1. Définitions

Le Robert définit le « spectacle » comme étant un «ensemble de choses ou de faits qui s’offre au regard1. » Le spectacle est par ailleurs une «représentation ; ce qu’on présente au public2 », notamment au cours d’une séance de théâtre ou de cinéma. Mentionnons également l’expression péjorative « se donner en spectacle3 » qui signifie se comporter de façon outrancière, et s’exposer de ce fait au regard, à la critique d’autrui.

Il s’agirait, au regard de l’ouvrage de Emmanuel Guy, Le Jeu de la guerre de Guy Debord. L’émancipation comme projet, d’une performance par laquelle les individus cherchent à se valoriser au sein d’une société qui ne fait que jouer la comédie. C’est pourquoi, Emmanuel Guy définit le spectacle dont parle Guy Debord de la façon suivante :

« Alimenté par le pouvoir, les médias, la culture et par la foule d’images qu’ils génèrent, le spectacle est tout ce qui nous éloigne d’une vie réellement vécue. Aliénation diffuse et illusionniste, il est régi par la logique de la marchandise qui impose un temps, un décor, un mode de vie et des aspirations stéréotypés. Système économique, social ou médiatique, le spectacle est une culture au sens large, relayée au quotidien par ses produits ; un sommeil forcé sans cesse prolongé par le vertige des bonheurs mensongers qu’il promet».

GUY, Emmanuel, Le Jeu de la guerre de Guy Debord. L’émancipation comme projet, Paris, Éditions B42, coll. « Sciences Humaines », 2020, p. 94.

La définition présentée par Le Robert couplée au passage de l’ouvrage de Guy nous font comprendre le spectacle comme le lieu de l’illusion sociale et par conséquent de la tromperie, le spectacle prédisposant l’individu à s’éloigner d’une vie véritablement vécue pour mieux le soumettre à une existence asservie à l’économie, aux médias, etc.

2. Du français à l’anglais.

Si le terme est d’origine latine et appartient à la langue française, nous pouvons toutefois traduire cette expression par son équivalence anglo-saxonne soit « show ». La définition qu’en donne Emmanuel Guy lorsqu’il se réfère à Guy Debord se rapproche de l’expression informelle « show off », qui sous-entend la parade, la performance. Pourtant, l’expression peut signifier plus modestement l’idée de mettre en avant quelque chose, comme lorsque le membre du Groupe du Parti Populaire Européen, Ivo Belet disait en 2006 au cours d’un débat parlementaire :

« Thousands of workers are losing their jobs, and we should at the very least learn from this. This presents Europe, Commissioner, with a unique opportunity to show off its social side4. »

BELET, Ivo, Economic and social consequences of restructuring in the automobile sector in Europe (debate), Parlement Européen de Bruxelles, 2006, URL : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/CRE-6-2006-11-29_EN.html?redirect#top, consulté le 8 novembre 2021.

En français, ce qui se joue dans le texte consacré à Guy Debord, c’est avant tout l’aspect performatif par le biais duquel le spectacle permet à des individus de s’approprier et jouers des valeurs humaines sur la scène publique afin d’en tirer un bénéfice économique ou politique. C’est ainsi le spectacle permanent que la société se donne à elle-même qui est visé. Le spectacle sert ainsi à diffuser une prétendue image afin de séduire, d’embellir pour éviter certaines formes de répercussions ou de soulèvement. Nous retrouvons ainsi les préoccupations de Guy Debord qui, en tant qu’avant-gardiste révolutionnaire, cherchait à dévoiler au grand jour cette forme de malhonnêteté, de mascarade.

3. Explication et problématisation du concept.

Le concept de « spectacle » entendu par Guy Debord naît au cours des années 1960. Il fait alors écho à la société bourgeoise qui s’organise autour de la possession exclusive des moyens de production. À l’époque, ce théoricien a donc pour ambition de dresser une critique globale du dit spectacle, en se servant de tous les moyens à sa disposition. Pour cela, il souhaite exposer toutes les dimensions du spectacle et le pouvoir qu’il exerce sur tous les champs d’action (art, publicité, politique, urbanisme, culture…), révélant ainsi son fonctionnement en système. En 1966, le groupe Internationale Situationniste jouit d’une certaine popularité suite à un événement de soulèvement étudiant surnommé le scandale de Strasbourg. Guy Debord exploite alors cette opportunité pour faire paraître en 1967 son ouvrage La Société du spectacle, qui doit servir à accélérer une révolution globale du système. Selon l’auteur, il est indispensable d’exposer cet outil de propagande, car celui-ci maintient les individus dans un état de passivité, d’aliénation en miroitant à chacun des objets, des idées, des environnements inauthentiques et insatisfaisants. L’essai s’inscrit dans la période des Trente Glorieuses, à l’époque où la société de consommation fait son arrivée en Europe. Le spectacle que définit Guy Debord semble pourtant être resté l’affaire du milieu intellectuel. Si l’ouvrage a su trouver un écho sur le plan historique, notamment au cours des événements de Mai 68, la société spectaculaire formalisée par le système capitaliste reste d’actualité.

En nous positionnant en accord avec la critique dressée par Debord, le domaine du design contribue parfaitement à maintenir le fonctionnement de la société spectaculaire. Effectivement, en s’associant au domaine de la publicité et de la communication afin de promouvoir (au sein d’une société de consommation déjà trop intense) l’acquisition de biens tendances et périssables, les designers alimentent ainsi un système dans lequel le bonheur est une quête de possessions matérielles. S’il est bien entendu possible de vouloir contribuer à la mise en place d’une société plus authentique, le renouvellement constant des collections dans la mode exemplifie à merveille le besoin d’appartenance et de reconnaissance sociale auquel nous aspirons tous malgré nous.

Arlette THIERION, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. https://dictionnaire.lerobert.com/definition/spectacle, consulté le 8 novembre 2021 

  2. Ibidem. 

  3. https://www.cnrtl.fr/definition/spectacle, consulté le 8 novembre 2021 

  4. Nous pouvons traduire ainsi : « Des milliers de travailleurs sont en train de perdre leur emploi. Le moins que l’on puisse faire, c’est d’en tirer une leçon. L’Europe, Monsieur le Commissaire, a là une occasion unique de mettre en avant son côté social. »