Zappareil sans pareil
À Paris, une expo réunit 28 projets de télécommandes qui réconcilient beauté, usage et technologie1.
La télécommande est un drôle d’objet. Indispensable pour zapper à la télé ou déclencher d’autres périphériques, c’est le plus souvent un parallélépipède noir ou gris en plastique, plat et moche. « Sois utile et tais-toi ! » dit-on à cet outil, qui suscite le courroux lorsqu’il s’avère introuvable ou trop complexe. Certes, la zappette de la Freebox conçue par notre ami (?) Philippe Starck est plus ergonomique, simplifiée, multifonctions. Mais « pourquoi un vase, une chaise, une lampe ont pu devenir des objets chargés de valeurs, d’émotions, de culture alors que la télécommande en est généralement dépourvue ? » C’est la question posée au Lieu du design, à Paris, par l’exposition « Lazy Bytes » : voir là une allusion à la première télécommande mise sur le marché en 1951, la Lazy Bones.
Cette recherche, qui repense cet objet techno-transitionnel, émane de l’École polytechnique fédérale de Lausanne associée à l’École cantonale d’art de Lausanne dans un laboratoire commun : l’EPFL + Ecal Lab. « L’ambition de cette exposition n’est pas de remplacer les dernières générations de télécommandes les plus sophistiquées, mais de leur apporter un complément, une alternative : proposer une expérience nouvelle, sensible, culturelle pour renouveler notre rapport au numérique», affirme le Suisse Nicolas Henchoz, directeur de l’EPFL + Ecal Lab (personnage enthousiaste et hybride, né en 1967, qui fut journaliste scientifique mais aussi gastronomique, ainsi que véliplanchiste).
Contact. À quoi ressemblent donc ces nouvelles télécommandes ? La plus séduisante, c’est Galeo, de Raphaël Dutoit, un outil minimal en bois pour le socle, avec un galet de commande minéral noir. Zap, de Marie Schenker, prend la forme d’un livre imprimé, avec une encre conductrice qui assure un contact entre les pages. Dès qu’on l’ouvre, la télévision affiche la chaîne correspondant au numéro de la double page ouverte. Platform, de Florent Julien, est une petite plateforme de commande à coulisses sur une base qui identifie l’appareil numérique à piloter. Irma, de Zoe Aegerter, est un anneau qui selon son orientation permet de choisir une chaîne au sein d’une mosaïque affichée sur la télé. Rolling Control, de Mathieu Rohrer, s’inspire des jeux d’antan en bois, tel un boulier, et peut commander 999 chaînes.
En rupture avec les typologies standard, ces 28 projets sont attachants, réconciliant beauté, usage et technologie. Ils s’efforcent pour certains de réduire le stress de l’utilisateur, ou de diminuer la quantité d’informations à gérer. Les sensations tactiles sont renforcées. Quelques-uns de ces petits pilotes prennent en charge tous les appareils du salon, au service de la convergence entre télévision et ordinateur. Ces prototypes ou projets ont été réalisés par des designers de quatre écoles : l’Ecal de Lausanne, l’ENSCI de Paris, le Royal College of Art de Londres et la Parsons New School de New York. C’est avec le groupe suisse Kudelski, un des leaders mondiaux dans le contrôle d’accès aux chaînes de télé, que ces études ont été réalisées.
Rupture. Cette télécommande réinventée est une des prospections abordées dans l’ouvrage les Ruptures fertiles, design et innovation disruptive2, qui retrace les autres recherches de l’EPFL + Ecal Lab. Il est signé par Nicolas Henchoz et le journaliste Yves Mirande. Débarrassons-nous vite du terme « disruptif » qui signifie simplement « totale rupture ». Dans ce sens, le projet Sunny Memories réunit des nouveaux objets du quotidien, autonomes énergétiquement, grâce aux capteurs photovoltaïques développés par le professeur Michael Grätzel. Give more établit des principes de narration pour la réalité augmentée. Hidden Carbon explore des matériaux composites à fibre de carbone pour un usage quotidien tel qu’une balançoire ou un tabouret. Tous contribuent à rapprocher le designer et l’ingénieur.
Mais l’intérêt de cet ouvrage, c’est de croiser toutes les expériences initiées par ce laboratoire avec les points de vue de designers comme le Britannique Jasper Morrison, ou l’Italien Andrea Branzi, ou encore le scientifique Patrick Aebisher. Ici, pas de recettes miracles pour passer à de nouveaux services ou objets disruptifs. Il s’agit de redonner de l’âme et de la magie à nos outils familiers, sans emphase par rapport au déferlement numérique. Pour trouver un équilibre entre le virtuel et le physique.
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