, vol. 44, n° 3, 2013, p. 26.
On peut aussi se référer à celle envoyée à Henry MAASEN à la fin de l’année 1909. « Ce qui est essentiel dans un manifeste, c’est l’accusation précise, l’insulte bien définie. […] Il faudrait à mon avis, avec un laconisme foudroyant et une crudité absolue de termes, attaquer sans emphase […] ce qui étouffe, écrase et pourrit le mouvement littéraire et artistique en Belgique […] Tout cela en précisant les accusations par quelques détails ou anecdotes et des noms surtout. — Il faut donc de la violence et de la précision ; le tout très courageusement. » Pour la traduction française, voir : Lista GIOVANNI, Futurisme, manifestes, proclamations, documents, Éditions l’Âge d’Homme, Lausanne, 1973, p. 18. ↩ -
Elle est notamment définie par Francesco PRATELLA selon les critères suivants : « Le premier est polémique et ouvertement sensationnel ; le deuxième est théorique ; le troisième individualiste. » Voir Francesco Balilla PRATELLA, Autobiografia, Milan, Pan, 1971, p. 101‑103. Pour la traduction françaisese reporter à : BIROLLI Viviana, op. cit., p. 27. ↩
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LUPTON Ellen et LUPTON Julia, « Manifesto Mania », AIGA, 19 août 2008. Nous traduisons. ↩
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VOX Maximilien, « Le Graphisme », Le Cahier, n°5, mai 1929, p. 31. ↩