1. Définition :
« I. Ensemble de lois, de règles à observer. »
« II. Ensemble de signes rendant possible la communication. »
Dictionnaire de l’Académie Française, 9e édition*. (s. d.). Code, CNRTL. Consulté le 25/10/2023, https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/code.
Et au sein de cette deuxième définition se trouvent deux sens en apparence antithétiques, l’un soulignant la transmission, l’autre la dissimulation :
« 1. Système de symboles convenus, permettant l'enregistrement et la transmission d'une information. »
« 2. Système de transcription destiné à assurer le secret, notamment lors de la transmission d'un message, et utilisant des équivalences convenues entre les parties ; le document fournissant la liste de ces équivalences »
Dictionnaire de l’Académie Française, 9e édition*. (s. d.). Code. Dans CNRTL. Consulté le 25 octobre 2023 https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/code.
Dans leur rapport à l’histoire de l’art, Roland Barthes relie très bien ces trois définitions en désignant l’art comme un code qui en même temps qu’il régit et transmet le beau, le garde secret, intraduisible par le discours :
« La beauté (contrairement à la laideur) ne peut vraiment s'expliquer : elle se dit, s'affirme, se répète en chaque partie du corps mais ne se décrit pas. Telle un dieu (aussi vide que lui), elle ne peut que dire : je suis celle qui suis. Il ne reste plus alors au discours qu'à asserter la perfection de chaque détail et à renvoyer le reste au code qui fonde toute beauté : l’Art. *»
Barthes, ROLAND,S/Z : [essais], Paris, Éditions du Seuil, 1970. p.70
De la langue d'origine au français
Le terme apparaît au XIIIe siècle et provient du latin codex, signifiant « planche » puis « planchette pour écrire ». Il a d’abord désigné les livres dans leur globalité, puis plus spécifiquement les registres de lois et les livres juridiques. Par métonymie, le mot « code » a finalement été utilisé pour désigner l’ensemble des lois retranscrites dans ces ouvrages.
Par une seconde métonymie, le code en est ainsi venu à désigner tout ce qui régit un champ particulier du monde social, à commencer par l’art que Samuel Zarka ici, comme Bourdieu bien avant lui, relie aux évolutions de l’architecture de la société :
*« Comprendre les productions d“art contemporain” suppose généralement la référence à un code esthétique particulier. Ce code n'est lui-même qu'un moment dans une logique sociale plus large. Cette logique sociale est le concept d“art contemporain”. »
Samuel, ZARKA (dir.), « Préface », dans Art contemporain : le concept, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Intervention philosophique, 2010, p.1
La deuxième acception de « code », comme « système de transcription d'un message » (CNRTL) est quant à elle apparue au début du XIX^e^ siècle comme emprunt du sens attribué à ce mot par les Britanniques, et se substituant ainsi au terme français « chiffre ». Les anglo-saxons ont quant à eux conservé les deux termes de code et cipher (qui, comme « chiffre », provient de la racine arabe « sifr » signifiant zéro et a fortiori le vide). La distinction que les Britanniques font entre ces deux termes peut nourrir la définition française, puisque « code » désigne en anglais un message crypté en remplaçant systématiquement un sens par un signe selon un « codebook » détaillant les correspondances directes entre les deux ensembles. Le « cipher » n’est quant à lui utilisé que pour parler de messages cryptés selon un processus algorithmique en plusieurs étapes, de telle sorte que le message originel est absolument inaccessible à un humain sans la « clé » qui lui permet d’activer l’algorithme de décryptage tel que l’encodeur l’a paramétré (d’où le message « vide » de sens à première vue). Autrement dit, le « code » anglais est une traduction d’une langue commune vers un langage inventé par l’encrypteur et codifié par un système de correspondance simple, tandis que le « cipher » est une transformation à deux variables : l’algorithme de transformation, et la « clé » permettant de l’activer. Si le code est un miroir déformant, le cipher est un miroir déformant enfermé dans un coffre-fort.
« It may be roundly asserted that human ingenuity cannot concoct a cipher which human ingenuity cannot resolve."
