Abécédaire du design
« Ne demandez pas à un designer de dessiner un pont, demandez-lui plutôt un moyen de traverser une rivière. » Cette maxime pragmatique définit bien le design. Trop souvent réduit à un adjectif confus, à un style trendy, le design est rarement appréhendé comme un substantif évoquant questionnements et projets, qui s’appliquent à différents champs de la vie. Vingt-six mots d’un abécédaire ne sont donc pas de trop pour cerner la discipline, d’Art à ZAC. Pistes de réflexion pour étayer concrètement le parcours de la Design Week parisienne et l’actualité de cette rentrée.
A comme art. Le design frôle l’art et s’en différencie fondamentalement. Cet art «appliqué» permet la conception d’un objet fonctionnel, reproductible, avec le concours d’entreprises ou d’artisans. Mais ce n’est pas si simple. Certains designers se donnent la liberté expérimentale de l’artiste, à travers des pièces limitées. Une démarche représentée à la Design Week par Didier Faustino, artiste, architecte et designer transfrontière qui ausculte la relation intime entre le corps et l’espace à travers des installations. On le retrouvera également à la Cité de l’architecture et du patrimoine en octobre.
Cité de la mode et du design, 34, quai d’Austerlitz, 75013.
B comme Bouroullec. Longtemps, il n’y a eu que S comme Starck en France. Aujourd’hui, il faut compter avec les deux frères Ronan et Erwan Bouroullec qui, depuis dix ans, font muter nos paysages domestiques. 2011 est leur podium permanent : créateurs de l’année au salon Maison & Objet de janvier, ils ont aussi dessiné le canapé Ploum pour Ligne Roset, présenté l’expo « Album » au centre d’architecture Arc-en-Rêve à Bordeaux. Et les voici consacrés au Centre
Pompidou-Metz à partir du 7 octobre.
Ligne Roset, 25, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75011.
C comme culinaire. Marc Brétillot nous fait saliver avec une idée : et si le matériau nourriture — chocolat, parmesan ou jambon — pouvait se travailler comme le bois ou le métal pour inventer d’autres formes et sensations à nos dégustations de plats et mets… Le design culinaire est devenu une discipline dans la discipline. Vérification au Purgatoire avec une exposition de Charlotte Brocard, « On ne joue pas à table ».
Le Purgatoire, 54, rue de Paradis, 75010.
D comme durable. Le design a été anti-écolo par essence, lui qui a commis par milliers des chaises en plastique polluantes et des produits inutiles. Aujourd’hui repenti, il devient l’outil indispensable de l’écoconception. Les produits durables pullulent. S’il ne plonge pas dans une nouvelle morale étriquée et passéiste, le design devrait être le ferment d’une économie verte inventive. En témoignent les meubles en fibre de lin de Noé Duchaufour-Lawrance, présentés à la galerie Bensimon.
Galerie Bensimon, 111, rue de Turenne, 75003.
E comme écoles. D’où sortent les designers confirmés ? De l’Ensci ou des Arts décoratifs de Paris ? Des écoles d’art et de design de Reims, Saint-Etienne, Brest, Nantes, ou de l’Ecal de Lausanne, d’Eindhoven, du Politecnico de Milan ? Ou encore du Royal College of Art de Londres, où a été fondé le collectif activiste Glitch Fiction qui présente ses folles spéculations critiques du monde.
Cité de la mode et du design, 34, quai d’Austerlitz, 75013.
F comme femmes. L’ex-métier de dessinateur industriel, devenu designer à la fin des années 60, était très masculin. Après quelques rares papesses – Charlotte Perriand, Eileen Grey, puis Andrée Putman –, les femmes commencent à se faire des noms. Matali Crasset tisse son réseau, de l’abbaye de Fontevraud au festival du Vent des forêts (Meuse). On remarque aussi la dandy Mathilde Brétillot, l’élégante Marie-Christine Dorner, la piquante Inga Sempé, Elise Foin et ses petits papiers, la magicienne Constance Guisset, la rêveuse Ionna Vautrin, la prometteuse Pauline Deltour. Et l’architecte d’intérieur très en vogue India Mahdavi, qui a aménagé à Paris le bistrot le Germain et l’hôtel Thoumieux.
Maison Thoumieux, 79, rue Saint-Dominique, 75007.
G comme graphisme. Le design graphique est peu exposé, sauf dans deux manifestations : le festival de l’Affiche de Chaumont et le Mois du graphisme d’Echirolles. Parmi des centaines de créateurs se font remarquer les M/M, avec leurs pochettes de Björk ou leurs posters du théâtre de Lorient, sans oublier leurs récentes interventions à l’hôtel Thoumieux (lire F). Le duo Ich&Kar, qui manie des identités visuelles variées, présente cette semaine ses pépites en avant-première chez SometimeStudio.
