ANDERS, Günther, Die Antiquiertheit des Menschen : Über die Seele im Zeitalter der zweiten industriallen Revolution, Munich, C. H. Beck, 1956.

ANDERS, Günther, L'Obsolescence de l'homme, Sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution industrielle (1956) ; Paris, Éd. de l'Encyclopédie des nuisances, coll. Éditions Ivrea, trad. Christophe DAVID, 2002.

Günther Anders se questionne sur la place de l’homme dans la société post-industrielle, à une époque où les machines produites par l’homme dépassent ses capacités d’apprentissage et sa reproductibilité. Quel rapport l’homme entretient-il avec les machines qu’il a lui-même créées ? Telle est la question conductrice de l’ouvrage.

Il décrit la condition humaine qui se dégrade après la deuxième révolution industrielle. Anders défend trois idées principales dans son ouvrage. La première1 vise à montrer que l'homme n’est pas à la hauteur des machines qu'il produit. La deuxième2 tient à ce que tout ce qui est produit par l'homme dépasse sa capacité de représentation et sa responsabilité. En effet, l’homme est tellement dépassé par les machines qu’il a produit qu’il en devient obsolète. Il ne peut plus anticiper les conséquences de ce qu’il produit, à l’image de la bombe atomique utilisée par les États-Unis pour mettre fin à la Seconde Guerre mondiale. Enfin, la troisième idée3 concerne l'homme qui vient se positionner dans une matrice4, dans un moule conditionnant ses besoins, et est contraint à croire que ce qui lui est donné à croire.

Afin de répondre à la problématique posée, Anders argumente son propos en quatre grandes étapes. D’abord, il propose une réflexion sur la honte prométhéenne. Selon lui, l’homme est inférieur à la machine qu’il a lui-même conçue. Ce chapitre questionne la victoire de l’esprit sur le corps. Basée sur le mythe de Prométhée, la honte prométhéenne est la honte ressentie par l’homme lorsqu’il se rend compte qu’il a atteint ses limites physiques face à la machine5. Ensuite, Anders évoque le rapport de l’homme au monde : le monde n’est vu qu’à travers la télévision et la radio, l’homme n’a plus besoin de bouger pour voir une image de l’univers dans lequel il vit avec ses semblables. Le monde n’existe plus qu’à travers ces instruments, ses appareils, il devient fantôme. Dans une troisième étape, Anders propose une définition de la matrice et du conditionnement des besoins qui est lié. Les besoins de l’homme sont créés en fonction de ce que la société a à offrir, de la matière première disponible. Enfin, dans un dernier chapitre, l’auteur évoque l’aveuglement de l’homme par rapport aux objets, notamment à la bombe atomique. Il y explique le positionnement de l’homme par rapport à ce qu’il fabrique et qui le dépasse.

Ces différentes étapes de l’argumentation peuvent ainsi être résumées en quelques concepts clés : obsolescence, honte prométhéenne, matrice, aveuglement. L’obsolescence désigne l’état de périssabilité dans lequel se trouve l’homme par rapport à la machine. La honte prométhéenne est la honte ressentie par l’homme lorsque celui-ci se rend compte de la supériorité de la machine qu’il a lui-même fabriquée. La matrice est le moule de conditionnement des besoins qui définit aussi les rapports de dominance entre l’homme et la machine. Enfin, l’aveuglement est l’état dans lequel se trouve l’homme vis-à-vis de ce qu’il a créé, notamment la bombe atomique, utilisée comme exemple principal par Anders.

Des liens entre le propos de Günther Anders et le champ du design peuvent être établis. Le design est l’art des techniques. En effet, bien que le design ne présente ni unicité ni aura, il entretient tout de même un certain culte de la beauté qui peut être apparenté à l’art. Ainsi, le design apporte un changement de regard sur l’objet, il enrichit notre attention sur les techniques et sur les appareils qui engendrent les objets. De ce fait, le designer finit lui aussi par être dépassé par les machines et voit ses outils lui dicter ses choix. En étant dépendant de celles-ci, il est lui aussi périssable, car remplaçable par d’autres designers voire par des machines qui sauront mieux utiliser les outils. En effet, de plus en plus de designers sont remplacés par des intelligences artificielles par exemple, de la même manière que les ouvriers sont petit à petit remplacés par des machines. Cette posture adoptée par l’auteur dans son livre fait office de prévision sur le futur de l’humanité. Il s’agit toutefois d’un point de vue extrêmement pessimiste que Anders lui-même ne souhaite pas voir réalisé. Cette tendance du designer remplaçable et dépendant de ses outils est réversible, notamment grâce à la nouvelle génération de designers qui proposent des méthodes pour composer avec les techniques et les machines.

Suzanne ANGER, Master 2 « Design Arts Médias », Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. ANDERS, Günther, L'Obsolescence de l'homme, Sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution industrielle (1956), Paris, Éd. de l'Encyclopédie des nuisances, coll. Éditions Ivrea, trad. Christophe DAVID, 2002, p. 37-115. 

  2. ANDERS, Günther, L'Obsolescence de l'homme, Sur l'âme à l'époque de la deuxième révolution industrielle, op. cit., p.261-360. 

  3. Ibidem, p.117-241. 

  4. Voir notice « Matrice ». 

  5. Voir notice « Honte Prométhéenne ».