Tendance. Intérieurs. Fantasia chez les poufs. Humour, extravagance, poésie...

La « Métropole » du Salon du meuble 2000 repère des lubies prospectives et expose, ce week-end, des objets contemporains, dont beaucoup de sièges, entre technologie et franche rigolade.


Est-ce les Radi Designers qui ont insufflé une brise loufoque sur la Métropole, îlot pionnier du Salon du meuble de Paris ? Élus créateurs de l'année 2000 de cette manifestation de plus en plus reconnue sur la scène européenne, ils trônent comme les joyeux papillons du jour au centre de ce lieu dédié à la création contemporaine. Sous la direction artistique de Christophe Pillet, scénographiée par Ronan et Erwan Bouroullec, cette petite cité idéale, aérée, permet, de rue en rue, de trouver chaise à son pied. Sans plan, choisir le parti pris de l'humour, un antidote indispensable au design qui se complaît souvent dans les concepts, afin, comme le rappelle Pillet, de « ne pas se prendre trop au sérieux ».

Dans le registre de l'étrange, un vrai bruit de vent, lancinant, attire l'oreille. « Le Phare », espace « explorateur des évolutions comportementales », s'est bizarrement fait rattraper par les aléas de l'actualité en exposant le Ballugophone de Peter Keene, un cornet acoustique monté sur trépied, sculpture qui se balance et émet un inquiétant son de «tempête ». Les scénographes, visionnaires involontaires, ont délimité le lieu avec quelques longs troncs d'arbres sectionnés ! ça coupe le souffle, et ça fait rire !

Fantasmagorie

Au pied de cette œuvre tumultueuse, il y a tout un bric-à-brac en plastoc. Régis, fondu très doué, 26 ans, diplômé des Arts déco, fait feu de tout plastique, qu'il écrabouille, «customise» et détourne pour le transformer en saladiers ou en lampes. « De la pop récup, radioactive !» À côté, sur ce stand « Aléatoire », il y a une corbeille que l'on jurerait tissée en serpentins de papier. « Pas du tout, dit l'auteur, Pierre Pozzi, mais il s'agit bien de papier », précise cet amoureux de « l'opacité de cette matière ». Et Pozzi vous conseille d'aller chez Sawaya et Moroni. Il faut y courir. Là, Darwish, fabuleux siège gris et rouge, du Savoyard italien William Sawaya, figure aussi bien la silhouette d'un derviche tourneur que celle d'une pieuvre sympa un peu avachie. Paulo Moroni, ambassadeur de cette grande maison italienne, palabre autour de ce triple fauteuil, à égale distance entre technologie et légende, et jubile. « Paris bouge, la France redevient un marché, le design trouve sa place, il y a un lieu unique au monde, la boutique Colette. Ce salon, depuis deux ans, est inattendu, solide, prend des risques, s'ouvre au monde, à l'Europe ».

Après ce cocorico lancé par cet Italien francophile, un verre tout de travers, « Kiasma », en cristal pur, vous conduit au bord du doute. Non, ce n'est pas vous qui êtes fêlé, mais la designer finnoise Sari Anttonen, qui joue des tours à l'asymétrie. Elle présente aussi « Prêt-à-porter », un sofa flexible et futé qui a déjà séduit la Scandinavie. À la vitrine Presse internationale, « Kokon », la chaise « siamoise » de Jurgen Bey stoppe votre élan. Au rayon Cybernétique, une drôle de machine 35 heures d'un dur labeur fantasme les pompes que vous ne faites jamais, lubie poilante d'Éric Hourdeaux (« BHV 2 000 idées pour l'an 2000 »). Ça redémarre avec Quart de Poil, qui a la marotte rigolote de travailler une mousse polychrome, neutre, inodore et sans aucun danger pour les enfants qui peuvent ainsi entièrement dévorer le petit fauteuil « Pimpom ».

Fantasmagorie plus zen et « organique » avec Christian Astuguevieille et Karine Jollet qui ont planté des poufs blancs multiformes : en forme de cœurs, polochons, cygnes, un petit champ de menhirs poétique, en tissu. D'ailleurs, le salon fait vraiment pouf, partout. À l'espace « Design Lab », lieu ouvert à la prospection techno-industrielle, le « Foup moussant » de Mathilde Bretillot et de Frédérique Valette invite à être touché. La chaise longue de Christian Ghion, piétement en alu et assise façon bulle d'eau turquoise, donnerait envie de faire un plouf dans une chaude piscine. Pour qu'ils attaquent le futur, « Marie-Claire » a demandé à quelques pointures bien en vue du moment de visualiser, en images numériques, « leur » maison du troisième millénaire. De « belles images », apaisantes, qui jouent entre nature et mobilité. Mais la vision des Tsé & Tsé, « Ben Hur », baignoire roulante, est de loin la plus poilante et pétaradante.

Géo Trouvetou. Pour finir, le VIA (Valoristion de l'innovation dans l'ameublement), qui fête ses 20 ans au salon. Cette institution, dirigée par Gérard Laizé, point de rencontre entre designers et industriels, lance à la Métropole son « Agora des créateurs », base de données sur l'Internet. Elle présente aussi deux « Cartes blanches », dont celle donnée à Christain Biecher, brillant Monsieur Hulot techno, dont le concept d'« intérieur supermoderne » se réfère à Tati. Et 13 autres projets innovants, pas tristes non plus. Le « Poufeuil », gonflé car incroyablement gonflable, que François Azambourg met en forme tout à loisir en fonction du désir du corps. L'artistique « tapis-table-basse, repose-pieds, range-journaux », d'Illen Korren, relève d'un Géo Trouvetou premier de la classe. Et le « Lit clos » d'Erwan Bouroullec, inspiré du typique meuble breton, évoque une cabane qui serait construite dans un arbre invisible.

Reste à pister un dernier mutant, Ora Ito, dont le travail entièrement virtuel est évoqué dans la vitrine « Illustrator ». Ce pirate de la 3D a décidé de « provoquer avec humour trente grandes marques comme Vuitton ou Nike1» et d'imaginer pour elles « un design futuriste ». Cet adepte du « Futurspective », n'est pas dupe : « On pourrait dire que je vends du vent ! ».

© Libération


  1. Lire dans Repères 2000, catalogue de la Métropole du Salon du meuble : six courants du design y sont décryptés par Brigitte Fitoussi et Christophe Pillet.
    (Lire aussi le portrait de la designer Matali Crasset, en dernière page)