SometimeStudio, 26, rue Saint-Claude, 75003.
H comme histoire. Le design, né comme le cinéma avec la révolution industrielle du XIXe siècle, a déjà son histoire et ses enjeux théoriques. Arts & Crafts anglais, Bauhaus allemand, radicaux italiens des années 70, postmodernisme 80, collectif néerlandais Droog Design 90, tous ces mouvements prouvent qu’il n’est pas que le suppôt frivole de la société (hype) de surconsommation, mais un champ porteur de valeurs sociales, d’utopies, d’humour et de visions critiques.
Comme celles de l’Italien Andrea Branzi, représentatif depuis quarante ans des maestri et théoriciens milanais, qui pensent la ville, la nature, comme une poétique.
Andrea Branzi, Mondomio, 38, rue de Bellechasse, 75007.
I comme international. S’il existe un vivier de designers français reconnus, il n’y pas pour autant de french style. La Paris Design Week est forcément internationale, mettant à l’honneur le Japon, influence tenace et majeure représentée chez Merci, ainsi que la Pologne et la Norvège à la Cité de la mode et du design. Mais « I » rime aussi avec Italie, le pays qui parle le design et dont les grandes marques, de Cappellini à Cassina, sont installées à Saint-Germain.
Cappellini, 242, bd Saint-Germain, 75007.
J comme jeune. Pousses, émergents, tendrons… Qui seront les Bouroullec de demain ? Les 25-30 ans sont traqués, des écoles aux galeries. Les trouvera-t-on à l’exposition «Pygmalion » de la galerie Gosserez, parmi Piergil Fourquié, Julie Pfigersdorffer, Thibaud Klepper ou Alfredo Da Silva, parrainés par Arik Levy, Pierre Charpin, Patrick Norguet et Noé Duchaufour-Lawrence ? Ou à la ToolsGalerie, qui expose six « Jeunes Pousses », dont Vincent Loiret ?
Galerie Gosserez, 3, rue Debelleyme, 75003. Jusqu’au 22 octobre. ToolsGalerie, 119, rue Vieille-du-Temple, 75003. Jusqu’au 29 octobre.
K comme Kreo. En France, c’est la galerie de design contemporain la plus importante, qui défend des designers internationaux majeurs et très cotés : Martin Szekely, les Bouroullec, Konstantin Grcic, Jasper Morisson, Hella Jongerius… En septembre, elle expose « Ignotus Nomen », de Pierre Charpin.
Galerie Kreo, 31, rue Dauphine, 75006. Jusqu’au 7 octobre.
L comme lieu. À Paris, une adresse s’est imposée depuis 2009 : le Lieu du design. Porté par la région Ile-de-France et dirigé par Laurent Dutheil, cet espace expose le design dans tous ses états et ses recherches et met en relation créateurs et entreprises.
Cette semaine s’y dévoile une excitante nouvelle association, Particule 14. Créée par Laurent Denize d’Estrées (de l’agence de design 14 Septembre), cette plate-forme de réflexion et d’actions présente son manifeste, ses quatorze membres fondateurs, dont François Azambourg, et quarante-cinq objets de huit designers.
Lieu du design, 74, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012.
M comme mode. Les liens entre fashion et design sont multiples. Les couturiers, de Christian Lacroix à Jean Paul Gaultier, dessinent canapés et assiettes ; Karl
Lagerfeld conçoit des verres pour Orrefors ; et les maisons de luxe comme Hermès développent de plus en cette discipline porteuse. Le design adopte aussi les vices de la mode : rapidité, vanité des tendances, surenchère d’événements paillettes. Le domaine des bijoux, des parures, se renouvelle lui aussi, la preuve chez Alessi.
Alessi, 31, bd Raspail, 75007.
N comme numérique. Les objets inanimés - tables, étagères, lampes connectées - deviennent des interfaces interactives, capables de recevoir et gérer des informations. L’intelligence augmentée, comme la défend Jean-Louis Fréchin, est porteuse d’un nouveau modèle industriel. En attendant qu’il se développe au-delà de niches encore expérimentales, on passera chez Colette voir le luxueux téléphone-bijou AE+Y d’Æsir et Yves Béhar.
Colette, 213, rue Saint-Honoré, 75001.
O comme origami. Cette technique du pli japonais inspire régulièrement nombre de créateurs, dont Olivia Giacobetti pour sa collection de bonbons aux parfums d’enfance à la Pâtisserie des rêves.
La Pâtisserie des rêves, 111, rue Longchamp, 75016.
P comme prototypage rapide. La stéréolithographie ou l’impression 3D sont de nouveaux processus de fabrication qui, grâce à des programmes informatiques, permettent de réaliser des pièces aux formes très complexes. Des techniques expérimentées par Patrick Jouin pour ses sièges Solid. Encore très coûteux, ces processus de fabrication pourraient permettre l’autoproduction, grâce à des Fab Lab. Et faire de tout un chacun un designer ?
