1.Définition

Provenant du latin machina, le mot machine signifie :

« objet fabriqué complexe capable de transformer une forme d'énergie en une autre et/ou d'utiliser cette transformation pour produire un effet donné, pour agir directement sur l'objet de travail afin de le modifier selon un but fixé ».

Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, consulté le 10/12/2021, URL : https://www.cnrtl.fr/definition/definition/machine

Cependant, une autre définition, qui semble tout aussi pertinente, se trouve dans le livre d’Alexandra Midal, La Manufacture du meurtre : vie et œuvre de H. H. Holmes, premier serial killer américain, à savoir : « Personne qui agit comme un automate ».

Dans ce livre, le mot machine apparaît plusieurs fois :

« [...] Aucun animal ni aucun être vivant ne tiennent face à la machine et à la promesse des bénéfices ».

« Le déploiement des machines, l'embauche massive d'ouvriers dans les usines et la montée en puissance de la classe bourgeoise se développent sur la base d'une productivité érigée en nouvel idéal ».

« La maison-refuge se transformant en un rouage d'un système, elle s'ouvre littéralement à l'invasion machinique ».

MIDAL, Alexandra, La Manufacture du meurtre : vie et œuvre de H. H. Holmes, premier serial killer américain, Paris, La Découverte, Zones, 2018, p. 11, 48, 49.

La première définition se rattache au château d’Holmes, lieu des crimes du serial killer. La seconde définition désigne plutôt Holmes, le serial killer au comportement machinique, dépourvu d'âme. L’un ne pouvant exister sans l’autre, le château et Holmes se confondent et composent une machine à meurtre.

2. Du français vers l’anglais

Dans le passage du français à l’anglais, par exemple, le mot machine garde son sens. C’est ce dont témoignent les occurrences suivantes :

« As the weeks and months go on using Flyways the platform is getting better at its suggestions due to machine learning in the A.I.1 ».

STONE, Alex, « US airline uses AI to guide planes, eliminates plastic to reduce carbon footprint », ABC News, 6/12/2021, Consulté le 15/12/2021, URL : https://abcnews.go.com/Business/us-airline-ai-guide-planes-eliminates-plastic-reduce/story?id=81279464

« People with no experience in machine learning have identified problems with AI in the past2 ».

JOHNSON, Kari, « The Movement to Hold AI Accountable Gains More Steam », Wired, 2/12/2021, Consulté le 15/12/2021, URL: https://www.wired.com/story/movement-hold-ai-accountable-gains-steam/

Si le problème n’est pas linguistique, ces extraits indiquent cependant que, avec les avancées technologiques, la machine a gagné une nouvelle dimension qui n’existe pas jusqu’alors : la machine est de plus en plus autonome et intelligente. Dans ces extraits, la machine ne semble plus avoir besoin d’une énergie extérieure, elle fonctionne de façon autonome et plus elle apprend grâce à l’intelligence artificielle, plus elle est capable de se passer de l’intervention humaine.

3. Explication du concept

Bien plus qu’une entité formée de métal et de mécanisme, la machine selon Alexandra Midal est une entité vivante qui est venue, dès le XIXe siècle, envahir tous les aspects de la vie moderne. Dans son livre La Manufacture du meurtre : vie et œuvre de H. H. Holmes, premier serial killer américain, l’autrice décrit la maison d’autre fois comme un « refuge » qui fut perturbé à cause de « l’invasion machinique ». La révolution industrielle a vu l’exportation des machines conçues à des échelles industrielles vers le foyer, dans un but de rendre la vie de la ménagère une peu plus facile. Contrairement au reste des Américains, H. H. Holmes, le premier serial killer américain, a profité de ces avancées technologiques, ce qui lui a donné une avance sur ces victimes. Son château, lieu du crime, est qualifié de véritable Smart House avant l’heure par l’autrice3. Holmes était capable de commander - grâce à la mécanisation de tous les systèmes de gaz, d'électricité et d’eau intégrés dans les entrailles de l'édifice - les meurtres, et cela sans avoir à quitter sa chambre. Le château n’est donc pas un outil de meurtre, mais une véritable machine à meurtre.

Dans Du mode d’existence des objets techniques, Gilbert Simondon pense la machine ainsi que son rôle dans la société. Contrairement à Midal qui condamne la machine et qui lui donne une part de culpabilité dans les meurtres de H. H. Holmes, Simondon « ne plaide pas pour une condamnation des machines4 ». Pour lui, la machine est un individu technique5. Dans son livre, Simondon explique que la machine a remplacé l’être humain en tant que « porteur d’outil » pour le devenir elle-même6. Suffisamment autonome, la machine peut enfin venir libérer l’être humain de son statut de porteur d’outil, pour qu’il devientne « réparateur et surveillant des machines7 ». C’est ainsi que l’apparition des machines peut venir élever le statut de l’homme.

4. Problématisation

Autonome, coupable, individualisée… On remarque que la machine est traitée comme une entité vivante et comme un individu technique, notamment chez Midal. Pourtant, elle ne semble pas être, en elle-même dotée d’intention. On ne peut la créditer sur ce point, même quand elle s’appuie sur l’intelligence artificielle. Le design qui s’appuie sur des machines (et pas simplement des outils), s’attache à concevoir les interfaces des machines, est-il pour autant devenu une activité machinique dépourvue d’âme ?

Célia Géraldine MATTA, Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. « Au fil des semaines et des mois d'utilisation de Flyways, la plate-forme s'améliore dans ses suggestions grâce à l'apprentissage automatique dans l'IA ». (Traduit par mes soins) 

  2. « Des personnes n'ayant aucune expérience en apprentissage automatique ont identifié des problèmes avec l'IA dans le passé ». (Traduit par mes soins) 

  3. MIDAL, Alexandra, La Manufacture du meurtre : vie et œuvre de H. H. Holmes, premier serial killer américain, Paris, La Découverte, Zones, 2018, p. 47. 

  4. Jean-Hugues BARTHÉLÉMY, « Glossaire Simondon : les 50 grandes entrées dans l’œuvre », Appareil [En ligne], 16 | 2015, mis en ligne le 09 février 2016, consulté le 04 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/appareil/2253 ; DOI : https://doi.org/10.4000/appareil.2253 

  5. STIEGLER, Bernard, « Individuation et grammatisation : quand la technique fait sens... », Documentaliste-Sciences de l'Information, vol. 42, no. 6, 2005, p. 354-360. 

  6. STIEGLER, Bernard, « Individuation et grammatisation : quand la technique fait sens... », Documentaliste-Sciences de l'Information, op. cit., p. 354-360. 

  7. HÉRISSON, Audrey, « Les machines humaines de Simondon. De la dialectique utilisateur/concepteur de systèmes d’armes à une émergence de capacités militaires intégrées », Stratégique, vol. 112, no. 2, 2016, p. 145-164.