1. Définition

La complexité renvoie au caractère de ce qui est complexe, « composé d'éléments qui entretiennent des rapports nombreux, diversifiés, difficiles à saisir par l'esprit, et présentant souvent des aspects différents », ajoutant que cela peut renvoyer à un sens « d’hétérogénéité qualitative ».

https://www.cnrtl.fr/definition/complexe, consulté le 14/11/2022.

Le terme peut renvoyer au champ du design, qualifiant tantôt les formes, tantôt les besoins d’usagers ou bien encore les processus ou les systèmes. Abraham Moles met en corrélation la « complexité des besoins » et la « complexité des assortiments » afin de proposer des typologies de sociétés et situer le phénomène kitsch dans ce rapport. Le kitsch se retrouve dans les sociétés de consommation, où la complexité des assortiments, est supérieure à celles des besoins, poussant à suggérer de faux besoins via la publicité pour simuler une complexité des besoins équivalente à celles des assortiments, afin de justifier certains objets non fonctionnels1.

2. Du français vers d’autres langues

Pour mieux saisir le sens du terme étudié, il paraît pertinent de regarder sa signification dans une autre langue ayant conservé l’origine latine du mot telle que l’anglais, et dans un champ voisin du design tel que l’architecture.

« But architecture is necessarily complex and contradictory in its very inclusion of the traditional Vitruvian elements of commodity, firmness, and delight. And today the wants of program, structure, mechanical equipment, and expression, even in single buildings in simple contexts, are diverse and conflicting in ways previously unimaginable2. »

Robert VENTURI, Complexity and Contadiction in Architecture, New York City, The Museum Of Modern Art, 1966, p. 22.

Pour Roberto Venturi, la signification de complexité ne s’éloigne pas de celle dans la langue française, évoquant ici les nombreux points à prendre en compte et à superposer dans l’architecture qui est de ce fait nécessairement complexe.

3. Explication du concept et problématisation

Le terme de complexité est donc toujours lié à l’idée de compréhension d’une association de plusieurs éléments dans leur ensemble tout comme séparément. La façon dont est organisée cet ensemble et le nombre d’éléments viennent jouer sur cette complexité. La complexité est ambivalente dans le champ du design, souvent combattue comme surcharge gratuite au profit de la simplicité, parfois valorisée en tant qu’organisation rationnelle des éléments.

La complexité peut notamment se manifester dans l’ornementation des objets, pouvant lorsqu’elle est gratuite participer au phénomène kitsch, comme explique Abraham Moles qui affirme que « les objets kitsch comportent rarement de grandes surfaces ininterrompues, de façon générale, les surfaces sont remplies ou enrichies par des représentations, des symboles ou des ornements3. » L’ornementation gratuite ajoute une complexité en inadéquation avec la fonctionnalité de l’objet, et est à ce titre combattue. Le combat mené pour la simplicité peut toutefois mener à une occultation de l’aspect technique des objets, venant dissimuler sous des revêtement son fonctionnement, ne résolvant le problème que de manière superficielle et questionnable quant à l’éthique du projet, empêchant la compréhension de l’objet par l’usager et sa réparation.

Cependant la complexité peut se retrouver dans une volonté de construire les objets comme un corps biologique, où les éléments vaudraient pour des organes, ce qui est valorisé dans la loi d’unité et de composition de la Charte de l’Esthétique Industrielle4 de Jacques Viénot. Il faudrait donc distinguer la complexité gratuite de la complexité fonctionnelle, adaptée à la complexité des besoins. On peut cependant questionner la complexité des besoins, qui peut être manipulée par le marketing afin de justifier des formes complexes inutilement et des objets gadgets. De plus la complexité renvoie à la capacité de compréhension, on peut estimer comme Étienne Souriau qu’une éducation à la technique serait préférable à une simplification superficielle des objets techniques par l’affordance des arts explicites qu’il anticipe comme la suite de l’esthétique industrielle5, affordance qui ne faisant que rendre l’usage des objets plus évident mais ne permettant pas leur réelle compréhension.

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Figure 1. Rapport entre complexité des besoins et complexités des assortiments selon Abraham Moles, Paul Floutié

Paul FLOUTIÉ, Master 1, « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.


  1. MOLES, Abraham, Psychologie du kitsch, l’art du bonheur, Paris, Editions Denoël, coll. Bibliothèque Médiations, 1976 ; Rééd. Psychologie du kitsch, l’art du bonheur, Paris, Univers Poche, coll. Pocket, 2016. p. 50-51. 

  2. Robert VENTURI, Complexity and Contadiction in Architecture, New York City, The Museum Of Modern Art, 1966, p. 22.
    « Mais l'architecture est nécessairement complexe et contradictoire dans son inclusion même des éléments vitruviens traditionnels que sont la commodité, la fermeté et la volupté. Et aujourd'hui, les désirs de programme, de structure, d'équipement mécanique et d'expression, même dans des bâtiments uniques dans des contextes simples, sont divers et contradictoires d'une manière inimaginable auparavant. » Traduit par nos soins. 

  3. MOLES, Abraham, Psychologie du kitsch, l’art du bonheur, Paris, Editions Denoël, coll. Bibliothèque Médiations, 1976 ; Rééd. Psychologie du kitsch, l’art du bonheur, Paris, Univers Poche, coll. Pocket, 2016. p. 50-51. 

  4. VIÉNOT, Jacques, « Charte de l’esthétique industrielle », Esthétique industrielle, 1952. 

  5. SOURIAU, Étienne, « Passé, présent et avenir de l’esthétique industrielle », Revue d’esthétique, juill.-déc. 1951 ; repris in Ch. Lalo, É. Souriau, P. Le Goupils (et al.) (dir.), Esthétique industrielle, Paris, Puf, 1952.