1. Définition 

La définition usuelle du « médium » révèle l’ambivalence de la notion éponyme en fonction des disciplines qui la mobilisent. Il est défini dans les domaines de la philosophie comme « ce qui sert de support et de véhicule à un élément de connaissance ; ce qui sert d'intermédiaire, ce qui produit une médiation entre émetteur et récepteur1 ». Le médium est alors simultanément une technique qui organiserait des connaissances, et un intermédiaire matériel dans un système de communication. En tant que « moyen de transmission d'un message2 », il est exemplifié dès 1975 en référence à l’auteur Marshall McLuhan. Dans le champ des arts et du design, il est employé pour désigner la mise en œuvre matérielle et technique d’une production esthétique, le séparant alors des médias (avec un accent et un s au pluriel) qui désignerait plutôt le médiatique, c’est-à-dire les supports par lesquels transitent l’information. Terme polysémique, il sera repris par les mouvements spirites et occultistes dès le XIXe siècle pour définir un intermédiaire humain capable de communiquer avec des esprits3.

Les citations suivantes permettent de saisir la notion de médium, dans des approches esthétiques, en français :

« La théorisation du médium comme élément crucial du modernisme artistique fait jouer deux sens apparemment opposés du mot. Dans le mot "médium", on entend d’abord "ce qui se tient entre" : entre une idée et sa réalisation, entre une chose et sa reproduction. Le médium apparaît ainsi comme une intermédiaire, comme le moyen d’une fin ou l’agent d’une opération. Or la théorisation moderniste qui fait de la "fidélité au médium" le principe de l’art renverse la perspective. Ce médium à la spécificité duquel il faut être fidèle n’est plus simplement l’instrument de l’art. Il devient la matérialité propre qui définit son essence. »

Jacques RANCIÈRE, « Ce que « medium » peut vouloir dire : l’exemple de la photographie », Appareil, n°1, [En ligne], 2008, URL : http://journals.openedition.org/appareil/135, DOI : https://doi.org/10.4000/appareil.135 consulté le 24/06/2021.

« La résistance du médium et ses conditions d’existence sont les limites et les problèmes, autant que les ressources et l’avenir de l’art. Le médium dit aussi bien le matériau que le mouvement de la "poïèse" qui s’en empare ou l’attention de "l’esthèse" qui le perçoit. Il a, non une logique, mais une opérativité interne que l’artiste doit affronter, pour que le public puisse s’y confronter. Par exemple, le langage peut s’exploiter : techniquement (le langage de communication quotidien), poétiquement (le médium de la poésie, ce sont "les mots extraits de leur mondanité"), théâtralement (le médium du théâtre, c’est le "discours incarné par des agents"), romanesquement (le médium du roman, c’est le "texte déployé linéairement"). »

Pascal, KRAJEWSKI, « Éditorial », Appareil, n°17, [En ligne], 2016, URL : http://journals.openedition.org/appareil/2281, consulté le 24/06/2021

2. De l’anglais au français 

La traduction du terme anglais « medium » varie selon l'époque et les courants théoriques du mot. Dans l’ouvrage An Essay concerning Human Understanding, le philosophe John Locke fait usage répété de cette notion pour décrire un environnement ou une substance. Dans ce contexte, le terme « medium » est traduit en français par le mot milieu :

« And though men have of late made use of a pendulum, as a more steady and regular motion than that of the sun, or (to speak more truly) of the earth ; yet if any one should be asked how he certainly knows that the two successive swings of a pendulum are equal, it would be very hard to satisfy him, that they are infallibly so : Since we cannot be sure, that the cause of that motion, which is unknown to us, shall always operate equally ; and we are sure that the medium in which the pendulum moves, is not constantly the same4. »

John, LOCKE, An Essay Concerning Human Understanding, [1690], book 2, chap.14, § 21, New York, Dover Edition, 1959, np. 489.

L'acceptation du terme médium en français pour décrire des moyens de transmission est tardif, majoritairement liées aux théories de Marshall Mcluhan. La publication française de son livre Understanding media : the extension of Man fait date puisque le terme medium n’est pas traduit, conservant en français sa graphie et origine latine. Cependant l’absence de traduction a transformé la signification française du terme, lui faisant endosser celle de la théorie de l’auteur canadien :

« In a culture like ours, long accustomed to splitting and dividing all things as a means of control, it is sometimes a bit of a shock to be reminded that, in operational and practical fact, the medium is the message. This is merely to say that the personal and social consequences of any medium—that is, of any extension of ourselves—result from the new scale that is introduced into our affairs by each extension of ourselves, or by any new technology.5 »

Marshall, McLUHAN, Understanding Media : The Extensions of Man, [1964], Massachusetts, MIT Press,1994, p. 7.

Ce texte a popularisé l’emploi du mot médium pour qualifier toutes techniques et technologies qui viennent augmenter et prolonger notre corps, que ce soit le téléphone, l’argent, l’électricité ou la voiture. Reconnu pour sa maxime « le médium est le message », Marshall McLuhan critique la hiérarchie qui fait du médium un intermédiaire neutre, disparaissant au profit de ce qu’il communique. Il s’attache à voir les conséquences sociales que le médium amplifie ou accélère au-delà de sa capacité à restituer un message, comment il structure et façonne les activités humaines : le train n’est plus un moyen de transport entre deux destinations, mais un médium qui changent l’architecture des villes, la ruralité, la relation à la distance et au temps, au travail et au loisir.

