FLUSSER, Vilém, Petite philosophie du design, Belval, Circé, 2002.
Cet ouvrage, publié après le décès Vilém FLUSSER, du designer-philosophe tchécoslovaque, est formé de 21 textes courts écrits à des époques et dans des contextes différents. Flusser interroge au long de quatre sections la place du design dans les sociétés industrielles du point de vue de la morale.
Il affirme qu'à notre époque, le rôle du designer devient central pour comprendre les enjeux sociétaux de l'avenir proche. Le design, selon l'auteur, permet potentiellement d'accéder à une solution aux problèmes éthiques de l’ère post-industrielle.
Pour argumenter cette position, l'auteur développe sa réflexion dans différents essais. Dans « Le mot design », Flusser retrace l’origine sémantique de design qui croise les notions de mécanique, machine, technique et art. Ces notions découlent de la même attitude existentielle vis-à-vis du monde, c’est-à-dire de la volonté de surpasser le naturel par l’artificiel. Pour Flusser, le design rejoint en effet les fondements de toute culture : « tromper la nature au moyen de la technique1 ». L'auteur explique ainsi la manière dont le design a servi à réunir le monde divisé par la culture bourgeoise entre les deux domaines irréductibles de la technologie et de l'art. Si le mot design a pris sa place actuelle dans le discours international, c'est parce que ces domaines commencent à être remis en question en tant que source de valeurs.
Dans « L'industrie du design renferme-t-elle une éthique ? », Flusser explique que jusqu’à peu de temps encore, l'idéal du designer était pragmatique, c’est-à-dire la fabrication des objets utiles, tandis que les considérations morales des objets et de leurs usages étaient fixées par la collectivité (religieuse, politique ou morale). Il note que, de nos jours, en raison de la complexité des processus industriels, ces valeurs morales ne peuvent plus s'appliquer. Ici, il s'interroge sur la responsabilité des designers dans un contexte de production collective et d'automatisation où la réalisation et les conséquences d’un produit ne peuvent être attribuées à seul un auteur. Tel est le constat que fait l'auteur suite au procès de Nuremberg, lors de la tentative de répondre à la question de savoir qui devait être tenu responsable des crimes contre l'humanité commis par les nazis.
Dans « Guerre et réalité quotidienne », Flusser rappelle le lien entre la guerre et le design. En effet, la première a été l'un des moteurs de l'évolution de la conception des objets et des armes. Dès qu'un objet est conçu, il tend vers la perfection. Ainsi, toute conception est potentiellement corruptible en tant qu’elle se veut fonctionnelle.
Et aucun concepteur ne peut alors prétendre que ses objets ne puissent être utilisés à des mauvaises fins. Flusser plaide donc pour que l'on soit conscient de cette contradiction et que l'on agisse en conséquence.
À la fin de son ouvrage, dans « Formes et matières », il conteste le fait que notre société entre dans une forme de culture immatérielle. À l'ère numérique, le designer ne doit pas perdre de vue l'aspect matériel tout comme l'aspect formel de son travail.
Martin ARANDA, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.
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FLUSSER, Vilém, Petite philosophie du design, Belval, Circé, 2002, p. 10. ↩