1.Définition 

Cette notion de « Monde réel » est composée de deux termes. Monde signifie, d’après le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales «Ensemble de tout ce qui existe sur terre, perçu par l'homme et le plus souvent en opposition avec lui », le sens philosophique désignant un « Ensemble de choses ou de concepts d'un même ordre, considérés dans leur totalité et constituant un aspect de l'univers ». Réel renvoie à ce « Qui existe d'une manière autonome, qui n'est pas un produit de la pensée ».
https://www.cnrtl.fr/definition/monde, Consulté le 03 janvier 2022.

Il peut sembler difficile de penser un concept forgé sur deux termes dont le premier exclu l’être humain et le second la pensée… Dans Design pour un monde réel, Victor Papanek indique, sans détour, qu’avoir souci du « monde réel » c’est concevoir des produits répondant aux besoins effectifs de l’homme, et pas des gadgets.

Cette notion est reprise et clarifiée dans un article où Victor Petit écrit :

« La philosophie de Papanek s’appuie d’abord sur une contradiction entre les besoins réels et les besoins factices, et ce qu’il appelle le « monde réel » n’a de sens que par opposition au « dictat du marché » auquel succombent trop de designers – ce pourquoi trop d’objets sont inadaptés, polluants, discriminants, etc. »

PETIT, Victor, « L’éco-design : design du milieu ou design de l’environnement », Sciences du Design, 2015, n°2, p. 31 à 39.

De même, la notion de « monde réel » est mentionnée dans certains écrits qu’Anthony Masure consacre à Papanek, notamment quand il écrit :

« …Écrit en opposition aux productions qui ne répondent pas à des « besoins », l’auteur y fustige dès les premières lignes un design qui ne s’adresse qu’à une élite. Si l’on met cette thèse en regard des impasses des productions sciences-fictives, on peut donc se demander si le design a pour but d’exprimer de nouvelles représentations du futur, ou s’il doit au contraire s’attacher à travailler "pour un monde réel". »

MASURE, Anthony, Panne des imaginaires technologiques ou design pour un monde réel ?, 2017. Disponible sur : https://www.anthonymasure.com/articles/2017-09-panne-imaginaires-technologiques-design-monde-reel, Consulté le 03 janvier 2022.

Le « monde réel » n’existe pas en lui-même, il correspond à un tout, un univers humain que les designers devraient considérer pour concevoir des produits utiles et éco- responsables répondant aux vrais besoins des individus et non pas à une élite.

2. De l’anglais en français

Design pour un monde réel est traduit de l’anglais Design for the real world. La définition de la notion « real world » proposée par Collins Dictionary est « the world as it exists, as opposed to one that is theoretical or imaginary1».

Collins Dictionary, disponible sur : https://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/the-real-world, consulté le 03 janvier 2022.

Dans son ouvrage, Victor Papanek entend clarifier la notion en lui opposant l’attidute de designers soucieux de tendances, de mode et non des besoins réels. C’est ainsi qu’il écrit :

« It is obvious that better solutions to the design problems of the real world will corne from young people skilled in the discipline of design, not by untrained dilettantes toying with "trendy" radical chic2.”

PAPANEK, Victor, Design for the Real World: Human Ecology and Social Change, London, Thames & Hudson Ltd, 1971, p.123.

De même, Papanek continue à expliquer cette notion dans son dernier chapitre intitulé « The Neon Blackboard », en disant :

« The main trouble with design schools seems to be that they teach too much design and not enough about the social, economic, and political environment in which design takes place. It is impossible to teach anything in vacuo, least of ail in a system as deeply involved with man's basic needs as we have seen design to be. To this dichotomy between the real world and the word of the school, there have been, understandably, many different answers3

PAPANEK, Victor, Design for the Real World: Human Ecology and Social Change, London, Thames & Hudson Ltd, 1971, p. 281.

