FLUSSER, Vilèm, Für eine Philosophie der Fotografie, Göttingen, European Photography, 1983

FLUSSER, Vilèm, Pour une philosophie de la photographie, Belval, Circé, Essais,1996

Dans Pour une philosophie de la photographie, Vilèm Flusser part du constat que l’invention des images techniques constitue la deuxième coupure fondamentale de la culture humaine depuis ses origines, la première étant l’invention de l’écriture linéaire. La question conductrice du livre pourrait-être « dans quelle mesure les images techniques (photographies) sont-elles le résultat du jeu de confrontation constant entre machines (programmes et appareils photographiques) et hommes (intention photographique et représentation signifiée des concepts) ? »

Vilèm Flusser montre que le déchiffrage des photographies doit être critique et entendu comme une analyse des rapports de forces constants entre la volonté humaine du photographe, qui vise à encoder ses concepts en images pour informer et s’immortaliser, et l’appareil qui, lui, programme la société à adopter un comportement de feedback dans une optique d’amélioration progressive. Il met en lumière que, en vue d’une amélioration, les possibilités inhérentes à l’appareil photographique sont en effet testées via les usages, les attentes qui pèsent sur lui, ainsi que ses propres limites.

Pour asseoir cette posture critique, l’auteur procède en trois temps. Premièrement, il rappelle que photographies et images techniques apparaissent à la fin du XIXe siècle alors que l’histoire laissait penser une crise de la figuration et de la conceptualisation1. Dans un second moment, Vilèm Flusser montre que appareils et leurs « black boxes » rendent l’homme incompétent, le poussent à abandonner toute compétence technique et à considérer les photographies comme des « états de choses » ou des fenêtres2. Enfin, il avance que le photographe est l’homme du futur dont la liberté consistera à jouer contre les appareils, à soumettre le hasard et la nécessité à son intention3.

Les quatre notions clés, pierres angulaires de la philosophie de la photographie sont l’image, l’appareil, le programme, l’information. L’image renvoie à la surface signifiante dont les éléments entretiennent un rapport magique les uns avec les autres. L’appareil est considéré comme un jouet stimulant la pensée. Le programme est ici un jeu combinatoire aux éléments clairs et distincts. L’information concerne la combinaison improbable d’éléments.

Bien que les photographes ne soient pas des designers, l’essai s’inscrit assurément dans le tournant sémantique du design, c’est-à-dire dans une période de l’histoire où ce champ pratique est interrogé quant à son sens par ses acteurs. On retrouve en effet dans cet ouvrage une critique virulente de l’esthétique (en finir avec cette obsession de l’esthétique des formes), les photographes (à l’image des designers) ayant sacrifié le sens de qu’ils faisaient pour une recherche esthétique de la forme. Un critique de l’esthétique qui conduit à une vie toujours plus artificielle (délibérément produite), où tout doit être beau. Les images techniques y sont décrites comme des non-choses qui nous envahissent, conduisant à terme à l’omniprésence d’un rapport médiatisé par la culture à la nature. Enfin on retrouve l’idée d’une alliance tacite entre capitalistes et photographes (il en allait de même pour les designers), avec ce système de tromperie une forme de perfidie supplémentaire est conférée aux images techniques. L’intention derrière les appareils est celle d’émanciper les hommes du travail : mais cette intention a été détournée par un groupe d’hommes dont il faut alors démasquer les intérêts dissimulés. ici, la charge de Vilèm Flusser concerne les intérêts des actionnaires de Kodak, les propriétaires des agences de publicités. La leçon de cet ouvrage est qu’il faut repenser les appareils comme des stimulations exsangues et simplificatrices de la pensée et garder en tête l’idée selon laquelle les photographies permettent de tromper la nature, c’est-à-dire de la subvertir.

Samy CHEURFA, Master 1 « Design, Arts, Médias » Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021


  1. FLUSSER, Vilèm, Pour une philosophie de la photographie, Belval, Circé, Essais,1996, p. 23-26 

  2. FLUSSER, Vilèm, Pour une philosophie de la photographie, op. cit., p. 60-63 

  3. Ibidem, p. 110-113