1. Définitions.
Le mot « Chose » est un nom commun féminin défini dans Le Robert comme une « réalité matérielle non vivante. [Par exemple,] Les êtres, les personnes et les choses ».
https://dictionnaire.lerobert.com/definition/chose
Dans le champ du design, Vilém Flusser livre une définition personnelle de cette notion. D’après Flusser, les choses (« dinge ») exigent une matérialité physique, mais elles peuvent êtres naturelles ou artificielles, c'est-à-dire, provenir de la nature (être vivantes) ou de la culture (non-naturelles, artificielles). Il les classent d’ailleurs sous quatre termes génériques : « appareils », « trucs idiots », « valeurs » et «choses naturelles ».
Une « chose » peut en outre appartenir à plusieurs groupes à la fois et, ce qui frappe, c’est que certaines choses, comme les appareils, ne sont pas du tout valorisées par lui, alors que d’autres, parfois jugées sans prix social, peuvent être valorisées. En effet, Flusser qualifie les « appareils » comme « [d]es monstres parmi les choses de mon environnement ». Il avoue d’une part :
« [qu’]Il est très difficile de faire attention à des choses aussi peu dignes d’attention, même si une voix intérieure paraît nous avertir de leur prêter attention. »
Car, d’autre part :
« il y a des choses de mon environnement auxquelles [il faut] accorde[r] du prix. Peut-être parce qu’elles [nous] sont chères du fait de la dépense d’énergie physique, économique, intellectuelle, émotionnelle, ou autre [que nous avons] investie en elles [...] ». Il y a un « excès toujours croissant d’appareils, tandis que les valeurs se font de plus en plus rares. »
FLUSSER Vilém, Choses et non-choses Esquisses phénoménologiques, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 1996, p. 5, 7 et 9.
2. De l’allemand au français.
La version originale du livre de Flusser est écrite en Allemand et s’intitule : Dinge und Undinge Phänomenologische Skizzen. En Allemand, le terme « Choses » se dit « Dinge » : « Dinge » est son pluriel, tandis que « Ding » est son singulier.
Dans le texte d’origine, certaines occurrences méritent d’être citées :
À savoir les mots « Apparate1», « Werte2» , et « die sogenannten "natürlichen" Dinge3 » sont essentiels pour comprendre la façon dont sont réparties les différentes catégories de choses. D’ailleurs, l'occurrence citée plus haut en français « Dummes Zeug4 » apparaît dans le texte traduit en français dans sa langue d’origine. Enfin, l'occurrence « Natur und Kultur5 » renvoie à la dualité entre la nature et l’homme dans tout le livre.
Vilém FLUSSER, Dinge und Undinge Phänomenologische Skizzen, München, Edition Akzente Hanser, 1993, p. 7, 8, 9.
Au fond, il n’y a pas de problème de traduction, c’est le sens et la valeur que Flusser confère à ces termes qui est problématique.
3. Explication du concept.
Pour les « appareils » et les « trucs idiots », Flusser éprouve un certain scepticisme et mépris, car ils ne méritent pas que nous leur manifestions une once d’intérêt. Pour en citer quelques-uns, il y a, d’une part, la télévision et le carnet de chèques ; d’autre part, il y a le coupe papier en forme d’épée turque et le livre de prières. Les «appareils » concernent les objets triviaux, tandis que les « trucs idiots » sont des choses « superflues », qu’il n’utilise pas, mais qui font partie de son environnement.
Enfin, il s’attarde sur des choses « naturelles pures », car non-produites par l’homme. Par exemple, un œuf de poule, un chien domestique. Par contre, lorsque la nature est modifiée par l’homme, la « chose » devient « culturelle ». Par exemple, si nous nous référons au chapitre « Bâtons », cette chose est façonnée par l’homme, car ce dernier prend la décision de casser une branche d’un arbre pour le faire devenir bâton. Elle est donc culturelle.
On pourrait se demander quel est l’enjeu de cette notion de chose qui semble noyée dans l’ensemble de ces exemples… La réponse apparaît dans les « choses » que Flusser affectionne particulièrement, à savoir les « valeurs ». Il s’agit des « choses » auxquelles il accorde un certain temps, à travers une dépense intellectuelle, économique, émotionnelle... Parmi elles, il cite sa maison, l’Atlas qui appartenait à son grand-père, ou encore, les sonnets de Shakespeare. On comprend que le concept de chose participe de la critique d’un certain design, celui qui demeure plus soucieux d’esthétique, de gadget, etc. qu’autre chose.
4. Problématisation
Au-delà de cet aspect stratégique, le concept de chose est solidaire des Esquisses phénoménologiques, d’une sorte d’éveil philosophique que Flusser cherche à percevoir « [en mettant] entre parenthèses nos habitudes », la lassitude ou l’absence de regard où disparaissent le petites « choses » de notre environnement6. Ce qui l’intéresse c’est aussi d’apprendre à se détacher de la valeur marchande des choses pour réapprendre à considérer leur valeur affective. Reste à savoir si l’on peut détacher cette valeur-là de celles qui concourent à la valeur marchande d’une production de design, à savoir la fonctionnalité, l’ergonomie et l’esthétique, par exemple.
5. Illustration
Figure 1. Schéma de la notion « chose », Marine PICHEL-DUQUENNE.
Marine PICHEL-DUQUENNE, Master 1 « Design, Arts, Médias » , Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
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En français : « Appareils », traduit de l’Allemand par Jean Mouchart. ↩
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En français : « Valeurs », traduit de l’Allemand par Jean Mouchart. ↩
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En français : « les choses dites “naturelles”» , traduit de l’Allemand par Jean Mouchart. ↩
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« Trucs idiots », traduit de l’Allemand par Jean Mouchart : « Ces choses peuvent être regroupées sous le terme générique, à vrai dire très suspect, de “trucs idiots” (“dummes Zeug”) ». Citation tirée du texte traduit en français. ↩
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En français : « Nature et Culture », traduit de l’Allemand par Jean Mouchart. ↩
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Choses qui nous entourent dans notre quotidien. ↩