Construit sur les écrits de McLuhan, des auteurs tel que l’universitaire William John Thomas Mitchell ont reconsidéré l’étude du médium dans sa dimension symbolique, c’est- à-dire de transmission d’un sens dont la valeur est aussi émotionnelle, relationnelle, et historique, et se reflète dans des pratiques sociales. C’est ainsi qu’il écrit :

« A medium, in short, is not just a set of materials, an apparatus, or a code that “mediates” between individuals. It is a complex social institution that contains individuals within it, and is constituted by a history of practices, rituals and habits, skills and techniques, as well as by a set of material objects and spaces (stages, studios, easel paintings, television sets, laptop computers). A medium is as much a guild, a profession, a craft, a conglomerate, a corporate entity as it is a material means for communicating6. »

Ce sens du médium est proche de la lignée théorique française de la médiologie portée par Régis Debray et Daniel Bougnoux, dont les écrits interrogent l’articulation entre les fonctions sociales et les moyens de transmission, insistant alors sur l’efficacité symbolique de ces techniques7.

3. Explication du terme 

Le « medium » latin désigne le centre, c’est-à-dire le point équidistant du périmètre d’une chose définie, mais qualifie aussi un lieu mis à la disposition de tous et exposé au regard de tous. De cette origine latine, la langue française ne garde du médium que sa relation au centre comme mesure, abandonnant son emploi pour définir un espace. Cependant, ce sens de « milieu », de « substance » hérité du « metaxu » grec, notamment explicité par Aristote8, n’a jamais disparu dans la langue anglaise ; le français lui emprunte d’ailleurs tardivement le sens « [...] de milieu dans lequel a lieu un phénomène9 », évoquant un espace physique et chimique, non plus géographique.

Le tournant théorique au XXe siècle, qui définit nos usages actuels du mot médium, est initié par Walter Benjamin dans son ouvrage L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique10, où il analyse les effets des artefacts techniques et matériels sur la perception collective ainsi que les productions artistiques. Le médium y est défini comme l’environnement perceptif11, évoluant conjointement à l’émergence d’appareils qui viennent organiser l’expérience sensorielle humaine médiatisée. Le cinéma, exemple phare de l’ouvrage, est défini par son potentiel de réagencement du réel, de la production à la réception. Les techniques de montage, les choix esthétiques tels que les plans larges renouvellent la nature perçue ; la manière dont nous percevons sensiblement notre monde est le résultat des transformations sociales et politiques engendrées par les appareils.

Le médium chez Walter Benjamin est marqué par la notion de milieu, le différenciant des appareils qui le forment.

Un an plus tard, Outre-atlantique, le critique d’art américain Clement Greenberg l’analyse au regard des revendications d’une pureté du médium dans les expérimentations plastiques de l’abstraction américaine dans Toward a Newer Laocoon12. Ce mouvement abandonne la représentation figurative et l’espace perspectiviste réaliste, pour saisir la peinture dans sa matérialité et sa technique propre. Ainsi, les peintures révèlent la planéité de leur toile tendue, son tissage, la texture de la peinture, les bords de son châssis, sa géométrie. Clement Greenberg tente, dans ce texte, d’interpréter historiquement les évolutions des médiums (poésie, musique, arts plastique) afin de comprendre en quoi ils furent entremêlés et indifférenciés – la peinture interprétant la littérature, la musique s’inspirant des tableaux – jusqu’à leur séparation.

S’en suit, dans diverses disciplines, une étude du médium dont l’angle d’observation a produit de nombreuses définitions multipliant son sens, parfois jusqu’à abolir toutes limites de sa définition (tout est médium). De l’École de Toronto (Marshall McLuhan, Harold Innis), des Medientheorie allemande (Friedrich Kittler), ou encore de la médiologie française (Régis Debray, Daniel Bougnoux), le médium est tour à tour l’ensemble des techniques et technologies qui prolongent le corps, la totalité des appareils permettant d’enregistrer, de transmettre et de traiter de l’information, voire en France les deux à la fois insistant sur la qualité de transmission mémorielle.

Toutes ces différentes interprétations rappellent que le médium est historiquement situé, chacune replaçant leurs différents média d’étude dans une généalogie. On constate donc que l’évolution des significations de ce terme est corrélée à l’apparition de nouvelles techniques de représentation et/ou de communication.

4. Problématisation

Le concept de médium anglais et allemand, ainsi que leurs nombreuses variantes théoriques, se heurtent à l’abandon en français de l’emploi du concept pour désigner le « milieu de la perception », ou substance. Des auteurs nord-américains tel que Marshall McLuhan décrivent d’ailleurs le médium par l’usage de nombreux jeux sémantiques et métaphores, faisant glisser le medium entre substance et environnement13.

