1. Définition
L'Encyclopaedia Universalis propose la définition suivante :
« Un atlas est un recueil ordonné de cartes, conçu pour représenter un espace donné et exposer à son sujet un ou plusieurs thèmes le concernant. Il y a lieu de distinguer les atlas de référence, qui sont des répertoires de lieux et de toponymes, et les atlas thématiques -- descriptifs, qualitatifs et explicatifs -- du monde, ou d'un État, ou d'une région. »
Guy, BONNEROT, Estelle, DUCOM et Fernand, JOLY, « CARTOGRAPHIE », dans Encyclopædia Universalis, Encyclopædia Universalis, s. d., [En ligne], : <https://www.universalis-edu.com/encyclopedie/cartographie ; consulté le 15 novembre 2023> ↩︎
On se représente assez facilement un atlas : un livre avec des cartes, des images et des textes, réunis sur des planches graphiques. D'un bref coup d'œil, l'atlas nous renseigne sur les spécificités topographiques et culturelles d'un lieu. Or il en existe deux types : un premier qui présente des données et un autre qui articule une pensée autour d'un thème. Le premier se rapproche du catalogue, comme L'atlas des cartes routières, et l'autre problématise son sujet (à titre d'exemple : L'atlas critique de la Guyane1).
Si l'atlas se présente habituellement sous forme de livre, la photographie satellitaire et l'existence de logiciels comme Google Earth rendent les données cartographiques encore plus accessibles qu'auparavant, tout en les dématérialisant. En remplissant la fonction à la fois d'atlas de référence, ces logiciels peuvent aussi servir de canevas pour d'éventuels projets thématiques, par le biais de calques et d'animations.
2. De la langue d'origine au français
Provenant du grec ancien « ατλας», le mot a conservé sa morphologie en français. Ce concept ne pose pas de problème de traduction mais plutôt un problème de translation : celui d'une époque vers une autre.
En 1570, Abraham Ortilis fait paraître pour la première fois un recueil de 53 cartes : Theatrum Orbis Terrarum. Mercator, influencé par ce travail, se lance dans une tâche similaire. Il intitule son ouvrage (resté inachevé avant sa mort en 1594), « atlas » :
« J'ai placé cet homme, Atlas, si remarquable pour son érudition, son humanité et sa sagesse, en tant que modèle que je cherche à imiter. »
Grégoire Tirot, « Atlas, du mythe cosmologique au mythe géographique », dans Marina Vanci-Perahim, dir., Atlas et les territoires du regard. Le géographique de l'histoire de l'art (XIXe et XXe siècles), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 15.
Le géographe fait référence aux mythes tardifs des théogonies antiques, considérant le titan comme le père de l'astronomie et de la navigation. Dès lors, l'atlas est un outil destiné à faciliter les déplacements et la compréhension de l'espace.
Malgré son nom puisé dans la mythologie, la démarche de Mercator reste parfaitement moderne. L'atlas est un outil inscrit dans la démarche humaniste, telle qu'entendue pendant la Renaissance : permettre à l'homme de dominer le monde pour que le monde se rapporte à lui-même. L'atlas divise le monde en zones et les répartit sur une même grille d'interprétation, dite « universelle ». Les latitudes et longitudes permettent de représenter le monde dans sa globalité sur un seul plan, avec une même échelle. Dans une période de « grandes découvertes », l'un des principaux objectifs de l'atlas est de lier le Nouveau et l'Ancien Monde.
3. Explication et problématisation du problème.
L'atlas prétend fournir une connaissance universelle du monde, grâce à une sélection restreinte d'éléments :
« Ce court récit des origines nous apprend donc qu'un atlas constitue un ensemble de cartes -- c'est-à-dire d'images -- réunies selon un plan préconçu, visant la complétude, et réduites au format d'un livre maniable et consultable. Même s'il existe plusieurs atlas manuscrits, c'est l'imprimerie ou, si l'on préfère, la « reproduction mécanisée », qui vient stimuler leur production et leur développement. Les atlas constituent de vrais projets éditoriaux, destinés à un public particulier, leur but étant à l'origine aussi bien d'ordre commercial que scientifique. D'un point de vue géographique, si les atlas se veulent exhaustifs et intégraux, ils se distinguent tout de même des mappemondes, où la terre nous est offerte d'un seul coup d'œil, illustrant un regard synoptique qui anticipe la photographie satellitaire. En tant que dispositif visuel, l'atlas permet le passage de la contemplation du particulier à la méditation sur l'universel et vice-versa. »
Teresa, CASTRO, « Les « Atlas photographiques » : un mécanisme de pensée commun à l'anthropologie et à l'histoire de l'art », dans Les actes de colloques du musée du quai Branly, no 1, 2009
En bref, l'atlas articule une pensée sur le monde, et non sa simple recension. La reproductibilité technique (imprimerie, photographie) permet de le rendre facilement maniable et assure sa commercialisation. En écho avec les réflexions de Benedict Anderson2, la large diffusion de l'objet permet de créer une « communauté imaginée », dans la mesure où chacun, sur un vaste espace, s'imagine avoir accès à un même discours. Ici, l'atlas représente et explique le monde.