Q comme quête. Le designer peut-il améliorer la vie ? C’est son rêve récurrent d’être un médiateur social. En connexion avec les sciences, l’ingénierie, il se voit l’allié de la médecine grâce aux textiles innovants et aux nanotechnologies, le promoteur d’une mobilité plus douce et humaine, d’un urbanisme et d’un habitat plus conviviaux, le chantre de nouveaux usages et rituels, parfois Géo Trouvetout. À quand les voitures volantes ? En attendant ces chimères (réalisables), passons chez Citroën pour redescendre sur terre.
Citroën, 42, avenue des Champs-Elysées, 75008.
R comme récupération. Tout est devenu recyclable, du plastique à l’électronique. La récupération, ou le transfert de technologies, donne naissance à un low design pur et éthique, comme le défend le duo Normal Studio au Lieu du design. Ou à un style néo-roots frisant le n’importe quoi kitsch.
Le Lieu du design, 74, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012.
S comme star. Moins people que la moyenne, la discipline a néanmoins ses personnalités internationales. Depuis trente ans, c’est Philippe Starck qui domine la planète, son hôtel Mama Shelter le représentant à Paris. Il est talonné par Ron Arad, Marc Newson, Zaha Hadid, Karim Rashid… Et Jean Nouvel, « architecte qui fait du design » et qui ouvre au public son atelier de design pour présenter ses pièces de 2011.
Atelier Jean Nouvel, 10, cité d’Angoulême, 75011.
T comme transports. On a surnommé Roger Tallon, designer industriel phare des années 70, Monsieur TGV ! Il est intéressant de relire son fauteuil du TGV
Atlantique de 1983, exposé chez Sentou. Et de le comparer à celui conçu par Christian Lacroix en 2007 ! Dans quel TGV y avait-il plus de place au bar ?
Sentou, 14, rue Moreau, 75012.
U comme usine. Sans entreprise, sans savoir-faire, pas de design. Il n’y a qu’un industriel et éditeur français qui rivalise avec les marques italiennes : la maison Ligne Roset-Cinna, dont les usines historiques sont implantées dans le Jura. Portée par Michel et Pierre Roset, elle produit chaque année des pièces originales, en travaillant avec près de 33 designers indépendants. Mais émergent de nouveaux petits éditeurs, courageux en période de crise, comme Moustache, la Corbeille, Petite Friture ou Esé.
Cité de la mode et du design, 34, quai d’Austerlitz, 75013.
V comme végétal. Greffer éléments naturels et objets est un exercice qu’adore pratiquer l’architecte Patrick Nadeau, designer dit végétal. Benjamin Graindorge conçoit, lui aussi, des minipaysages où s’hybrident plantes et ustensiles : on est loin des pots de fleurs… Il présente sa première exposition personnelle, « MorningMist », chez Ymer&Malta.
Ymer&Malta, 44, rue de la Condamine, 75017.
W comme watt. L’économie d’énergie fait aujourd’hui partie du cahier des charges du designer et des entreprises. EDF conçoit dans ce sens des produits économes, comme une horloge qui contrôle et gère en direct la consommation d’électricité. Les designers veillent, lors de la fabrication de leurs pièces, à ne pas gaspiller. C’est une réflexion que mène, entre autres, Jean-Marie Massaud.
Galerie Bensimon, 111, rue de Turenne, 75003.
X comme XO. On n’oublie pas la maison d’édition XO de Gérard Mialet, dont le mentor de la première heure est Philippe Starck. Elle présente les meubles déco-baroques du Néerlandais Marcel Wanders.
État de siège, 21, avenue de Friedland, 75008.
Y comme yourte. Cet habitat traditionnel mongol, comme autres tentes et huttes, est souvent réinterprété par les créateurs, sous forme de mini-architectures, cabanes et bulles contemporaines. Particulièrement par Matali Crasset dans les chambres-cabanes de l’hôtel Hi Matic à Paris. Dans cet écologis urbain, elle présente sa dernière création, la chaise modulable Double Side.
Hi Matic, 71, rue de Charonne, 75011.
Z comme ZAC XIIIe. Figure de proue sur la Seine de la ZAC Masséna, le bâtiment vert Docks-en-Seine, conçu par les architectes Jakob + MacFarlane, est tristement vide depuis plus de deux ans. Bonne nouvelle, il ouvre ses ponts pour la Paris Design Week. Deuxième bonne nouvelle, il serait inauguré en février 2012, équipé d’un restaurant, d’un bar, d’espaces créateurs et autres surprises. Deviendra-t-il enfin la Cité de la mode et du design, ou un lieu commercial ? Chiche !
Cité de la mode et du design, 34, quai d’Austerlitz, 75013.
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