1. Définition
D’après Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), la notion d’ « esthétique industrielle » renvoie à une « Recherche sur les formes, la matière, les couleurs, etc., pour rendre toutes productions industrielles le plus attrayantes possible ». En appui à cette définition, on peut lire : « Le terme d'esthétique industrielle [...] souligne bien que les objets produits par l'industrie ne s'épuisent pas dans leurs fonctions utilitaires, et qu'ils peuvent développer de surcroît des qualités plus généralement humaines. Van Lier Henri, Esthétique industrielle ds Encyclop. univ. t. 6 1970, p. 572. »
https://www.cnrtl.fr/definition/esthétique, consulté le 27 décembre 2021
Cette définition éclaire la notion d’esthétique industrielle en la qualifiant de recherche d’humanité des produits industriels. Elle signifie en outre une volonté d’élévation du potentiel des produits industriels par l’esthétique.
2. Entre l’anglais et le français
Le sens de cette notion peut se contextualiser et se préciser en ayant recours à l’œuvre du designer américain Raymond Loewy. Il écrit notamment :
« À cette époque, nous travaillions pour une douzaine de firmes et les affaires marchaient très bien. Elles marchaient bien, mais à quel prix ! Les quatre années précédentes avaient été difficiles. Personne dans le monde de l’industrie n’avait jamais entendu parler d’esthétique industrielle et personne ne s’y intéressait. Ma vie, alors était une déprimante succession de visites à des hommes que j’ennuyais, des hommes qui réussissaient parfaitement dans leurs entreprises et pour qui j’étais l’importun dont il fallait se débarrasser aussi vite et aussi poliment que possible, ou plutôt, sans trop d’impolitesses. »
LOEWY Raymond, La laideur se vend mal, Paris, Gallimard, collection TEL, 1990, p. 125
À travers cette occurrence nous percevons les difficultés rencontrées par l’esthétique industrielle pour se faire entendre et considérer. Elle illustre le manque de sensibilité que pouvaient avoir les entreprises concernant cette manière de faire du design. Autant dire que l’esthétique industrielle doit être comprise à partir de la culture et de la langue qui l’ont vu naître. Revenons à Loewy, quand il écrit :
« I signed up with the Hupp Motor Company, a client of Lennen and Mitchell, and I believe it was the beginning of industrial design as a legitimate profession. For the first time a large corporation accepted the idea of getting outside design advice in the development of their products1. »
LOEWY Raymond, Never leave well enough alone, New York, Simon and Schuster,1951, p. 85.
Ce passage nous fait revisiter l’histoire du design qui advient, sous la forme de design industriel aux USA entre 1920 et 1950. Pour ce qui est de la France, le design industriel n’existe pas sous ce terme et s’affirme plutôt en tant que stylisme industriel dans les années 1940-1960 à l’initiative de l’entrepreneur Jacques Viénot, suite à un voyage aux USA. Il faut en effet faut préciser que, pour lutter contre une hégémonie américaine, Viénot propose de remplacer le terme de design par « stylisme industriel », designer par « styliste industriel » et développe une idée bien française de l’« esthétique industrielle ». Le livre de Loewy et sa traduction française manifestent les difficultés rencontrées pour imposer l’« industrial design » mais il renvoie aussi à la situation de la France à l’époque de Loewy concernant la définition du design et de son appellation.
3. Explication du concept
L’« esthétique industrielle » est un terme français employé par Jacques Viénot et Étienne Sourriau afin d’imposer un regard français et de lutter contre le terme anglais « industrial design » qui, lui, a été introduit par Raymond Loewy afin de signifier un moyen de faire du design par l’industrie. Dans La laideur se vend mal, Raymond Loewy rend compte de la pauvreté esthétique des produits dans les drugstores américains et de la façon dont il a réagi. Mais, peu à peu, on constate à la lecture de son ouvrage qu’il n’est pas juste question de beauté mais de recherche d’harmonie, de simplicité2 et d’économie d’un produit industriel rendu plus attractif. La notion d’« esthétique industrielle », sans appui de Les Lois de l’esthétique industrielle, charte élaborée à l’initiative de Viénot3, ne recouvre pas tout à fait cette richesse de sens.
4. Problématisation
« To design » en anglais signifie « concevoir ». L’industrial design se présente donc comme un savoir-faire et un savoir réflexif. La version anglaise de l’ouvrage de Loewy semble mettre en valeur ce domaine. Le terme d' « esthétique industrielle », quant à lui, a tendance à se rapprocher de la définition du langage courant que nous avons de l’esthétique, c’est-à-dire quelque chose qui nous est agréable, un produit beau et harmonieux, même si l’esthétique industrielle est définie par Jacques Viénot et Etienne Soriau comme étant « la science du beau dans le domaine de la production industrielle ». Cette évolution est une démonstration de l’avance qu’avaient les USA sur la France concernant le design.
5. Illustration
Figure 1. Pouvoirs du design, Audrey FREVILLE
Audrey FREVILLE, Master 1 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021-2022.
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« J’ai passé un contrat avec Hupp Motor Company, un client de Lennen et Mitchell, et je crois que c’était le début du design industriel en tant que profession légitime. Pour la première fois, une grande entreprise a accepté l’idée d’obtenir des conseils de conception externes dans le développement de leurs produits ». Traduit par nos soins. ↩
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Pour Raymond Loewy l’esthétique industrielle est « la beauté par la fonction et la simplification ». ↩
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« Lois de l’esthétique industrielle », dans Esthétique industrielle n°7, 1952. ↩