ZEVI, Bruno, Saper vedere l'architettura, Einaudi, 1948 ; rééd. Zevi Bruno, Apprendre à voir l'architecture, Paris, Éditions de Minuit, Collection Forces vives, traduit par Lucien Trichaud, 1959.

Dans Apprendre à voir l’architecture, Bruno Zevi propose une nouvelle façon de regarder l'architecture pour mieux la comprendre et l'apprécier. Il formule dès le début de son ouvrage sa question conductrice, à savoir : « Qu'est-ce donc que l'architecture ? Qu’est-ce que la non-architecture1 ? ». Cette question sur la nature de l'architecture et de la non-architecture vise à comprendre ce qui caractérise véritablement ce champ en tant que discipline créative distincte. Il cherche à déterminer les éléments qui définissent l’architecture en tant qu'art, ainsi que les critères permettant de la distinguer de la simple construction ou de la non-architecture. En d'autres termes, il cherche à clarifier la frontière entre l'art et la fonctionnalité dans la création architecturale.

Selon Bruno Zevi, l'architecture est bien plus qu'une simple construction, c’est une discipline créative qui se distingue par la combinaison de plusieurs éléments tels que l'espace, la couleur, la forme, la lumière et la texture. La compréhension de ces éléments permet de voir l'architecture de manière critique, en appréciant à la fois son esthétique, sa fonction, ainsi que son expression émotionnelle. En effet, il considère que l'architecture est capable de susciter des émotions chez les individus qui interagissent avec elle à travers les éléments cités. L’expression émotionnelle devient donc un élément essentiel de son appréciation, prenant en compte la diversité des perceptions individuelles, qui dépendent du contexte culturel, social et personnel. Pour illustrer ses propres écrits, il cite plusieurs exemples d'architectes, tels que les travaux de Le Corbusier, qui reflètent les valeurs modernes telles que la clarté, l'ordre et l'efficacité, tout en cherchant à exprimer des émotions telles que la joie et l'enthousiasme.

Ainsi, la réflexion est articulée dans cet ouvrage autour de trois idées principales qui soutiennent la thèse de l’auteur. Ce dernier propose, dans une première partie, une réflexion concernant l'espace et sa représentation dans l'architecture2. Il considère l'espace comme un élément clé de l'architecture et encourage à l'examiner en tant qu'entité en soi, en considérant les relations entre ses différents éléments, ainsi que l'utilisation de la lumière pour créer des effets esthétiques et émotionnels. La deuxième partie est quant à elle centrée sur l'évolution de la perception de l'espace à travers les époques3, en mettant en lumière les influences culturelles, sociales et technologiques qui ont façonné la compréhension de l'espace architectural. Enfin, la troisième partie, porte sur les différentes manières d'interpréter l'architecture4. Il compare neuf formes d'interprétations qui se complètent, se recoupent où se contredisent, ce qui permet une vision plus complète et nuancée de l'architecture. Par exemple, l'interprétation politique de l'architecture s'intéresse aux idéologies et aux valeurs qui sous-tendent la création architecturale, tandis que son interprétation philosophique et religieuse examine le rôle de la spiritualité et de la culture dans sa création. L'interprétation scientifique se concentre quant à elle sur la fonctionnalité et les avancées technologiques, tandis que l'interprétation économique considère l'impact de la valeur et du marché sur la production architecturale. L'interprétation sociale se focalise sur les questions liées à la communauté, tandis que l'interprétation matérialiste examine les matériaux et les techniques de construction.

Les concepts clés sont nombreux dans cet ouvrage, tels que le « fonctionnalisme5 », une approche de l'architecture qui met l'accent sur la fonctionnalité des bâtiments, plutôt que sur leur esthétique ou leur expression émotionnelle. « L’organicité6 » est un concept qui défend une architecture intégrée harmonieusement dans son environnement naturel et social, en créant des liens organiques entre le bâtiment et son contexte. Mais les deux notions que nous retiendrons sont « l’espace architectural7 », l’élément fondamental de l’architecture d’après Bruno Zevi, qui est perçu à travers quatre dimensions : la largeur, la hauteur, la profondeur et l'angle de vue. Ainsi que « les forme architecturales8 » puisque, tout au long de l’ouvrage, l’auteur examine comment les formes peuvent être utilisées pour créer des effets visuels, tels que la perspective, la symétrie et l'asymétrie.

Ce livre est important pour le champ théorique du design entendu au sens large, notamment pour ce qui concerne l’esthétique, car il fournit une nouvelle façon de comprendre et voir l’architecture. Il remet en question l'approche fonctionnaliste de celle-ci et propose une approche moderniste qui permet d'exprimer l'identité et les valeurs d'une société. L'approche moderniste, qui émerge dans les premières décennies du XX^e^ siècle, est un mouvement auquel se rattachent des architectes comme Le Corbusier, Walter Gropius et Frank Lloyd Wright. Ce mouvement cherche à révolutionner l'architecture en s'opposant à l'architecture traditionnelle. Les nouvelles technologies et les nouveaux matériaux sont intégrés dans la pratique architecturale, tout en s'inspirant des principes de l'esthétique industrielle et fonctionnelle. Le Corbusier, par exemple, a développé le concept de l'architecture fonctionnelle qui repose sur l'idée que la forme doit suivre la fonction. Pour lui, l'architecture devait répondre aux besoins pratiques de la société moderne, en intégrant les dernières innovations technologiques et en simplifiant les formes pour atteindre une esthétique rationnelle et harmonieuse. Frank Lloyd Wright a quant à lui développé une approche organique de l'architecture, en cherchant à intégrer les bâtiments dans leur environnement naturel. Il a cherché à créer une esthétique propre à l'architecture américaine, en utilisant des matériaux locaux et en s'inspirant des traditions architecturales américaines. De plus, ce livre propose des méthodes incluant une analyse de l'espace, de la forme, de la lumière et de la texture, ainsi que la considération du contexte historique, culturel et social de l'architecture pour développer une compréhension de son esthétique, comme une forme d’art qui exprime des émotions et des sentiments. Par exemple, l'analyse de l'espace peut aider à comprendre comment l'architecture crée des ambiances et des sensations pour les utilisateurs, tandis que l'analyse de la lumière peut révéler comment elle peut être utilisée pour créer des contrastes et des effets émotionnels.

Melina LANNAK, Licence 3 « Design Arts et Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023


  1. ZEVI, Bruno, « Apprendre à voir l’architecture », Paris, Éditions de Minuit, Collection Forces vives, traduit par Lucien Trichaud, 1959, p. 11-12. 

  2. ZEVI, Bruno, « Apprendre à voir l’architecture », op. cit., p. 8-35. 

  3. Ibidem, p. 36-85.  

  4. Ibid., p. 86-135. 

  5. Id., p. 116. 

  6. Id., p. 84. 

  7. Id., p. 15. 

  8. Id., p. 105.