MICHAUD Yves, Ceci n’est pas une tulipe – Art, luxe et enlaidissement des villes, Paris, Fayard, 2020.

En critique totale et radicale de l’œuvre « Bouquet of Tulips » de Jeff Koons, inaugurée le 4 octobre 2019, Yves Michaud remet en cause les tendances qui souhaiteraient rendre nos villes plus design via le mobilier urbain. Entreprise d’illusions et de défiguration, Bouquet of Tulips est décrite comme une œuvre trompeuse dans son fond et sa forme. Ainsi l’auteur remet-il en question la notion d’utilité du design dans nos paysages citadins. Alors, que nous révèle cette critique sur les enjeux contemporains du design ?

Premièrement, Michaud remarque un cynisme dans l’installation de Jeff Koons. Offerte à Paris, celle-ci promettait une œuvre commémorative. Toutefois, Yves Michaud remarque que rien n’est adéquat à cette promesse initiale : ni le lieu, ni l’intention, ni le projet. De plus, il note que l’aspect financier de l’installation occulte et neutralise l’ensemble1. Plus que l’objet, il questionne l’idéologie qui a mené à Bouquet of Tulips : cette œuvre bénéficie-t-elle réellement à l’habitabilité citadine ? Ces tulipes, ainsi nommées par l’auteur pour marquer l’écart entre le projet et l’objet, ne remplissent pas la fonction qu’on leur a prêtée.

Également, l’auteur souligne l’aspect anti-démocratique de l’œuvre. D’après lui un petit cénacle de décideurs seraient à l’origine du projet, aliénant d’autant plus l’initiative. Dans un même temps, cela amplifie ce que l’auteur remarque depuis le départ : l’industrialisation propre à l’art contemporain qui, ici, s’incarne dans et par le design2. Finalement, Michaud met en lumière l’asservissement du design, qui aurait pour but de cacher des pratiques fallacieuses par des subterfuges esthétiques.

En outre, cette hégémonie éclipse les habitants de Paris, récepteurs privilégiés de l’œuvre, ce qui pose la question : à qui profite le design ? Récepteur ou commanditaire ? De là, Michaud remet en question le rôle de la mairie de Paris qui use de Bouquet of Tulips, comme vecteur d’une politique culturelle et publique menant vers une luxuarisation de la capitale. En pointant cette notion de luxe, l’auteur parle de l’effet de son « artialisation3 », qui vise à jouer seulement sur la forme des choses ; ce que Souriau nomme « méta-esthétique4 ». Si bien que tout ce projet est finalement, pour l’auteur, un argument de vente pour la ville de Paris, qui cherche à appâter touristes et élites connaisseuses d’art.

De plus, Michaud pose la question de la détérioration du paysage urbain, qui serait causé par l’installation à outrance de mobiliers urbains (accommodations pour les transports etc.). Ceux-ci détériorent en encombrent la ville et l’ambiance de Paris. À la fin du livre, il introduit donc le concept de « slow-city5 », qui s’oppose à la globalisation et vise à l’amélioration de la qualité de vie dans la ville.

Le travail d’Yves Michaud nous révèle les conditions sociales, économiques et politiques sous lesquelles le design urbain se place avec ou sans succès dans l’espace de la ville. De plus, il questionne l’esthétique de l’objet proposé pour Paris, qui ne sert qu’au nom de son auteur, mais pas à sa fonctionnalité. Il nous rappelle ce que Vilém Flusser remarquait déjà chez le designer : « Un designer, c’est un comploteur perfide qui tend des pièges6 ».

Lena CIPRIANI et Polina TKACHEVA, Master 1 « Esthétique », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2023-2024


  1. « Dans le monde de l’art contemporain, on célèbre mais on ne critique pas, surtout pas un artiste fameux et qui vaut très cher. » : MICHAUD Yves, Ceci n’est pas une tulipe – Art, luxe et enlaidissement des villes, Paris, Fayard, 2020, p. 10. 

  2.  L’auteur observe plus généralement : « [Les œuvres de Jeff Koons sont] doublées d’une production de multiples opérant comme des produits dérivés. » : MICHAUD Yves, Ceci n’est pas une tulipe – Art, luxe et enlaidissement des villes, op. cit., p. 26. 

  3. Ibidem, p. 52. 

  4. SOURIAU Étienne, L’Avenir de l’esthétique : essai sur l’objet d’une science naissante, Paris, édition F. Alcan, coll. Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, 1929, p. 389. 

  5. Ibid., p. 74. 

  6. Vilém Flusser, Petite philosophie du design, Belval, Circé, 2002, p. 7-8.