Dans le champ du design, nous pensons dans un médium et avec un médium, il est la matrice qui façonne et qui est façonnée. Le médium influence l’organisation et la structure de la pensée. Par exemple, le système scripturaire employé changent drastiquement la manière d’ordonner les signes du langage. Un ordinateur facilite une écriture non linéaire, et de fait une pensée non linéaire. Comprendre comment le médium participent récursivement à la pensée et de fait à l’imagination permet de saisir ses limites et potentiels : le médium comme ce qui permet de concevoir et le médium comme un environnement qui participent de nos modes de pensées et de représentations.

Les formes à venir, dans un projet en design, dépendent de la manière dont le médium conditionne leur apparition, puisqu’elles ne peuvent exister en dehors de sa matérialisation. Il est alors leur milieu, avec ces spécificités et ses qualités ; mais il est aussi le milieu dans lequel la perception de ces formes se produit. Il déplie les agencements potentiels de la matière et de la pensée, nous permet aussi de voir les relations entre ces formes projetées et produites.

Ambre CHARPIER, doctorante Paris 1 Panthéon-Sorbonne et en codirection avec Télécom Paris, ATER à l’École des Arts de la Sorbonne.


  1. Pour voir les définitions dans d’autres disciplines, voir :
    http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=1955287470 consulté le 24/06/2021 

  2. Ibidem

  3. Alain, REY, (dir.), « Dictionnaire historique de la langue français, nouvelle édition augmentée », (1993) ; rééd. Paris, Le Robert, coll. Les Dictionnaires, 2010, p. 2181. 

  4. « Et bien que les hommes se soient récemment servis d'un pendule, comme un mouvement plus stable et régulier que celui du soleil ou pour mieux dire, de la Terre ; si l'on demandait à quelqu'un comment il peut savoir avec certitude que les deux oscillations successives d'un pendule sont égales, il serait très difficile de le convaincre qu'elles le sont infailliblement : puisque nous ne pouvons pas être sûrs que la cause de ce mouvement, qui nous est inconnue, agira toujours de manière égale ; et nous sommes sûrs que le milieu dans lequel se déplace le pendule n'est pas constamment le même. »
    John, LOCKE, Essai philosophique sur l'entendement humain : Livres I et II, [1690], Paris, Vrin, coll. Bibliothèque des Textes Philosophiques, trad. de l’anglais par Jean-Michel Vienne,2001, p. 307. 

  5. « Dans une culture comme la nôtre, habituée de longue date à tout fragmenter et à tout diviser pour dominer, il est sans doute surprenant de se faire rappeler qu’en réalité et en pratique, le vrai message, c’est le médium lui-même, c’est-à-dire, tout simplement, que les effets d’un médium sur l’individu ou sur la société dépendent du changement d’échelle que produit chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes, dans notre vie. » Marshall, McLUHAN, Pour comprendre les médias, les prolongements technologiques de l’homme, [1964], Paris/Tours, Mame/Seuil, coll. Intuitions, , trad. de l’anglais par Jean Paré 1968. 

  6. William, John, Thomas, MITCHELL, « Adressing Media », dans Marshall McLuhan's "Medium is the Message": Information Literacy in a Multimedia Age, vol.1, [En ligne], 2008, URL : https://mediatropes.com/index.php/Mediatropes/article/view/1771, consulté le 24/06/2021. 

  7. « J’appelle donc ‘‘médiologie’’ la discipline qui traite des fonctions sociales supérieures dans leurs rapports avec les structures techniques de transmission. J’appelle ‘‘méthode médiologique’’ l’établissement, cas par cas, de corrélations, si possible vérifiables, entre les activités symboliques d’une groupe humain (religion, idéologie, littérature, art, etc.), ses formes d’organisation et son mode de saisie, d’archivage et de circulation des traces. » Régis, Debray, Manifestes médiologiques, Paris, Gallimard, coll. Hors série connaissance 1994, p.21 

  8. À ce sujet : Emmanuel, ALLOA, « Metaxu. Figures de la médialité chez Aristote », in Revue de métaphysique et de morale, n° 62, vol.2, [EN LIGNE], 2009, consulté le 29/06/2021
    URL : https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2009-2-page-247.htm 

  9. Alain, REY, « Dictionnaire historique de la langue français, nouvelle édition augmentée », Op. Cit. p.2181 

  10. Walter, BENJAMIN, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, [1939], trad. de l’allemand par Maurice de Gandillac, revue par Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, coll. Folio Plus philosophie, 2007. 

  11. Antonio SOMAINI, « Walter Benjamin's Media Theory: The Medium and The Apparat. », dans Grey ROOM, Massachusetts, MIT Press, n°62, Winter Issue, [EN LIGNE] 2016, consulté le 29/06/2021. 

  12. Clement, GREENBERG, « Toward a Newer Laocoon », dans Partisan Review, New-York, n°4, vol.7, John Reeds Clubs, 1940. 

  13. « As Selye deals with the total environmental situation in his "stress" theory of disease, so the latest approach to media study considers not only the "content" but the medium and the cultural matrix within which the particular medium operates ». Marshall, McLUHAN, Understanding Media : The Extensions of Man, op.cit, p.11.