Edgar Allan, POE, « A Few Words on Secret Writing », Graham's Magazine, Juillet 1841, p.33.
Les réflexions de Poe sur la question suggèrent ainsi, dès le XIXe siècle, en parlant d’ingéniosité plutôt que de rationalité ou de logique, que le cipher, contrairement au code, suppose l’extension de la réflexion humaine par une machine pour chiffrer comme pour déchiffrer les messages. C’est précisément cette complexité algorithmique du cipher par rapport au code qui a été au centre des premières batailles de l’information lors de la Seconde Guerre Mondiale entre d’une part la machine Enigma des nazis leur permettant de crypter leurs messages, et la machine de Turing des Britanniques qui leur permettait de trouver la clé quotidienne de l’algorithme allemand.
3. Explication et problématisation du concept :
Dans les deux acceptions on retrouve cette idée que le code est ce qui contient la liste des correspondances entre un ensemble de symboles et un ensemble de sens. En arts, il renvoie principalement aux codes, à savoir un assemblage de règles plus ou moins tacites de représentation encadrant les beaux-arts pour que tout public suffisamment initié puisse lire avec une quasi-certitude le « message » inséré par l’artiste dans son œuvre. Comprenant une évidente composante socio-économique de distinction, le code comme encadrant les modes de représentation est ainsi avant tout un jeu permettant d’assurer aux amateurs cultivés qu’ils peuvent reconnaître dans les œuvres ce qu’ils y cherchent déjà (figures des Métamorphoses d’Ovide, épisodes de la Bible…). Il s’agit bien là de décryptage puisque cette conception de l’art suppose l’existence d’un message intentionnellement inséré dans l’œuvre et transformé sous formes d’indices visuels par l’artiste qui s’assure, par ces règles de représentation, que seul un certain public possède la clé culturelle pour le décrypter. C’est en tant qu’ensemble de règles que le code permet la transmission, via les œuvres, d’informations envers un certain public, tout en masquant tout à fait ce message aux non-initiés qui ne disposent pas de la clé, des « codes culturels », permettant de le décrypter.
Toutefois, aujourd'hui non seulement la conception de l’art a largement évolué en mettant notamment de côté cette idée d’un « message » inséré dans l’œuvre, mais surtout le terme de « code » ne peut plus être appréhendé sans prendre en considération son sens en théorie de l’information. Par opposition au « chiffre », ou « cipher » anglais, qui, à l’instar du langage Enigma des nazis a pour but premier de protéger une information en la cryptant, le code désigne lui une traduction visant précisément à améliorer la transmission d’informations, qu’il s’agisse de communiquer plus rapidement (compression des messages aussi bien en langage binaire qu’en « langage SMS ») ou de communiquer malgré les obstacles (le morse lumineux pour communiquer à distance sans nécessité de s’entendre par exemple). Le code entendu comme langage de programmation informatique répond ainsi à l’impératif d’efficacité, et c’est l’ordinateur qui assure le système de correspondance de ce code vers une interface qui nous est accessible.
Deux grandes tendances opposées semblent alors se dessiner dans l’histoire contemporaine de l’art. D’un côté les artistes tendent globalement, depuis les années 1920, vers une abstraction de plus en plus poussée, niant l’existence d’un message caché, et refusant que l’art puisse être une simple méthode d’encryptage d’une information destinée à un public ciblé. De l’autre, l’omniprésence de l’informatique dans notre vie quotidienne nous conduit à devoir apprendre comment communiquer avec les machines et comment compresser le plus efficacement possible les informations que l’on souhaite transmettre, qu’il s’agisse de numériser en données binaires un film sur pellicule, ou pour un artiste de trouver les « tags » les plus justes pour que son œuvre soit référencée au mieux sur internet. Le code aujourd'hui est finalement incarné par le « prompt », les quelques mots nécessaires pour traduire à une intelligence artificielle l’image que l’on souhaite produire, au risque de conformer notre langage à celui des ordinateurs, et nos cultures visuelles à ce que produisent les algorithmes.
Nicolas Dargelos-Descoubez, M2 Cinéma, ENS de Lyon, supervisé par Occitanne Lacurie 2023-2024