1. Définition

La définition de « matériau » comme « éléments matériels qui entrent dans la composition d'un ensemble cohérent. » ne permet pas de saisir spécifiquement le dimension inédite et totalisante des nouveaux matériaux tel que Ezio Manzini l’approche, à savoir  :

« Par « nouveaux matériaux », on n’entend pas seulement un nombre restreint de matériaux sophistiqués élaborés dans des secteurs de pointe, mais plutôt l’ensemble des qualités qui, à divers degrés, caractérisent désormais tous les matériaux, y compris les plus traditionnels, en rejaillissant sur leur procédé de fabrication. Cette dénomination exprime en somme le nouveau climat technique et culturel dans lequel prennent place les transformations de la matière1. »

La nouveauté sémantique ne concerne pas un certain type de matériaux mais l’ensemble de la matière tant dans ses modalités de fabrication que dans son intégration dans le produit.

2. De l’italien au français

En italien, langue d’Ezio Manzini, « nuovi materiali », retranscrit fidèlement l’esprit des termes, comme nous le montrent les deux occurrences suivantes :

« La ricerca di nuovi materiali in grado di ridurre i costi di produzione e di aumentare l’efficienza è di cruciale importanza per la soluzione del problema2. »

PACCHIONI, Gianfranco, « Nuovi materiali funzionali », consulté le 29/10/22, URL : https://www.treccani.it/enciclopedia/nuovi-materiali-funzionali_%28XXI-Secolo%29/

« I professionisti che si occupano di progettazione, sviluppo di prodotto e produzione, nell’ambito dei più diversi settori tecnologici si confrontano quotidianamente con la necessità di identificare e acquistare nuovi materiali da applicare ai loro prodotti3. »

ADRIANI Valeria, « I nuovi materiali per i prodotti del futuro », consulté le 29/10/22, URL : https://www.humaneworldmagazine.com/cose-linnovazione/

On constate cependant qu’il y a une ambiguïté sémantique autour de l’expression de nouveaux matériaux. Elle semble à la fois renvoyer à l’apparition à un temps donné de formes inédites de la matière lié aux innovations, et chez Manzini à un changement du mode d’être de la matière, en somme à un tournant phénoménologique dans le monde des matériaux.

3. Explication du concept et problématisation

Les « nouveaux matériaux » renvoient à l’évolution de la matière et de ses possibilités suite au progrès technico-scientifique des derniers siècles. Ils relèvent tout autant des lois naturelles, que l’on pense à une chaise en plastique ou en bois, mais le niveau d’intervention technique dans ces nouveaux matériaux est si élevé que le substrat naturel sur lequel reposait la visibilité de la matière tend à s’effacer. Traditionnellement les matériaux relevaient de ce que l’auteur qualifie de « matériaux à complexité ‘’subie 4’’ ». Cela renvoie aux produits d’un savoir-faire où le composant naturel est habilement intégré dans l’artifice du produit. Avec les nouveaux matériaux, la complexité est désormais « gérée ». Les anisotropies et les impuretés sont désormais intentionnelles. Cette capacité de manipulation dans la structure de la matière aboutit à une « épaisseur de l’artificiel5 ». À comprendre impérativement sous une identité faible, les nouveaux matériaux ne sont plus cette série discrète de données préexistants et objectivables mais comme un continuum en expansion de possibilités. Parce que les nouveaux matériaux sortent de notre champ perceptif, il y a une perte du sens qu’on donne traditionnellement à la matière. À côté, chaque innovation technique conduit les nouveaux matériaux à se présenter de plus en plus comme un ensemble de performances spécifiques hors de toute définition préalable. Cela aboutit à une mise en concurrence dans un contexte d’ « hyper-choix6 », en même temps que cela permet une réduction du nombre de composants au profit de l’intégration de plus de fonction dans chacun des matériaux. D’un point de vue esthétique, la réduction du nombre de composants débouche sur un dépouillement croissant du produit du designer. Ne touchons-nous pas alors à une esthétique de la sobriété dont les effets accompagneraient les impératifs écologiques actuels ? D’un côté, la concentration des fonctions dans les nouveaux matériaux pourraient être un allié dans le chemin d’un monde plus durable. Cependant, il reste que l’hyper-artificialisation induite par cette mutation de la matière aboutit à la culture du tout neuf. Le designer, rappelle Ezio Manzini, doit être capable d’intégrer comme image-performance au sein de son produit la « capacité de vieillir dignement7 ». La démultiplication et la perte d’un signifié stable et profond des produits de design doivent, selon notre point de vue, nécessairement s’accompagner d’une recherche éthique chez le designer d’une image-performance visant l’attachement de l’utilisateur.

Yoan FLEISCHHACKER, Master 1 « Esthétique », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.


  1. MANZINI, Ezio, La materia dell’invenzione. Materiali e progetto, Milano, Arcadia edizioni, 1986, p. 15. 

  2. « La recherche de nouveaux matériaux susceptibles de réduire les coûts de production et d'accroître l'efficacité est cruciale pour résoudre le problème. » 

  3. « Les professionnels de la conception, du développement de produits et de la production dans une grande variété de secteurs technologiques sont confrontés quotidiennement à la nécessité d'identifier et d'acheter de nouveaux matériaux à appliquer à leurs produits. » 

  4. MANZINI, Ezio, La materia dell’invenzione. Materiali e progetto, op. cit., p30 

  5. Ibidem, p. 30. 

  6. Ibid., p. 37. 

  7. Id., p. 17.