1. Définition

En français, le terme low-tech et les productions qui y lui sont liées sont, depuis la fin des années 1970, de plus en plus documentés. Néanmoins il demeure le plus souvent non traduit, c’est la raison pour laquelle plusieurs collectifs et associations s’attachent tout autant à s’inscrire dans ce mouvement qu’à le définir dans son entièreté. C’est le cas du Low Tech Lab avec le projet Nomade des Mers, de la revue La Pensée écologique, de La Fabrique écologique, ou encore d’Alison Clarke, théoricienne et spécialiste du travail de Victor Papanek.

« Nous employons le terme low-tech pour qualifier des objets, des systèmes, des techniques, des services, des savoir-faire, des pratiques, des modes de vie et même des courants de pensée, qui intègrent la technologie selon trois grands principes : utile, accessible et durable. »

LOW TECH LAB. C'est quoi une LowTech ? Low Tech Lab. Disponible sur : https://lowtechlab.org/fr/la-low-tech, consulté le 15/06/2021

« L’expression low-tech désigne avant tout un ensemble d’outils, d’équipements, de démarches intellectuelles, orientées vers l’économie réelle de ressources. Il ne s’agit pas de s’opposer à « l’innovation » ou au « progrès », catégories idéologiques bien trop vastes et ambigües, mais de réfléchir aux technologies les plus appropriées à notre condition actuelle, et d’enquêter sur le pouvoir créateur de cette approche. Interroger les low-tech conduit à poser quelques questions fondamentales et trop souvent laissées de côté : pourquoi produit-on, pour quels besoins réels, que produit-on, quels types d’objets, à quel rythme, pour quelles conséquences sociales prévisibles et à quel coût écologique, direct et indirect ? Ou encore comment les produit-on et pour quelles expériences de vie ? Ainsi comprises les low-tech s’apparentent plus à une démarche d’adoption, de conception, d’usage, et d’autonomie dans l’usage pour choisir un rythme, un style, éprouver le plaisir d’un bricolage, et d’intégration de techniques diverses qu’à un type d’objet identifiable. »

Christophe ABRASSART, François JARRIGE et Dominique BOURG, « Introduction Au Dossier Low-Tech : Low-Tech Et Enjeux Écologiques : Quels Potentiels Pour Affronter Les Crises ? », La Pensée Écologique, 5, Paris, Ed : Presses Universitaires de France, 2020.

« Enfin, la démarche low-tech pourrait contribuer – modestement dans un premier temps – à un apaisement des relations internationales, un développement plus équitable entre Nord et Sud. D’une part les déséquilibres globaux dans la consommation des ressources sont facteurs de tensions internationales et de risques géopolitiques (pétrole du Moyen-Orient, terres rares avec la Chine, accaparement des terres agricoles...), d’autre part les discussions internationales, à l’instar des COP (conferences of the parties) concernant la lutte contre le changement climatique, progressent bien lentement. Une des raisons vient du clivage entre puissances historiques et émergentes, notamment sur le « droit » de ces dernières à suivre un développement « à l’occidentale » : industrialisation, motorisation, urbanisation... Pourtant, nous savons tous que, compte-tenu de la taille des populations en jeu, l’application d’un mode de vie à l’occidentale (même dans une version « verte ») en Chine et/ou en Inde sonne le glas de conditions vivables sur la planète. Mais tant que les pays occidentaux n’auront pas démontré qu’un autre chemin est possible, et qu’ils s’y sont engagés avec succès, leur crédibilité restera sans doute faible. »

LA FABRIQUE ÉCOLOGIQUE, « Vers des technologies sobres et résilientes – Pourquoi et comment et développer l’innovation « low-tech » ? », Note 31, 2019. Disponible sur : https://www.lafabriqueecologique.fr/app/uploads/2019/04/Note-31-Low-Tech-VF-1.pdf (consulté le 11/08/2021)

