1. Définition

La « slow-city » est un concept contemporain qui permet de penser un renouveau de l’aménagement urbain. Citée par Yves Michaud, dans son livre Ceci n’est pas une tulipe, la « slow-city » est vue comme une solution face à ce que dénonce l’auteur autour de la défiguration du paysage urbain : « Il me semble que s’impose effectivement un moratoire d’équipement et de décoration1. ». Et ce moratoire passe par l’établissement de slow-cities. Ainsi faut-il voir dans la mobilisation d’Yves Michaud une volonté de ralentir un développement industriel qui irait jusqu’à proliférer dans nos rues par du mobilier urbain. De fait, le terme est associé à une sorte de « décroissance2 ». Dès lors, la slow-city devient un outil servant des prétentions écologiques et esthétiques, celles-ci voulant améliorer la qualité de vie des habitants de ces nouvelles villes.

À titre d’exemple, nous pouvons retrouver la définition de ce terme dans un article universitaire qui traite du cas d’une slow-city en Turquie : « The slow city movement sets out the parameters that ensure the viability of cities, which give importance to the continuity of the improvement of social, economic, cultural and environmental qualities. This movement, which strives for the preservation of originality against the impact of globalization, has a great importance in order to increase the quality of urban life3. » De cette définition, deux enjeux se distinguent donc : l’enjeu environnemental, et celui de ladite « preservation of originality ».

2. De l’anglais au français

Tout d’abord, il faut revenir à la genèse du terme. À l’image de la slow-food, aussi citée par Yves Michaud4, la slow-city s’inscrit dans la même philosophie. Slow-food est un mouvement italien qui est né il y a un peu plus de trente ans. C’est un label d’agro-alimentation qui octroie aux acteurs du secteur un statut exprimant leur réticence face aux grands lobbyistes alimentaires, tout en les distinguant de ceux-ci, et en valorisant leurs produits. Plus qu’un label, c’est même devenu une mouvance politique qui se greffe à plusieurs évènements (comme des festivals), et qui enjoint à comprendre ce qu’ils promeuvent. Né dans la ville de Bra en 1986, le but primordial était d’offrir de meilleures connaissances en alimentation et d’empêcher l’industrialisation de masse dans ce secteur. Depuis la création de ce mouvement, l’organisation mène 600 projets dans plus de 78 pays. La slow-city, est donc empruntée directement à la slow-food pour désigner le même processus de refus d’industrialisation de masse, mais cette fois-ci dans le domaine de l’urbanisation.

Slow-city est une expression anglaise, se découpant en deux mots distincts. Selon le dictionnaire en ligne thesaurus.com, slow est un adjectif équivoque5. À la fois caractérisant un manque de vitesse, une paresse, un retardement, ou même un archaïsme, il est aussi avancé que cet adjectif désigne un objet : « made, created, or done in a careful, thorough, or traditional way in order to ensure such benefits as quality, environmental sustainability, or time for mental reflection6. ». Mais c’est aussi un verbe, qui désigne le fait de ralentir la vitesse, ou le développement de quelque chose ; en français son équivalent serait à la fois « lent » et « ralentir ». D’un autre côté, city trouve son équivalence en français avec le mot « ville », mais à l’inverse de son homologue anglais « town », city désigne plus précisément une sphère urbaine élargie, ce qu’on définirait par « métropole » en français. De fait, conjuguer slow et city, indique que la ville est celle que l’on souhaite ralentir, rendre plus durable, plus verte. Littéralement cela se traduirait en « ville-lente », en « ville-durable », ou encore en « éco-ville ». À titre d’illustration, nous proposons cette définition : la slow-city désigne une agglomération déterminée qui décide d’adopter dans sa politique des mesures qui vont dans le sens d’un développement durable, et qui dynamisent, dans un même temps, la vie citadine en gravitant autour de ces mesures écologiques. Par conséquent, le mouvement slow-city, en prolongement de la slow-food, voit son rayon d’action étendu. D’ailleurs, ce mouvement existe déjà, et a été créé par la même entreprise que celle de la slow-food, et s’appelle Cittàslow (città, est le mot « ville » pour l’italien) et concerne déjà plus de 200 villes. Selon leur site internet, ils remplissent diverses missions : création de zones piétonnières, valorisation du patrimoine urbain et historique, limitation du bruit et développement des productions locales artisanales…7

Ce nouvel urbanisme est bien ce qu’Yves Michaud souhaite en convoquant la slow-city à la fin de Ceci n’est pas une tulipe8. Avec ce mouvement, on voit que plus que des normes alimentaires, on cherche à transformer l’aspect social, culturel, politique, économique et environnemental, de nos vies. Et, si nous suivons toujours la pensée d’Yves Michaud, cela passerait par nos considérations en matière de normes artistiques et de mobilier urbain.

3. Explication et problématisation du concept

Maintenant que le terme a été défini, revenons à ce que nous avons déduit de notre première définition : comment la question de l’environnement, et celle de la préservation de l’originalité, rejoignent la critique de Yves Michaud ?