Toutefois quelle idéologie véhicule un tel dispositif ? Les premiers atlas ont été conçus pour réunir dans un même objet deux mondes aux antipodes l'un de l'autre -- le nouveau et l'ancien -- puis, au XIXe siècle, sous couvert d'universel, les atlas ont servi de moyen de contrôle et de classement anthropométrique. Thomas Henry Huxley (1825-1895) a souhaité cartographier visuellement l'empire britannique et classer les populations sous le critère de race, pour servir l'imaginaire colonial. Les « atlas de types humains3 » contribuent à la construction des images occidentales des populations des territoires colonisés. Mêlées aux édifices caractéristiques de chaque endroit, ils forment un même paysage « exotique ».
Si ce projet a échoué faute de moyens, celui de l'anthropologue Carl Dammann a quant à lui réussi. Du « type caucasien et teutonique » aux aborigènes australiens, Dammann conçoit le passage d'une planche à une autre, comme hiérarchie entre les ethnies et cultures. La logique de présentation de l'atlas sert une catégorisation raciste, en accord avec le projet colonisateur européen4.
Art de la reproductibilité technique, le cinéma condense aussi ces volontés de recension et d'exotisme. Au début du XXème siècle le projet d'enregistrement du monde par les frères Lumière, illustre cette collection encyclopédique par l'image. Suite au succès du cinématographe, les deux industriels dépêchent des opérateurs aux quatre coins du globe pour filmer des vues pittoresques de l'empire colonial. Une fois que les deux frères ont estimé leur tâche achevée, ils n'ont plus vu d'intérêt au cinématographe : une vue pour un lieu, à jamais.
Mais l'atlas est avant tout un outil de mise en relation. Sur l'espace de la planche, l'œil du lecteur construit son propos à partir des images et textes proposés. La lecture d'un atlas repose sur le passage d'une image à une autre, d'un texte à un autre. On consulte un atlas, comme un dictionnaire ou une encyclopédie.
Le Bilderatlas d'Aby Warburg, Mnémosyne, (resté inachevé) repose sur ce principe. L'historien de l'art cartographie les survivances de la Grèce Antique dans l'art et l'usage de la planche se prête au coup d'œil rapide entre les clichés. Les photographies de tableaux, sculptures, gravures, sont classées par thèmes sur de grandes feuilles noires affichées verticalement. Georges Didi-Huberman remarque qu'avant d'être un objet de connaissance, l'atlas de Warburg est un constructeur d'imaginaire5. Les relations sur une planche peuvent être reconstituées à l'infini ; les discours s'articulent donc aussi différemment selon l'ordre de notre regard. L'atlas est un objet d'imagination : la pensée s'élabore grâce aux images.
Dans sa préface à Mnémosyne, Roland Recht6 rappelle que la pratique des Atlas et Bilderbuch, était très répandue dans le milieu scientifique germanophone au tournant du XIXème et XXème siècle. Mais la démarche warburgienne est une révolution épistémologique. Ses planches refusent une périodisation scandée par les étapes de vie d'un artiste (pratiquée par l'histoire de l'art depuis Vasari), et affirment une méthode d'interprétation iconologique, partant des images.
L'atlas de Warburg opère sous le régime de la mémoire. Parcellaire, sélective, elle est à l'origine d'associations inattendues. La planche d'atlas est diachronique : elle confronte les représentations de différentes époques, d'un même élément. L'imprévisibilité du regard, invite au renouvellement des interprétations. L'atlas ne propose pas un savoir figé dans le temps, il évolue avec son lecteur. Mnémosyne, conçu comme complément de la bibliothèque de Warburg, offre un véritable répertoire des représentations, sans cesse remis en question.
Ces mises en relation, font également de l'atlas un objet particulièrement investit par le champ artistique, souvent pour en subvertir ses usages. Le peintre Öyvind Fahlström avec Planetarium (1963), crée une « peinture-jeu ». Les visiteurs disposent de personnages et d'objets représentant les attributs des puissances politiques, militaires et économiques de la planète. Ils sont invités, en déplaçant les éléments, à agir sur le monde d'une manière ludique. Derrière l'idée d'un visiteur qui compose sa planche d'atlas, Fahlström montre comment nos représentations, in fine, « manipulent le monde ».
Thomas Bingham, M2 Cinéma, ENS de Lyon, supervisé par Occitane Lacurie, 2023-2024
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M. Noucher et L. Polidori, Atlas critique de la Guyane, CNRS Éditions, Paris, 2020 ↩
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Nous nous référons surtout à l'exemple du journal imprimé donné par Anderson dans : B. Anderson, L'imaginaire national: réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, P.-E. Dauzat (trad.), Paris, La Découverte/Poche, 2002 ↩
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Teresa, Castro, « Les « Atlas photographiques » », op. cit.. ↩
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Id. ↩
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Georges, DIDI-HUBERMAN, Atlas ou le gai savoir inquiet, L'oeil de l'histoire, 3, Paris, Minuit, 2011 ↩
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Aby, M, WARBURG et Roland, RECHT, L'atlas Mnémosyne avec un essai de Roland Recht, S. Zilberfarb (trad.), Paris, l'Écarquillé Institut national d'histoire de l'art, INHA, 2012. ↩