« Nous avons commencé par ratisser Internet, lire des bouquins et passer des coups de fil pour lister les meilleures inventions low-tech atour du globe. Et rapidement, tout un monde s'est ouvert à nous : un monde de débrouille, d'entraide, de connaissances. En Afrique de l'Ouest, par exemple, les problèmes d'accès à l’électricité ont poussé les habitants sur place à fabriquer des éoliennes à partir de moteurs récupérés sur de vieilles photocopieuses […] Partout, les humains innovent pour répondre aux grands défis du quotidien : l'accès à l'eau, à la nourriture et à l'énergie. Notre mode de développement se heurte en effet aujourd'hui à de nombreuses limites […] et repose encore essentiellement sur des ressources non renouvelables induisant à terme d'éventuelles pénuries. […] Mais grâce au recours des low-tech, certains arrivent à faire mieux avec moins : ils développent des économies locales, des emplois, des compétences, et renforcent en même temps leur autonomie. Rendre ces innovations accessibles à tous et dans le monde entier, c'est le pari fou du Nomade des Mers. »

Les low-tech pourraient donc également contribuer à l’amélioration de la qualité de vie locale tant d’un point de vue social qu’économique, et ce, dans n’importe quel territoire du monde. En effet, grâce à cette expédition on comprend désormais que les concepteurs de low-tech peuvent se situer partout où des besoins quotidiens sans réponse préexistantes se font sentir.

Corentin DE CHATELPERRON, Nomade des Mers, Le tour du monde des innovations, Paris, ARTE Éditions, 2018.

2. De l’anglais au français

Le terme low-tech a été importé de la langue anglaise : on pourrait le traduire en français par basses technologies ou technologies sobres. On en retrouve d’ailleurs la définition dans les dictionnaires usuels anglophones où il est directement opposé au high tech. En anglais, le premier à avoir esquissé les prémices du low-tech dans les années 1970 est Victor Papanek, repris et étudié ici par Alison Clarke en tant que “Concept Low Tech”, donc tout d’abord lié à une idéologie plutôt qu’à des projets concrets.

« Not involving the most modern technology or methods. Opposite : high-tech1

OXFORD LEARNER'S DICTIONNARIES. Low Tech. Disponible sur : https://www.oxfordlearnersdictionaries.com/definition/english/low-tech?q=low+tech (consulté le 15/06/2021)

« In 1973, the International Design Center (IDZ) Berlin ran an exhibition titled Design it yourself : Möbelfür den Grundbedarf des Wohnens (furniture for basic living) with designs by Papanek, who was described in the accompanying literature as a « UNESCO expert ». This do-it-yourself spontaneous design aesthetic challenged the supremacy of capitalist standardization and democratized the idea of design ; de-professionalizing the practice and the very idea of a connoisseurial design elite. As part of a broader discourse of alternative culture, the exhibit promoted the idea of self-empowerment by the adoption of low-impact appropriate technology : a set of basic design instructions and a simple set of tools. Self-assembly furniture and the new « Low-Tech-Culture » were intended as an overtly political statement2. »

Alison CLARKE, Design Anthropology, Object Cultures in Transition, London, Ed : Bloomsburry, 2018.

3. Explication du concept

3.1 La finalité des Low-tech

Le concept du low-tech a été employé pour la première fois dans les années 1970 en antonymie avec celui du high-tech3 qui émergeait également durant cette période. En effet, une pensée critique des hautes technologies s’y est développée par des auteurs comme Victor Papanek4, aboutissant à un courant de pensée privilégiant le ré-emploi et le renouvellement du cycle de vie des objets et matériaux plutôt que les énergies fossiles et la surconsommation. On associe également le terme low-tech aux productions qui en sont issues, faisant de chaque dispositif un exemple tangible et démonstratif des valeurs de ce concept. Comme l’explique le Low Tech Lab5, une low-tech se doit d’être utile, et donc de répondre à des besoins précis de la vie quotidienne. Elle concerne tout ce à quoi nous ne réfléchissons plus car nous y avons automatiquement accès, comme l’accès à l’eau ou à l’électricité par exemple. Réfléchir à des manières plus simples et respectueuses de l’environnement d’en bénéficier permet de se rendre compte de la manière dont fonctionnent réellement les choses. La seconde caractéristique d’une low-tech est qu’elle puisse être adaptable par le plus grand nombre, que chacun, où qu’il soit dans le monde puisse se l’approprier et la créer, la réparer, avec les moyens matériels et financiers dont il dispose. Enfin, le Low Tech Lab explique que la low-tech doit surtout être durable afin d’abolir cette nécessité de consommation due à l’obsolescence de nos objets. Penser un dispositif en prenant conscience de son cycle de vie complet permet d’anticiper les différentes réparations dont il aura besoin mais également la suite de son cycle de vie et donc la manière dont il pourra être recyclé et ré-employé par la suite. C’est tout un ensemble de valeurs et de mises en pratique directes que regroupe ce concept.

