ODELL, Jenny, Inhabiting the Negative Space, Cambridge, Harvard University Graduate School of Design et Sternberg Press, The Incidents, 2020.

ODELL, Jenny, Habitant l’espace négatif (proposition de traduction).

Dans Inhabiting the Negative Space, Jenny Odell observe la période d’incertitudes liée au COVID-19 dans laquelle on se trouve et elle se demande quelles leçons on peut tirer concernant le rôle des designers pendant cette période.

Odell soutient que les designers devraient profiter de cette période pour ne rien faire au lieu de produire et ainsi pouvoir devenir ce qu'elle appelle des « orchestrateurs de l'attention », des personnes qui donnent aux gens un plus grand accès à leur expérience dans le monde en dirigeant leur attention vers leurs besoins réels au lieu des besoins artificiels imposés par le système capitaliste.

Pour asseoir sa thèse, Odell procède en trois temps. En premier, elle propose une nouvelle forme de design : celui de la « recherche de sens1 ». Elle met en avant que pour mieux comprendre le monde qui nous entoure, les designers doivent arrêter de produire pour pouvoir observer lentement, sans jugement et avec patience ce qu’il y a autour d’eux. De cette façon, ils seront capables de comprendre ce dont on a vraiment besoin. Pour argumenter cette étape, Odell fait référence au Deep Listening2 de Pauline Oliveros, où la pratique d’écouter activement tout ce qui nous entoure est encouragée pour mieux comprendre notre relation avec le monde.3

Deuxièmement, elle propose un design qui est capable de diriger l’attention des personnes. Elle indique que le design est souvent un moyen de voir le monde, une manière d’indiquer ce à quoi il faut prêter attention et dans quel ordre. Il s'agit d'une pratique relative à une mise en perspective et une évaluation de la portée des choses ; une pratique qui exige la capacité de sortir de la façon habituelle de voir4. L’auteur déclare que les designers sont dès lors des « orchestrateurs de l’attention » capables de donner aux gens un plus grand accès à leur propre expérience, à un monde qui est plus riche, qui a plus de sens et dans lequel les personnes ont un pouvoir d'action5.

Finalement, Jenny Odell conseille de voir le design non pas comme une forme de fabrication mais comme une forme de dé-fabrication6. Elle rejette le concept courant d’innovation, qui est généralement lié à l'idée de mettre quelque chose de nouveau dans le monde, et propose plutôt de le voir comme l’idée de restaurer quelque chose ou de remettre quelque chose à sa place. Pour conclure, elle met en avant que ceci exige des changements majeurs dans nos idées sur l'ego artistique, la productivité et la définition de la créativité7.

Odell développe trois concepts clés dans Inhabiting the Negative Space. Le premier est la patience qui désigne la qualité d'une personne qui sait attendre, en gardant son calme. Puis, elle met en avant la créativité : le pouvoir de création, d’invention. Ensuite, l’attention : la concentration de l'activité mentale sur un objet. Ce dernier est le plus important, puisque Odell argumente que ce qui définit notre réalité tient à ce sur quoi nous concentrons notre attention8.

En suivant les conseils d’Odell, on pourrait se demander quels types de design pourraient découler de ce nouvel état d'esprit qui nous rend plus attentifs au monde qui nous entoure et qui nous permet de donner aux gens un accès plus important à leur propre expérience. Peut-être est-ce un design qui ne cherche pas à construire ou remplacer, mais qui répond au présent avec des outils du présent sans se soucier des besoins artificiels imposés par notre système capitaliste. On peut dès lors établir un lein avec ce que Victor Papanek dénonce dans Design pour un monde réel9 : il qualifie le design industriel et publicitaire de pernicieux et factice puisqu’ils persuadent « les gens d’acheter des objets dont ils n’ont pas besoin, avec de l’argent qu’ils n’ont pas, afin d'impressionner d’autres gens qui s’en moquent ». Il propose, comme Odell, que les designers doivent « cesser complètement leur travail » pour pouvoir « répondre aux besoins d’un monde qui est au pied du mur10. »

Lorenzo PALACIO, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.


  1. Dans l’ouvrage, il s’agit de sensemaking : cf. ODELL, Jenny, Inhabiting the Negative Space, Cambridge, Harvard University Graduate School of Design et Sternberg Press, The Incidents, 2020, p. 20. 

  2. Soit Écoute profonde. 

  3. cf. Pauline OLIVEROS, Deep Listening: A Composer’s Sound Practice, Bloomington, iUNIVERSE, 2005. 

  4. ODELL, Jenny, Inhabiting the Negative Space, Cambridge, Harvard University Graduate School of Design et Sternberg Press, The Incidents, 2020, p. 22. 

  5. ODELL, Jenny, Inhabiting the Negative Space, op.cit., p. 23. 

  6. Ibidem, p. 62. 

  7. Ibid., p. 65. 

  8. Id., p. 41. 

  9. Victor PAPANEK, Design pour un monde réel, Vienne, Fondation Victor J. Papanek et Université des Arts appliqués de Vienne, traduit de l’anglais par Robert LOUIT et Nelly JOSSET, 2021, p. 23. 

  10. Victor PAPANEK, Design pour un monde réel, op.cit., p. 28.