En effet, l’auteur écrit : « Que n’autorise-t-on pas au nom du saint confort9 ? ». L’auteur observe dans la capitale de Paris qu’un ensemble d’objets manufacturés et dérivés, dessinés par des artistes et designers, apparaît au nom de l’habitabilité. Rien de plus faux pour l’auteur, qui y voit une pollution. Toutefois, son traitement desdits objets révèle quelque chose de nos conceptions du design. « Il ne servirait à rien non plus de demander que, pour le mobilier urbain, on fasse appel à de grands designers […] Pourquoi ne pas repeindre en vert tous les autobus ou les camions de ramassage des ordures ? J’oubliais, on le fait déjà10» écrit-il. Finalement, nous voyons que ce qu’a tenté le design, c’est-à-dire rendre plus homogène nos villes et améliorer leur confort, a échoué, et Yves Michaud se fait témoin de cette expérience ratée. Nous comprenons alors que les soucis écologiques et esthétiques d’Yves Michaud sont hétérogènes à l’idée de design, d’autant plus un design qui servirait de subterfuge artistique afin de masquer l’inutilité d’un objet. Alors, comme de nombreux auteurs avant lui, comme Victor Papanek dans Design pour un monde réel (1971), qui s’interroge sur l’impact écologique11, ou encore Étienne Souriau avec Passé, présent et avenir du problème de l'esthétique industrielle (1951), qui observe une standardisation des objets créée par le design12, Yves Michaud voit dans cette nouvelle esthétique industrielle l’aliénation de l’environnement et de l’originalité. Ces deux dernières notions étant finalement ce que garantit la slow-city.

Cependant, il est difficile de comprendre dans les propos d’Yves Michaud s’il critique seulement la multiplication d’objets designés, ou s’il amalgame totalement cette discipline à une pollution et une dégradation plus générale. Yves Michaud ne semble pas discerner le design de l’objet designé, ce qui crée une confusion quant à son traitement de la question. Si le design exacerbe ce que la mouvance de la slow-city critique (manque d’originalité et pollution), il nous semble important de faire preuve de discernement, car une ville ne peut se passer de son mobilier urbain, et le design ne peut se passer de réflexion écologique. Ainsi, séparer les deux aussi radicalement brime une certaine réflexion qu’il est nécessaire d’avoir face à l’apparente urgence qu’Yves Michaud clame.

Figure 1. Slow-city, Lena CIPRIANI.

Lena CIPRIANI, Polina TKACHEVA, M1 « Esthétique », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2023-2024.


  1. MICHAUD Yves, Ceci n’est pas une tulipe – Art, luxe et enlaidissement des villes, Paris, Fayard, 2020, p. 76. 

  2. MICHAUD Yves, Ceci n’est pas une tulipe – Art, luxe et enlaidissement des villes, op. cit, p. 76. 

  3. VAROLGÜNES Kürüm, CANAN Fatma, and Fatih. “A Slow City Movement: The Case of Halfeti in Turkey”. ICONARP International Journal of Architecture and Planning, vol. 6, no. 2, Dec. 2018, pp. 413-32 : « [notre traduction] Le mouvement de slow-city expose les éléments qui garantissent la durabilité des villes, ceux-ci donnant une importance à la continuité du développement et de l’amélioration des standard sociaux, économiques, culturels, et environnementaux. Ce mouvement, qui s’efforce de garantir la préservation de l’originalité contre l’impact de la mondialisation, a une importance dans l’amélioration de la vie urbaine. » 

  4. MICHAUD Yves, Ceci n’est pas une tulipe – Art, luxe et enlaidissement des villes, op. cit, p. 77. 

  5. Définitions et synonymes du terme « slow » d’après le dictionnaire en ligne Thesaurus.com, consulté le 16 novembre 2023 : https://www.thesaurus.com/browse/slow 

  6. Site Thesaurus https://www.thesaurus.com/ Consulté le 16 novembre 2023 : « [notre traduction] fait, créé, ou exécuté, de façon minutieuse et/ou traditionnelle pour assurer des qualités environnementales, ou de durabilité. » 

  7. https://www.cittaslow.org/ Consulté le 16 novembre 2023, onglet « Projects ». 

  8. MICHAUD Yves, Ceci n’est pas une tulipe – Art, luxe et enlaidissement des villes, op. cit., Chapitre V : « Slow-city - pour une autre ville », p. 73. 

  9. Ibidem, p. 67. 

  10. Ibid., p. 74. 

  11. PAPANEK Victor, Design pour un monde réel, 1971 ; rééd. Paris, Mercure de France, 1974, p. 28 : « [Le design] doit s’orienter davantage vers la recherche, et nous devons cesser de profaner la Terre avec des objets et des structures mal conçus. » 

  12. SOURIAU Étienne, « Passé, présent, avenir du problème de l’esthétique industrielle », Revue d’esthétique, juillet-décembre 1951, p. 2 : « La multiplication indéfinie, par ces moyens, d’un objet uniforme et « standardisé », comme on dit aujourd’hui. »