3.2 Problèmes conceptuels

Cette non-traduction peut poser problème dans le sens où le choix du terme low (tech) s'oppose directement à high (tech) et tend donc à opposer les valeurs qui leur appartiennent, ainsi que les types de pratiques qui s’y rapportent, alors que le low-tech ne condamne pas nécessairement la totalité des pratiques du high-tech. Elle reconnaît même que dans certains cas il peut être bénéfique et indispensable, comme dans le domaine médical par exemple où les avancées technologiques permettent d’être bien plus efficace et précis dans les tâches à effectuer. Dans un entretien mené auprès de Pierre-Alain Lévêque6, membre du Low Tech Lab, il explique effectivement que la démarche low-tech qu’ils opèrent ne vise pas à annuler entièrement l’existence des hautes technologies, mais simplement à apprendre à faire preuve de discernement les concernant en offrant de nouvelles possibilités en adéquation avec les problématiques écologiques actuelles. Le low-tech reste un mode de pensée avant tout. L'opposition des termes ne doit alors pas laisser sous-entendre qu'il s'agit d'un inverse total. Or, la théorisation de ce concept passant majoritairement par de l'explication de projets concrets, on a beaucoup plus l'impression d'une discipline issue du bricolage que d'un domaine revêtant des notions et théories précises. La pratique prend certainement le pas sur la théorie, ce qui la rend moins visible et low-tech devient une étiquette anglicisée, ce qui n’incite pas les personnes qui voient ce terme pour la première fois à chercher à en savoir plus.

4. Illustration

Figure 1 : Schéma : 3 piliers du low tech, Camille MANÇON.

Camille MANÇON, Doctorante en Design, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Institut ACTE


  1. En français, cela donnerait : « En 1973, l’International Design Center (IDZ) de Berlin a organisé une exposition intitulée Design it yourself Möbelfür den Grundbedarf des Wohnens (meubles pour la vie de base) avec des dessins de Papanek, qui a été décrit dans la littérature d’accompagnement comme un « expert de l’UNESCO ». Cette esthétique du design spontané à faire soi-même a défié la suprématie de la standardisation capitaliste et a démocratisé l’idée de design ; déprofessionnalisé la pratique et l’idée-même d’une élite du design connaisseur. Dans le cadre d’un discours plus large sur la culture alternative, l’exposition a promu l’idée d’autonomisation par l’adoption d’une technologie appropriée à faible impact : un ensemble d’instructions de conception de base et un ensemble simple d’outils. Les meubles à monter soi-même et la nouvelle « Low-Tech-Culture » se veulent une déclaration ouvertement publique. » 

  2. « N'impliquant pas la technologie ou les méthodes les plus modernes. Opposé : high-tech. » Définition traduite par nos soins. 

  3. « Hautes technologies ». 

  4. Victor PAPANEK, Design pour un monde réel, Paris, Ed. Mercure de France, 1974. 

  5. Corentin DE CHATELPERRON, Nomade des Mers, Le tour du monde des innovations, Paris, ARTE Éditions, 2018. 

  6. Entretien avec Pierre-Alain Lévêque, co-fondateur du Low Tech Lab, réalisé le 27 mars 2020.