Dans ce passage, Papanek s’attaque au fond du problème, qui n’a rien de linguistique ou de philosophique. Il critique la méthode d’enseignement des écoles du design, qui ne tient pas compte des besoins du monde réel. D’après lui, le design enseigné dans ces écoles ne prend pas en compte les valeurs écologiques, économiques et sociales et n’est pas assez lié aux besoins fondamentaux de l’homme.

3. Explication du concept

Victor Papanek, dans Design pour un monde réel, défend fermement les designers souieux de prendre leurs responsabilités sociales et écologiques. Il désapprouve les productions voyantes, dangereuses et inutiles. Il plaide avec force pour un meilleur design pour les handicapés, les infirmes, la communauté du monde en développement, qui souffre d’un manque d’objets si utiles dans la vie quotidienne : des lampes, par exemple. Il tente aussi d'aligner le design thinking sur les besoins réels, ce qui est si crucial à notre époque alors que nous sommes toujours confrontés à la crise pétrolière, au réchauffement climatique, à la pauvreté non résolue et aux problèmes sociaux. Cette insistance s’explique dans la mesure où il n’est pas si facile de changer radicalement la pensée des concepteurs, de leur faire prendre en compte les implications plus larges de leurs actions en termes de finalité du design, de qualité de vie et d'avenir de la société.

4. Problématisation

« Monde réel » ou « real world », est une notion qui accorde la priorité aux réels besoins de l’être humain. Elle rend au design son éthique. Ou tout au moins, elle tente de lui rendre son éthique. En effet, cette notion n’est-elle pas mise à mal par l’histoire même du design ? Du point de vue de l’histoire, le design est une discipline de projet, mettant en œuvre une méthodologie de conception qui développe une adéquation entre forme et fonction ayant pour finalité l’efficacité commerciale. Le design industriel est commercial.

Peut-on réellement sortir de cette conception du design et prendre en considération l’éthique ? Le design industriel a négligé, totalement ou en partie, différents domaines qui constituent pourtant, une source de profit, aussi bien pour le fabricant que pour le designer. Parmi ces secteurs nous pouvons citer : le design pour les régions sous-développées, le design au service des instruments d’enseignement et de rééducation pour les autistes, les handicapés et les infirmes et le design pour la médecine et la chirurgie. En outre, l’on peut utiliser des matériaux responsables, durables et à prix minimes, afin de réduire les prix de revient de l’objet : ce qui ne nuira pas au marché. Et, afin de concevoir des produits de qualité, le designer peut s’inspirer des lois de l’esthétique industrielle initiées par Jacques Viénot. Parmi ces lois nous insistons sur la loi d’économie, loi de l’aptitude à l’emploi et de la valeur fonctionnelle et la loi d’unité et de composition.

En conclusion, l’éthique ou le « monde réel » de Victor Papanek ne sont peut-être pas si irréconciliables avec le design industriel et le marché qu’il y paraît.

5. Illustration

Figure 1. Le monde réel : les besoins réel de l’homme, Jihane NASRALLAH

Jihane NASRALLAH, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon- Sorbonne, 2021-2022.


  1. Ce qui donne en français : « Le monde tel qu’il existe par opposition à un monde théorique ou imaginaire. Traduit pas nos soins.  

  2. Ce qui donne en français : « Il est évident que les meilleures solutions aux problèmes de conception du monde réel viendront de jeunes gens compétents dans la discipline de la conception, et non de dilettantes sans formation jouant avec le chic radical "à la mode"». Traduit par nos soins. 

  3. Ce qui donne en français : « Le principal problème des écoles de design semble être qu'elles enseignent trop de design et pas assez l'environnement social, économique et politique dans lequel le design prend place. Il est impossible d'enseigner quoi que ce soit in vacuo, et encore moins dans un système aussi profondément lié aux besoins fondamentaux de l'homme que le design. À cette dichotomie entre le monde réel et la parole de l'école, il y a eu, à juste titre, de nombreuses réponses différentes.»
    Traduit par nos soins.